« « Taisez-vous, à la fin! Qu’avez-vous à rester là, assis, comme deux crapauds, et à empoissonner l’air de votre haleine ? Assez !’’ Et, sans attendre qu’ils finissent de médire, je m’apprête à rentrer chez moi. » (Tchekhov)
C’est bien l’envie qui me prend, de claquer la porte et de quitter cette atmosphère de mépris pour m’isoler dans ma tour d’ivoire. Pourtant, alors que je rêve de Babel, c’est à plutôt à Pise que je me retrouve, suivant une inclination à la faiblesse, à la médisance.
Il faut dire qu’après avoir passé le quart de ma vie plus ou moins impliqué dans le mouvement étudiant, j’ai eu trois (mille ?) fois ma dose de condescendance et de mépris. Bien sûr, tout porte à croire que c’est pareil partout, mais ce petit milieu me semble tout de même particulièrement propice. Alors que les gens s’y retrouvent pour faire valoir leurs convictions, n’ayant souvent d’autres récompenses que le léger progrès de leurs idées et la rencontre de nouveaux amis, la médisance peut souvent servir de ciment entre les membres d’un même groupe.
Après tout, déblatérer contre ses adversaires est plus qu’un plaisir coupable, c’est un outil de socialisation puissant ! Comment mieux définir notre Nous que de ressasser leurs bêtises à Eux ? Comment mieux se convaincre de la vraie efficacité de nos idées qu’en critiquant celles des Autres ? Et comment mieux résister à leur méchanceté à notre égard qu’en leur en rendant une toute petite partie – parce qu’évidemment, Nous sommes les bons et nous n’oserions pas nous abaisser à leur niveau. Et évidemment, Nous sommes les meilleurs juges de l’effet qu’a notre traitement sur ceux qui en font les frais…
Ainsi, dans le monde ingrat des associations étudiantes, condescendre le «gogauche» ou le «corpo-collabo» est un nécessaire moyen de survie… qu’il ne faut pas moins critiquer. Même dans l’intimité, auprès de ses semblables, céder à la tentation revient à maintenir un état d’esprit néfaste. Chaque pas emprunté dans cette direction, même subrepticement, en est un de plus vers la déshumanisation de l’adversaire et sa transformation en ennemi. De là, on contribue toujours un peu plus à une escalade du mépris et à un dénigrement systématique du point de vue adverse.
Tristement, pour toutes ces raisons, et parce qu’on rencontre une quantité effroyable de méchancetés et de stupidités – auxquelles il faut parfois répliquer ardemment et dont il peut convenir de se moquer – on ne mettra pas fin à l’animosité. Toutefois, il y a de quoi espérer qu’on saura un peu plus en avoir honte, et que la culpabilité viendra modérer nos élans de haine décomplexée. En attendant, moi, je retourne rouler dans ma fange.
«La médisance rend l’atmosphère épaisse, irrespirable, et ce ne sont plus deux crapauds, mais trois qui l’empestent de leur haleine.» (Tchekhov)