Critique théâtre: 887

On se souvient avec Robert Lepage

887, rue Murray, au cœur des années 70 : voilà où Robert Lepage transporte son public le temps d’une soirée. Seul sur scène, il plonge dans sa mémoire d’enfant, mais aussi dans celle du Québec. Histoire individuelle et collective, mémoire et oubli sont au centre de ce nouveau solo aussi drôle que touchant.

887 Robert LepageC’est la sixième pièce où Robert Lepage se produit seul sur scène, mais il s’agit définitivement de celle où il se met le plus à nu. De nombreux moments prenants peuplent la pièce, notamment lorsqu’il parle de son père, qu’il représente de manière si honnête qu’il serait dur de ne pas être touché par le personnage. Père brillant par son humilité et sa fierté, mais aussi par son absence, sacrifiant ses nuits et ses jours au travail afin de garantir une vie confortable à sa famille.

Si la pièce touche, elle ne manque pas de divertir: dans les passages s’éloignant des souvenirs et se rapprochant du présent, Robert Lepage arbore un certain côté arrogant qui ne manque pas de faire rire. L’homme est toujours seul sur scène, discutant avec son ami Fred ou encore avec les techniciens de la Nuit de la poésie d’un ton hautain qui fait rire le public, mais qui contraste bien avec l’humilité ressentie lors des moments plus touchants.

Bien qu’il soit l’unique acteur de 887, il partage la scène avec quelque chose de bien plus gros qu’un comédien. Au centre de la scène se trouve en effet un gros cube modulaire qui, selon les moments, incarne un appartement, une chambre, une cuisine ou encore une bibliothèque. Le même principe avait été utilisé par Lepage dans La face cachée de la lune et Quills, mais ce cube est loin d’être un simple décor; il donne le sentiment de plonger dans sa mémoire et celle du Québec des années 70.

Cet effet est amplifié par l’utilisation de projections et de photos de famille ainsi que du téléphone cellulaire de l’acteur. La caméra filme en direct pour permettre au public de changer de perspective et d’explorer les souvenirs avec le même regard que le metteur en scène. C’est aussi de cette manière que les spectateurs peuvent revivre des moments charnières de l’histoire québécoise, tels que l’arrivée de Charles de Gaulle à Montréal en 1967 ou la lecture du manifeste du FLQ sur les ondes de Radio-Canada.

Un des moments les plus forts de la soirée se situe dans les dernières scènes : Lepage termine en récitant le texte Speak White de Michèle Lalonde avec une force et une rage profondes dans la voix qui sauraient toucher même les moins souverainistes. Écrit en 1968, ce poème engagé ne pouvait mieux terminer une pièce qui se veut une réflexion sur la mémoire collective. Avec 887, Robert Lepage prouve encore une fois qu’il sera, lui aussi, de ceux dont on se souvient.

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