La Cour d’appel du Québec a autorisé Copibec à aller de l’avant dans son action collective de 4 M $ contre l’Université Laval la semaine dernière. La société de gestion collective des droits de reproduction accuse l’institution d’avoir violé la Loi sur le droit d’auteur, en reproduisant des millions de pages sans permission.
Le jugement de la Cour d’appel renverse celui de la Cour supérieure qui, en février 2016, avait freiné la poursuite. Il s’agit donc d’une victoire pour Copibec, dont le mandat est d’octroyer des licences d’usage auprès des établissements d’enseignement pour ensuite redistribuer aux ayants-droit les redevances qui en émanent.
En entrevue avec Impact Campus, le président de Copibec, Gilles Herman, a confié que ce qui le choque le plus, dans cette histoire, est que le rectorat demanderait encore le même financement à ses étudiants au niveau des cotisations de droits d’auteurs, même si la licence n’est plus utilisée.
« Les droits de reproduction sont payés par les étudiants et, à ce que je sache, ces frais n’ont pas du tout diminué sur votre campus, martèle-t-il. On ne paie donc plus Copibec, mais on charge un montant similaire. Il y a quelque chose de très vicieux là-dedans. Si le but est de faire des économies, ça devrait se répercuter sur la facture étudiante. »
Aux dires du président de Copibec, l’Université Laval reproduit actuellement près de 11 millions de pages à partir de 7000 ouvrages de référence québécois sans avoir de permission officielle. Elle utiliserait ensuite ces contenus dans divers recueils de textes étudiants, faisant d’elle la seule université à agir de la sorte dans la province.
Flou administratif
En 2014, le Bureau du droit d’auteur (BDA) a été créé à l’Université Laval. Celui-ci a pour mission de soutenir « le personnel enseignant dans les questions de droit d’auteur par rapport aux activités d’enseignement, d’apprentissage, de recherche et d’étude privée pour une utilisation appropriée des œuvres d’autrui », peut-on lire sur le site Internet de la bibliothèque.
La même année, l’administration lavalloise a décidé de ne pas renouveler son droit de licence avec Copibec, puisqu’elle créait une Politique d’utilisation de l’œuvre d’autrui. Dans ce document publié le 21 mai 2014, on peut lire que, dans la mesure où l’œuvre est utilisée pour des fins spécifiques à l’éducation, la recherche et l’étude privée, de courts extraits peuvent être reproduits et communiqués, sous la responsabilité du vice-rectorat aux études et aux activités internationales.
Par court extrait, la politique entend la reproduction de 10 % d’un ouvrage, qui peut prendre la forme d’articles, de chapitres, de manuels, de livres ou de recueils.
Or, M. Herman demande à l’institution d’enseignement de préciser ce qu’elle entend par cette statistique. « Ils ne disent pas c’est 10 % de quoi, lance-t-il. Le meilleur exemple est un recueil de poèmes. S’il a 100 pages, parle-t-on alors de 10 pages ou de 10 % de chaque poème? Ce n’est pas évident, puisque c’est une œuvre en soi. Et c’est ce que dit l’Université Laval en ce moment. »
Futur dans le dossier
Même s’il est très satisfait des derniers développements dans cette affaire, Gilles Herman demeure prudent pour la suite des choses. « On a simplement gagné le droit d’aller en recours collectif, explique-t-il. La cause n’est même pas encore commencée à vrai dire. Je pense qu’on a une bonne cause, qu’on va gagner, mais ça va être long. »
Celui qui est également éditeur pour son propre compte espère que la course au rectorat qui se tiendra dans les prochaines semaines sur le campus puisse tourner une nouvelle page sur ce conflit. « On serait bien content si la prochaine administration arrivait dans de meilleures dispositions par rapport à son bureau de droit d’auteur », conclut-il.
Invitée à réagir sur les allégations de Copibec, la porte-parole de l’UL, Andrée-Anne Stewart, s’en est remise aux procédures judiciaires en cours. « Il y a un recours en ce moment et ça fait en sorte qu’on est limité, note-t-elle. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’on étudie le recours en ce moment. On va garder nos réserves et nos arguments pour les tribunaux. »
Appel à la mobilisation
Gilles Herman invite la communauté universitaire à s’impliquer pleinement dans ce conflit. Celui-ci touche tous les membres de l’UL selon lui, tant du côté étudiant que professoral.
« On parle avant tout de professeurs, les premiers touchés, car ce sont souvent eux les producteurs de contenu, s’indigne-t-il. On leur demande une certaine forme d’appui, sauf qu’ils vivent dans un climat dans lequel ils n’osent plus trop se confronter à la direction. »
Même principe dans le corps étudiant, selon M. Herman, qui rappelle que les jeunes constituent en fait les futurs producteurs d’ouvrages. « Qu’est-ce que l’avenir si une institution qui enseigne l’importance de la connaissance et recherche ne reconnait pas la valeur monétaire et symbolique du travail intellectuel », questionne-t-il à ce sujet.