La Cour d’appel a ordonné en juin dernier, dans le recours collectif de Copibec contre l’Université Laval, que des avis publics soient publiés dans plusieurs médias de la région de Québec. On peut lire dans ledit message que les auteurs et éditeurs d’œuvres sont inclus au recours de base, mais qu’ils peuvent aussi se retirer, avant le 16 octobre 2017. Deux clans se positionnent sur la question. Dossier.
AU BESOIN : Mieux comprendre les motifs de la poursuite de Copibec (cliquez)
Rappelons que l’Université Laval possède son propre Bureau du droit d’auteur (BDA) depuis 2014, année où elle a refusé de renouveler sa licence avec Copibec.
Depuis cette date, les membres de l’organisme prétendent notamment que les nouvelles mesures de l’institution d’enseignement sont beaucoup plus permissives, en ce qui concerne par exemple les redevances monétaires distribuées aux auteurs.
La présidence exécutive du groupe, Frédérique Couette, déplore vivement les décisions prises dans les dernières années, qui contreviennent, selon elles, au cadre légal du Québec. C’est surtout la marge de reproduction que laisse reproduire l’UL qui semble indigner son équipe.
« On se permet de reproduire sans autorisation et sans paiement de redevance jusqu’a 10% d’une œuvre. C’est totalement illégitime, et c’est surtout la version la plus favorable pour que l’Université paie le moins de droits possible. » -Frédérique Couette
Elle estime qu’il est « normal et essentiel » que les universités aient un rôle a jouer pour informer les étudiants du respect formel des droits des autres. « C’est un élément très important en matière de développement culturel, et c’est quelque chose qui contribue aussi à la culture scientifique, littéraire ou encore artistique », soutient-elle.
La porte-parole de l’UL, Andrée-Anne Stewart, avait assuré en mars dernier que son employeur ne commenterait pas les procédures judiciaires en cours et qu’il laisserait plutôt la Cour travailler avant de se prononcer sur la question.
À la défense du blason lavallois
Olivier Charbonneau est un juriste et libraire québécois très impliqué dans ce litige, qui dure depuis maintenant trois années complètes. Récemment, il a publié un billet de blogue devenu viral expliquant pourquoi il allait se retirer du recours collectif et ainsi soutenir l’Université Laval. Deux raisons le motivent : la poursuite de Copibec ignore selon lui des réalités commerciales d’une université et s’avère une entrave à la liberté d’expression dans les milieux académiques.
Selon lui, le monde de l’édition subit actuellement un changement profond avec la transformation numérique. C’est l’accès-libre : l’utilisation d’un document ne dépend plus d’une licence externe, mais bien d’un droit d’usage directement attribué par l’éditeur, affirme-t-il.
« Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que la valeur d’une licence avec Copibec, pour une université québécoise moyenne, tend vers zéro. Pourquoi? Car la proportion d’œuvres numériques proposées dans nos collections sous licence explose déjà. » -Olivier Charbonneau
Un point sur lequel converge l’auteure et professeure au Baccalauréat en communication publique, Florence Piron. Celle-ci souligne que, pour les étudiants, la décision de son université est beaucoup plus avantageuse. « L’utilisation équitable est bénéfique pour les jeunes, à qui les éditeurs finissent toujours par refiler la facture de toute manière, dit-elle. Le principe de l’équité les protège, eux et le droit à l’éducation et l’information scientifique. »
Un objectif précis ?
En rompant ses liens avec Copibec, l’Université Laval poursuivrait en fait un but précis, selon Olivier et Florence. Celui d’atteindre un « équilibre » entre droit des éditeurs aux profits, droit des auteurs aux redevances et droit collectif à l’éducation et à la science, qu’ils estiment prépondérant aux deux autres dans une société de savoir.
À une époque où les manuels et les rapports universitaires manuscrits sont rarement utilisés, mais plutôt rendus accessibles sur le Web, Mme Piron questionne le fait de faire payer à des étudiants des contenus déjà existants sur la toile. Copibec devient progressivement « un intermédiaire qui n’a plus lieu d’être présent en milieu universitaire tellement le paysage des publications savantes a changé », explique-t-elle.
Plus loin encore, M. Charbonneau croit que l’UL est l’une des seules institutions québécoises « à avoir effectué un travail bibliothéconomique rigoureux ». En continuant de payer leur licence à l’organisme, les universités québécoises refilent selon lui la facture à une génération qui fonctionne autrement. Il y a une urgence « d’attaquer la doxa dominante du droit d’auteur », dit-il.
Sur ce point, pour répondre aux deux auteurs, Mme Couette affirme que rien n’empêche de distribuer ses œuvres en accès libre avec la licence de Copibec et le droit d’auteur.
« Les gens comme M. Charbonneau, qui préfèrent et qui veulent permettre aux étudiants d’utiliser les oeuvres, eh bien ils peuvent le faire comme bon leur semble. C’est le choix du créateur que d’utiliser le droit de choisir comment il veut voir son œuvre être utilisée. Or, ce n’est pas parce que les besoins éducatifs nécessitent un besoin d’accès que tout accès doit être gratuit. Ça reste un service », répond-elle.
Vers de nouvelles orientations
La présidente de l’organisme espère que le nouveau rectorat de Mme. D’Amours se montrera plus « ouvert » sur la question et qu’elle réglera « cette situation désastreuse » avec de nouveaux regards. « La décision de la Cour d’appel d’autoriser notre recours nous donne raison et légitimise bel et bien le fait de se poser des questions », note-t-elle.
La défaite de l’Université York face au copyright, il y a quelques mois, doit être considérée, selon Mme Couette. « Il y a beaucoup d’éléments pour que la rectrice prenne une bonne décision et mette enfin terme à ce litige-là qui donne une très mauvaise image à son institution », poursuit-elle.
Il y a quelques semaines, le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin, s’est prononcé sur la révision de la loi sur le droit d’auteur et a réaffirmé la nécessité de protéger les revenus des titulaires de droit. Une position gouvernementale bien reçue chez Copibec.
Or, M. Charbonneau rappelle que, si le Parlement canadien a créé toute une panoplie de nouvelles exceptions dans la Loi sur le droit d’auteur en 2012, il a également fondé un nouveau droit au profit des titulaires : celui de rendre accessible sur Internet. « Les universités du Québec – et surtout l’Université Laval – ont simplement diligemment suivi le pas », conclut-il.
Chiffres pertinents
3/4 : Part du numérique des acquisitions dans les bibliothèques du réseau universitaire québécois.
2/3 : Part du budget d’environ 30M $ des bibliothèques publiques du Québec qui est réservé à l’acquisition de collections entièrement numérique.
12M $ : Dépenses totales de l’Université Laval en 2015 pour des ressources documentaires d’auteurs. Seule l’Université McGill paie plus, avec 19,8M $.
70M $ : Dépenses totales de toutes les universités québécoises en 2015 pour des ressources documentaires d’auteurs.
Notons que tous ces chiffres sont évidemment susceptibles de varier dans le temps.