Photo : Barbotin Elia

La lecture, une activité interactive

L’amour de la lecture prenait toute la place les 29 et 30 septembre derniers au pavillon central du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) alors que Notre bibliothèque y était présentée. Organisé par le Théâtre Périscope et le Théâtre Blanc, l’événement offrait tant une réflexion sur la place qu’occupe la littérature dans nos vies qu’un moment de communion entre les interprètes sur scène et le public.    

Imaginé par le metteur en scène Christian Lapointe, le concept des deux soirées ne se limitait pas qu’aux deux blocs de 12 lecteurs-performeurs occupant la scène pour une demi-heure chacun. Il se voulait une expérience interactive et immersive dans laquelle le spectateur pouvait modestement changer la donne. Des boîtes à livres ont en effet été installées autour du Théâtre Périscope quelques semaines avant le happening, garnies tout d’abord par des librairies du quartier, avant d’atteindre entièrement leur rôle de passeuses de culture: les habitants des environs pouvaient y prendre les documents qui les intéressaient et y en déposer d’autres. Ces bibliothèques de rue furent un véritable prolongement de la présentation en salle. 

Dès le vendredi 29 septembre, le public pouvait apercevoir l’accumulation de ces livres tout près de la scène, une véritable petite montagne de titres aux styles et aux auteurs divers, et y ajouter les leurs au fil des soirées, manière de prix d’entrée pour accéder à la salle. 24 personnalités de plusieurs domaines, certaines provenant du milieu théâtral, d’autres du monde du journalisme, de la traduction, de la chanson, étaient alors invitées à choisir parmi la pile afin de meubler 30 minutes de lecture à vue, sans préparation ni mise en scène. Accompagnés par deux musiciens improvisateurs, les lecteurs avaient carte blanche quant au choix des livres, la sélection des extraits dans ceux-ci, la manière de réciter les textes, de les jouer dans certains cas.  

Chacun dans son univers 

Notons, parmi les moments marquants de la première de Notre bibliothèque, la participation en ouverture du rappeur et historien Webster, celle de la poète et auteure Érika Soucy, qui a grimpé au sommet de la pile de livres avant de faire la lecture de sa sélection à l’assistance, ou bien celle de la comédienne Pascale Renaud-Hébert, lisant des extraits d’un livre se promettant de réduire le stress chez ses lecteurs. 

La deuxième soirée a notamment été agrémentée par la présence de l’auteure et comédienne Catherine Dorion, du comédien Jack Robitaille qui a présenté, parmi quelques autres extraits, une lecture particulièrement irrévérencieuse d’un roman du Français Frédéric Beigbeder, de Bernard Gilbert, directeur général de la Maison de la littérature et bientôt du théâtre Le Diamant, livrant de longs passages de L‘Étranger d’Albert Camus sans accompagnement musical. Le directeur artistique Christian Lapointe a finalement offert une intense livraison de textes variés, certains à caractère politique, pour clore l’événement.  

L’ambiance musicale créée par le duo Stéphane Caron et Frédérick Desroches était particulièrement importante tout au long des soirées, en proposant sans pour autant imposer un rythme de lecture à certains improvisateurs, ou bien en illustrant par les sons la tension entre deux personnages romanesques, une scène se déroulant en Russie ou bien en Amérique du Sud. Des lecteurs se sont même permis d’interagir avec eux, les mettant au défi, sourire en coin, d’agrémenter l’interprétation de leur nouvelle trouvaille. 

Notre bibliothèque revivra sur la scène du Théâtre de Quat’Sous à Montréal en janvier 2018, puis à Bruxelles, au Théâtre 140, à l’automne 2018. Deux cohortes de nouveaux lecteurs représentatives de chacune de ces villes seront sélectionnées d’ici là. 

Un créateur engagé dans sa communauté

Afin de bien comprendre la démarche du directeur artistique Christian Lapointe, les projets ayant mené à la réalisation du happening théâtral et littéraire Notre bibliothèque ainsi que ceux qui pourront en découler, Impact Campus s’est entretenu avec lui quelques jours avant la tenue de l’événement.  

L’idée d’organiser un marathon de lecture en continu trouve ses origines dans l’investissement personnel colossal du metteur en scène et comédien dans une entreprise datant de mai 2015: offrir sur scène la lecture de l’intégral d’Antonin Artaud, le créateur du théâtre de la cruauté. Trois jours, tout près de 70 heures de lecture et très peu de repos pour l’artiste, avant que le rideau ne tombe enfin. La représentante d’un théâtre à Bruxelles, sous le choc, lui a alors offert de renouveler ce genre de proposition. Chez Lapointe, la volonté de mettre de l’avant la lecture comme acte artistique autant que citoyen fait bientôt germer l’idée des bibliothèques collectives comme prolongement d’un projet de scène. 

« J’associe naturellement la pensée critique et la lecture, donc je pense que l’accessibilité à la lecture, c’est important », affirme-t-il d’entrée de jeu. L’analphabétisme demeurant un enjeu majeur au Québec, Christian Lapointe considère que sa place dans la société civile lui intime le devoir de faire sa part, de redonner à sa manière aux laissés-pour-compte. « Un théâtre, c’est bien qu’il entretienne des liens avec son quartier » avance-t-il, ajoutant que les bibliothèques libre-service « deviennent une extension du théâtre, pour donner à lire aux citoyens ». 

Vers un rapport relationnel avec le public 

En remplaçant l’habituel prix d’entrée par un appel aux dons de livres, le directeur artistique, qui était épaulé dans sa tâche par Marie-Hélène Gendreau, entendait enrichir la matière première pour la lecture à vue des invités, mais également substituer le rapport transactionnel avec le public par un rapport davantage relationnel. Au traditionnel « je vous vends un produit et vous payez 50$ pour voir une pièce que vous espérez aimer», le créateur a préféré prioriser le geste citoyen du partage de la culture.  

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