Long monologue sur la tendresse

On commence la lecture de La fêlure de Thomas, 33e roman dHugues Corriveau et on est excité, curieux et impatient. Un auteur expérimenté, gagnant de nombreux prix, parle d’un gamin commettant un double meurtre. Il y a clairement quelque chose qui nous attend 

Pourtant rapidement un premier défaut apparaît, mais on pardonne, on a envie de continuer, mais un autre se rajoute, puis un autre, puis encore un autre jusqu’à ce que, rendu au milieu du livre, on se sente embourbé et on se questionne très sérieusement sur les raisons d’affronter l’autre moitié. 

L’histoire est simple: Thomas tue deux voleurs dans un dépanneur après que ceux-ci aient assassiné sa caissière préférée, qui lui laissait faire de petits vols à la tire. Celui-ci court se réfugier dans sa chambre où se mêle au drame le souvenir de son frère décédé. S’en suit une longue description d’un choc post-traumatique auquel s’ajoute la mère opprimante et le policier essayant inversement d’être doux, patient et compréhensif. 

Un bien mince récit

Le problème est que ceci n’est pas un résumé de l’intrigue, mais du livre en entier. Ce qui aurait dû être une prémisse est un roman. Ce qui aurait pu s’étendre sur six mois se passe en une soirée et n’y gagne rien: pas de sentiment d’urgence, pas de tension, pas d’instantanéité, mais par contre une belle stagnation dans la psychologie des personnages qui mène rapidement à l’ennui.

Au bout de 80 pages, Thomas est Thomas, le policier est le policier et la mère est la mère, chacun étant défini dans une sorte de stéréotype simpliste et ennuyant. Ceci aurait encore pu être intéressant, l’auteur cherchant à nous offrir des tableaux expressionnistes plutôt que des labyrinthes mentaux. Le problème est que là encore, on dirait rapidement que c’est toujours le même qui se répète. Même la mère, qui n’a droit à son chapitre propre qu’au milieu du récit, est depuis le début tellement ressassée avec les mêmes thèmes, les mêmes expressions, voire le même champ sémantique, qu’on a l’impression de se faire offrir quelque chose qu’on a déjà lu.

Au final, l’auteur se répète tellement, sur tous les aspects, que plus on progresse et plus la lecture devient lourde, les mêmes thèmes, expressions, événements revenant sans cesse. 

Style riche et fleuri

Pour camoufler ces faiblesses, l’auteur semble tout miser sur sa plume. Est-ce qu’Hugues Corriveau écrit bien? La réponse est sans hésitation oui, mais il n’écrit pas assez bien pour sauver le livre. Le style est très fleuri et riche, ce qui mène parfois à quelques perles comme « je suis le rien du tout du rien » ou « grasse et laide, vieille couveuse avachie, sempiternelle litanie du soir avec des chapelets plein la mémoire », mais elles se retrouvent au final diluées dans des dizaines de phrases du même genre, mais moins efficace. Cela donne un peu l’impression que l’écrivain croit que nous gaver de dessert constitue un repas.  

Encore une fois, cela pourrait passer si le véritable problème n’était pas l’absence de rythme. Qu’on lise Cohen, Huysmans ou Céline, chacun semble progresser en suivant une cadence soutenue qui structure le texte et vient mettre en valeur le style. Dans La fêlure de Thomas, on a plutôt l’impression d’observer un jeune soliste piaffant qui se laisse emporter et en oublie le métronome. Il suit le rythme, le quitte, va plus vite, puis moins vite, avant de faire un détour par un thème musical sans lien, de revenir au métronome et de repartir dans une autre direction.  Ainsi des phrases comme « l’abjection de sa merde sans cesse revenue » ou « je n’en pouvais plus de sa merde et de sa merde encore » donnent l’impression que l’auteur a perdu son contrôle et sa discipline, croyant trouver un effet choc, alors que le tout ne crée qu’un malaise.  

Or, des phrases dissonantes de ce genre, il y en a beaucoup, ce qui vient à chaque fois briser l’ambiance que l’auteur cherche désespérément à créer. Celui-ci décrit le livre comme étant sur le thème de la tendresse, ou peut-être serait-il plus juste de dire sur l’absence de tendresse. On ressent ce thème tout au long du roman et on comprend rapidement que c’est la véritable trame narrative, les événements n’étant quasiment qu’une excuse pour l’exposer. Cela mène à quelques moments touchants qui parviennent à venir nous chercher, mais les autres défauts sont si présents, si lourds, rappelés à notre mémoire sur une base si régulière, qu’ils empêchent toujours le livre de prendre son envol. 

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