Sorti il y a à peine cinq jours, La parfaite victime, un documentaire de Émilie Perreault et Monic Néron, a déjà fait couler beaucoup d’encre. À la suite du mouvement #metoo, les journalistes et réalisatrices ont suivi des victimes d’agression sexuelles tout au long de leur processus judiciaire et ont tenté de comprendre comment le système traitait ses victimes.
Réalisation : Monic Néron, Émilie Perreault | Montage : Frédéric Nassif | Musique : Benoit Pinette | Images : Pierre-Etienne Bordeleau
Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre aux arts
Ce qu’on fait dire aux chiffres
Le désavantage d’un journal étudiant, c’est notre temps de réaction. On est souvent les derniers sur une nouvelle, parce que manque d’effectifs et de moyens. Mais l’avantage d’un journal étudiant, c’est aussi notre de temps de réaction. On a le temps de décanter, de discuter, de lire sur le sujet. Sauf que des fois, ça complique les choses. Et la critique de La parfaite victime, c’est une de ces fois-là.
La première chose qui m’a accrochée dans mes lectures, ce sont les statistiques. Dans le film, on établit un 18%. Un 18% quand même important, parce qu’un peu en fond de trame du film. Ce 18%, si on le prend vite, on pense que c’est le pourcentage de plaintes autorisées par le DPCP (plaintes qui mènent à des accusations). Mais oh oh, quelques jours après la sortie du film, Yves Boisvert, chroniqueur à La Presse, nous arrive avec une nouvelle statistique offerte par le DPCP : 71% des plaintes auraient été autorisées en 2020.
Est-ce que les journalistes Émilie Perrault et Monic Néron ont menti ? Non, leurs chiffres aussi sont bons. Ils ne veulent seulement pas dire la même chose. Le 18%, ça compte du moment où quelqu’un toque à la porte du SPVM pour porter plainte à celui où une accusation est déposée. Le 71%, c’est à partir du moment où la plainte est déposée par le SPVM au DPCP. Il y a donc 54% des plaintes initiales qui ne se rendent pas entre les mains du DPCP. Pourquoi ? Ça, je ne sais pas. Mes maths s’arrêtent ici.
Mais tout ça pour dire que les chiffres, c’est dangereux, on ne peut pas les décontextualiser.
Par ailleurs, il faut savoir que la démarche des deux réalisatrices a été assez intègre et rigoureuse. Elles ont d’abord demandé au DPCP de fournir les chiffres. Pas de réponse. Elles ont donc fait des demandes d’accès à l’information et ont calculé leurs affaires. Elles ont soumis le fameux 18% au DPCP en lui demandant de rectifier le nombre s’il y avait lieu de le faire. Rien. C’est seulement après la sortie du film, où évidemment sa crédibilité est atteinte, que le DPCP a donné ses chiffres.
Mais si je peux me permettre une petite critique (c’est mon papier, je peux bien si je veux), c’est que du côté des réalisatrices comme du côté du chroniqueur de La Presse, les statistiques qu’on a, on les tient du DPCP de Montréal. Sauf que Montréal, ce n’est pas tout le Québec ni tout le Canada. Je miserais 20$ que ce ne sont pas les mêmes chiffres pour le DPCP de Sept-Îles.
Subjectivité et vérité
Évidemment qu’une partie du système judiciaire se sent brusquée, évidemment qu’elle veut tout nuancer. « Non, c’est pas de même que ça marche, non, c’est pas ça, vous vous trompez » répétait une juriste aux réalisatrices au Q&A hier soir. Je pompais un peu, visiblement, elle n’était pas là pour discuter.
J’avais envie de lui dire « Madame, le public n’est pas cave. » On le sait que Claude F. Archambault, ce n’est pas un porte-parole des avocat.es de la défense, on le sait qu’il est radié, on le sait aussi que les procureurs de la couronne font tout ce qu’ils et elles peuvent, on le sait que les juges sont souvent assez bienveillant.es. Ce n’est pas ce que le film s’attarde à démonter, ce n’est pas que la vision des juristes est fausse, c’est que dans ce documentaire-là, la voix qu’on veut entendre, c’est celle des victimes. Et leur sentiment, celui de devoir toujours se justifier, se prouver, se rendre crédible, il est vrai, puis ça, ce n’est pas discutable.
Par ailleurs, le mot de la fin est laissé à un avocat de la défense et déplace le propos du film dans une dimension qui dépasse largement le spectre judiciaire.
Je ne pense pas qu’objectivité et vérité vont forcément de pair, et je crois que la force du documentaire de Néron et de Perreault réside justement dans sa subjectivité. On ne prétend pas être objectif, c’est évident qu’on est du côté des victimes, et c’est tant mieux.
La parfaite victime n’existe pas vraiment au final, mais c’est un sentiment qui persiste chez les victimes d’agressions sexuelles, comme une impression de ne pas suffire que les réalisatrices montrent bien et qui ne laisse absolument personne indemne.
Faire des choix
L’heure et demie du film s’achève, et on en voudrait plus, peut-être pas là, parce que c’est beaucoup, mais après une petite pause, on voudrait plus d’infos, plus de justice réparatrice, plus de points de vue. Quand je demande à Monic Néron pourquoi Émilie Perreault et elle ont opté pour un long-métrage plutôt qu’une série documentaire, elle me répond que le cadre de consommation n’est pas le même et qu’il a certainement un effet sur « l’efficacité du film ». Elle a raison, l’attention est toute autre dans une salle noire sans intermittence que chez soi entre deux brassées de lavage et les notifications Messenger.
Autre choix important : celui des victimes à l’écran. Les victimes qu’on écoute, les victimes auxquelles on s’attache, les victimes qu’on souhaiterait assurément voir gagner. Pour la diversité, il y a eu un effort sincère. Parmi les « victimes principales », on a une personne plus âgée, un homme blanc, une femme à la peau noire et une femme blanche. Il y a aussi des représentant.es de la communauté LGBTQIA2+ et des communautés autochtones.
Le seul hic, c’est l’absence des marginalisé.es. Et je pense qu’il y a une nuance entre diversité et marginalité. Les victimes de Néron et Perreault attirent la sympathie, celle du public je veux dire. Elles sont les parfaites victimes à mettre à l’écran au sens où à peine quelques secondes après le début de leur témoignage, on a envie de se battre pour elles. Et c’est tant mieux. Mais comme public, j’aurais voulu être confrontée aux aléas de mon empathie, voir si moi aussi j’étais bourrée de biais inconscients comme le système de justice lui-même.
Le contenu au détriment de la forme ?
J’ai demandé à Monic Néron quelle place avaient pris les dimensions cinématographique et esthétique dans le film. Elle m’a répondu le plus honnêtement du monde, qu’elle et Émilie Perreault avaient accordé aucune importance à cette dimension. Pourtant, au visionnement, j’avais l’impression que oui, il y avait un certain travail de l’image (et du son). Je doute qu’elles n’y soient pour absolument rien, mais c’est certain, le montage de Frédéric Nassif, les plans de Pierre-Etienne Bordeleau et la musique de Benoit Pinette (Tire le Coyote) portent bien le propos.
Le doute raisonnable, le doute raisonnable, c’est pas une raison pour se faire mal
Ce n’est pas une surprise pour personne, en droit criminel, il y a des notions essentielles dont la présomption d’innocence et le doute raisonnable. La présomption d’innocence, tout le monde comprend en gros ce que c’est. Le doute raisonnable, pour vous et moi, c’est un peu plus complexe, un peu plus flou. Eh bien, dans La parfaite victime, pour les juristes aussi ça semble flou et dur à définir. Dans un passage visiblement satyrique, on voit des femmes et des hommes de loi tenter de définir ce qu’est le doute raisonnable. Personne n’y arrive vraiment, du moins, pas dans le montage final qu’on nous montre.
Est-ce que ça veut dire qu’ils et elles ne maîtrisent pas le concept ? Peut-être pas. Après un bac en littérature, je pense comprendre ce qu’est un narrateur. Je suis capable de l’identifier dans un livre, de comprendre ses fonctions, mais si vous me demandiez à froid, là, de définir ce qu’est un narrateur, je prendrais peut-être un peu de temps pour réfléchir, je sortirais même mes notes de narratologie.
Et un doute raisonnable, ça ne se bâtit pas qu’avec une impression, ça se bâtit avec des textes de loi, de la jurisprudence, de la doctrine. Le doute raisonnable est essentiel dans une logique de « laisser 10 criminel.les en liberté pour éviter d’emprisonner un.e innocent.e. » Là où il n’est pas viable, et c’est ce que le film et le segment mettent à mal, c’est dans les procès d’agressions sexuelles, parce que même si souvent le ou la juge croit davantage le témoignage de la victime, environ 50% des cas plaidés devant la cour se soldent par un acquittement.
La mauvaise foi et complaisance
Ce que j’ai lu et entendu le plus dans les derniers jours, c’est le manque de nuances. J’ai lu certaines critiques dithyrambiques, ce que je peux arriver à comprendre à la limite, mais j’ai aussi vu/lu beaucoup de mauvaise foi.
D’une part, y’a les juristes qui se braquent, c’est normal, moi aussi, si demain matin on attaquait ma discipline, je ferais pareil. Mais j’espère que je serais capable de faire la part des choses et surtout, de faire une introspection sur nos pratiques.
D’autre part, j’ai lu/entendu certain.es dire que le film pourrait décourager des victimes d’agressions sexuelles de porter plainte, et ça, pour vrai, c’est de la mauvaise foi accotée. La parfaite victime montre les failles du système de justice, le manque de confiance qu’on peut avoir à son égard, mais c’est toujours bien pas le film qui les a craquées ces failles-là. Il les montre pour qu’on les répare, pour qu’on soit solidaires.
Crédits photo : Films Séville