Entre les associations étudiantes en grève, celles pas en grève, les communiqués de l’Université Laval et ceux du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL), les publications et les commentaires sur la page Spotted, notre envie de ne pas devenir que des numéros d’identification pour nos professeur.es et celle de terminer notre session à la fin d’avril, il est difficile de voir clair. Nous tentons donc aujourd’hui de démêler tout ça. Lumière sur la grève du SPUL, ses enjeux et les négociations avec l’Université.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef et Jade Talbot, cheffe de pupitre actualités
La chronologie des événements
31 mai 2020 au 29 janvier 2021
Le 31 mai 2020, la Convention collective du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval (SPUL) vient à échéance. À l’automne 2020, le syndicat et l’Université débutent les négociations pour le renouvellement de la convention collective, cependant, avec la pandémie de COVID-19, les deux parties s’entendent pour reconduire les négociations à un moment où le contexte sanitaire le permettrait. Dans la Lettre d’entente pour la reconduction de la convention collective du SPUL-UL (2016-2020) signée le 29 janvier 2021, les parties s’accordent pour reprendre les négociations au plus tard le 1er septembre 2022, soit trois mois avant la fin de l’échéance de la lettre d’entente pour la reconduction de la convention collective.
27 mai au 28 septembre 2022
Le 27 mai, le Cahier des charges détaillé est adopté à l’unanimité par le Conseil syndical et envoyé à l’Université Laval. C’est donc plusieurs mois avant la date limite du début des négociations que le syndicat envoie ses demandes à l’Université. Du côté de l’Université Laval, le Cahier des demandes et le comité de négociation sont dévoilés au SPUL le 1er septembre 2022, soit la date la plus tardive où les négociations devaient reprendre entre les parties et environ trois mois après avoir reçu le Cahier des charges détaillé du syndicat. Il faut cependant attendre au 28 septembre 2022 pour qu’une première rencontre de négociation ait lieu.
1er décembre 2022 au 20 janvier 2023
Le 1er décembre 2022, la Lettre d’entente pour la reconduction de la convention collective du SPUL-UL (2016-2020) arrive à échéance. C’est également cette journée-là qu’a lieu la sixième rencontre de négociation entre le SPUL et l’Employeur. Le 20 janvier, après une huitième rencontre avec l’Employeur, le syndicat se rassemble en Assemblée générale extraordinaire afin de discuter sur l’exercice des moyens de pression pour la session d’hiver 2023. À l’occasion, plus de 630 professeur.es étaient présent.es et 96% d’entre elleux ont voté en faveur d’un mandat de grève proposé par le comité exécutif du SPUL. Si les négociations n’aboutissent pas, une grève d’une durée de deux semaines aura lieu, soit du 20 février au 3 mars 2023. Il s’agit, selon le syndicat, d’une mobilisation et d’un mandat historique. La même journée, l’Université Laval a « déposé une demande de conciliation au ministère du Travail pour qu’une personne conciliatrice soit nommée, afin de soutenir les parties et de faciliter les rapprochements nécessaires à la conclusion d’une entente, dans le meilleur intérêt de l’ensemble de la communauté universitaire » (Équipe des relations publiques et protocole, UL, 1er mars 2023).
24 janvier au 8 février 2023
Le 24 janvier, une personne conciliatrice a été nommée. Le 8 février, une dixième rencontre entre le SPUL et l’Université a lieu. Il s’agit également de la première rencontre en présence de la personne conciliatrice.
20 février au 26 février 2023
Le 20 février, comme convenu lors de l’Assemblée générale des membres du SPUL, marque le début de la grève des professeur.es. Au matin, des centaines de professeur.es se sont rassemblé.es au Grand Axe pour une manifestation qui a eu lieu sur le campus de l’Université. On apprend à ce moment que certains gains ont été faits depuis le 20 janvier, mais que ceux-ci sont relativement mineurs face à l’ensemble des demandes du syndicat. Un changement d’attitude de l’Employeur à la table des négociations aurait été remarqué par les membres du comité de négociation du SPUL.
Cette première semaine de grève a également été marquée par l’appui de plusieurs associations étudiantes, où certaines sont même entrées en grève pour soutenir le syndicat et ses revendications. Le 25 février, une ligne de piquetage de l’Association des étudiant.es en sciences sociales de l’Université Laval (AÉSS) s’est dressée devant un examen, pour finalement être réprimée par une intervention du Service de police de la ville de Québec (SPVQ) (lire l’article complet ici).
actualités 27 février au 2 mars 2023
Le 27 février, une vingtième rencontre de négociation a eu lieu entre le SPUL et l’Université. Le 1er mars, le SPUL organisait une manifestation au centre-ville de Québec. Selon les estimations du syndicat, environ 800 personnes auraient participé à la manifestation. La marche, qui débutait devant l’École d’architecture a pris fin au coeur du quartier Saint-Roch où des membres de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) et de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) ont pris la parole pour démontrer leur soutien aux SPUL. Un bref retour sur l’état des négociations a également été présenté par Madeleine Pastinelli, porte-parole du comité de négociation du SPUL. Selon le syndicat, plusieurs éléments importants des revendications sont encore à négocier. Du côté de l’Université, on affirme qu’« environ 85 % des aspects normatifs ont été négociés jusqu’à maintenant. Plusieurs éléments importants ont été réglés » (Équipe des relations publiques et protocole, UL, 1er mars 2023). Ce matin, 2 mars, avait lieu une Assemblée générale spéciale du SPUL. Après avoir présenté aux membres l’état de la situation, un vote pour une grève générale illimitée devant débuter le 13 mars a été proposé, puis adopté par près de 94,5% des membres présents. Un blitz de négociation devant débuter aujourd’hui a également été annoncé par le syndicat et l’Employeur.
Les conséquences de la grève
D’abord, la grève générale illimitée commencera le 13 mars, les professeur.es travailleront donc pendant la semaine de lecture et seront en mesure d’échanger avec leurs étudiant.es. En ce qui concerne l’annulation de la session, il faudra attendre le développement des négociations. Rappelons toutefois qu’il est rarissime qu’un événement mène à l’annulation d’une session. Il a également été question de la part de l’Université d’utiliser la semaine d’examens, à la fin avril, pour faire un rattrapage, cependant aucune décision n’a été prise encore. L’Université se dit déçue de la perspective d’une grève générale illimitée, mais confiante que les parties trouveront un terrain d’entente dans les meilleurs délais (informations obtenues par le billet de Félix Étienne, journaliste collaborateur). Le but de la grève générale illimitée est de mettre assez de pression sur l’Université pour obtenir des gains dans les négociations, car personne ne souhaite l’annulation de la session. Pour le SPUL, les négociations doivent se conclure par la résolution des problèmes soulevés dans leur cahier des charges, mais les solutions peuvent diverger.
Les enjeux démystifiés
Cette seconde partie tentera de démystifier les quatre principaux enjeux au cœur des négociations et de faire le point sur la progression, si progression il y a, des discussions.
La charge de travail
Au cours des deux dernières décennies, le nombre d’étudiant.es à temps plein a augmenté de 26% (FQPPU) et à la charge de travail s’ajoutent une augmentation des étudiant.es à superviser, une hausse ostensible de la bureaucratie, des demandes de subventions, de la publication d’articles, de réunions, de gestion de chaires de recherche, etc. Or, en comparaison à il y a 20 ans, les effectifs chez les professeur.es sont passés de 1530 à 1374, ce qui constitue une baisse de 11%, alors qu’on a plutôt vu une hausse moyenne de 21% dans les autres universités québécoises. Pour atteindre la hausse moyenne du plancher d’emploi des universités québécoises, il faudrait engager plus de 400 nouveaux.lles professeur.es, mais le SPUL ne réclame que 100 nouvelles embauches. À l’heure actuelle, comme les professeur.es sont en sous-effectif, mais doivent continuer « de faire fonctionner la machine », ce sont leur santé mentale, la qualité de l’enseignement (et donc les étudiant.es) et le temps consacré à la recherche – les recherches participent au bien commun rappelons-le – qui en pâtissent.
Comment avancent les négociations ?
À l’heure actuelle, les deux parties s’entendraient pour ce qui est de la charge normative, mais la question du plancher d’emploi étant étroitement liée à celle de la charge de travail, il y a encore à dénouer.
Le rattrapage salarial
De tous bords, tous côtés, on nous lance des montants, des pourcentages, mais quand on regarde ce que les deux parties nous donnent, ça ne concorde pas. Nous avons donc remonté le cours des chiffres et surtout, ce à quoi ils réfèrent.
Par exemple, l’Université Laval nous dit qu’un salaire moyen d’un.e professeur.e d’université au Québec est de 134 394$ et qu’à l’Université Laval, un.e professeur.e titulaire, au plus haut échelon, a un salaire annuel de 155 000$. Or, pour établir un comparatif, on se doit de prendre le salaire moyen d’un.e d’un.e professeur.e qui lui est de 126 966$ (Statistiques Canada).
À quoi se comparer ?
L’enjeu qui se pose quand on parle de rattrapage salarial, c’est l’objet de comparaison qu’on choisit d’établir. Les deux objets de comparaison qui ont été utilisés sont l’U15, c’est-à-dire le classement des universités canadiennes en recherche, classement où l’Université Laval figure pour l’instant sixième, et les autres universités québécoises. Toutefois, aucun des deux points de comparaison ne conviennent tout à fait si on les prend comme ça.
On ne peut pas comparer l’Université Laval à toutes les universités québécoises, puisque nos effectifs et surtout, nos performances en recherche ne sont pas les mêmes. On ne pourrait pas non plus simplement comparer les salaires de l’Université Laval à ceux d’autres universités hors-Québec faisant partie de l’U15, parce que le coût de la vie n’est pas le même dans toutes les villes et provinces du Canada. L’idéal semble donc, et le SPUL le souligne, de se comparer aux universités québécoises qui font aussi partie du U15 soit McGill et l’Université de Montréal avec qui, en plus, on partage un nombre d’étudiant.es similaire. Et, en effet, les salaires moyens de McGill et de l’Université de Montréal sont considérablement plus élevés soit 140 876$ et 137 304$ (Statistiques Canada) respectivement.
Et si on souhaite établir une comparaison avec les autres universités du U15 en considérant l’indice de prix à la consommation (IPC), soit le coût de la vie, l’Université Laval n’arrive tout de même que treizième au classement. Donc l’IPC pris en compte, le salaire moyen d’un.e professeur.e de l’Université Laval demeure 13% moins élevé que la moyenne de l’U15.
Ce que réclame le SPUL, ce que répond l’Université
On nous dit dans certains médias que le SPUL réclame une hausse de salaire de 20%, c’est aussi la position de l’Université. Pourtant, dans le cahier des charges du SPUL, la hausse demandée est de 12,1%, ce qui ne serait donc pas suffisant pour rattraper la moyenne de l’U15, mais ce qui suffirait à rejoindre les salaires moyens de McGill et de l’Université de Montréal et même de les dépasser légèrement. L’autre hausse demandée par le SPUL, de 4,8%, est en fait une indexation qui s’additionnerait au 2% reçu en juin, pour un total de 6,8%, ce qui équivaut au taux d’inflation de l’année précédente. Il ne s’agit pas d’une hausse à proprement parler, mais bien d’un pourcentage visant à restaurer le pouvoir d’achat, c’est aussi une mesure qui a été prise par bon nombre de syndicats. L’autre hausse est hypothétique et concernerait une éventuelle augmentation de l’IPC, c’est avec cette dernière que l’Université arrive à une hausse totale approximative de 20%.
On peut se demander pourquoi demander un salaire moyen qui dépasserait ceux de l’Université de Montréal et de McGill est nécessaire. D’abord, c’est que pour demeurer « une université d’impact », une université de recherche qui ne soit pas qu’« une machine à diplômes », il faut attirer des futur.es professeur.es qui s’inscrivent dans une dynamique de recherche. Ensuite, il y a la question du rattrapage, parce que l’écart de salaire dénoncé par le SPUL date de plusieurs années. Puis, on pourrait aussi y voir une stratégie négociatrice.
Pour l’Université Laval, la hausse demandée semble déraisonnable, il faudrait « tenir compte du respect de la capacité de payer de l’Université », pour le SPUL, il s’agit surtout d’une question de choix. En effet, le syndicat souligne que la masse salariale des cadres et des dirigeant.es aurait augmenté de 96%, donc presque doublé, alors que celle des professeur.es n’aurait augmenté que de 37% pour la même période (2008-2019). À cela, l’Université répond que l’augmentation des salaires des professeur.es aurait augmenté de 22% et que celle de la direction de seulement 15,39%. Alors, qui dit vrai ?
En fait, c’est que les statistiques émises par les deux groupes ne réfèrent ni aux mêmes personnes ni à la même chose. Quand le SPUL parle de la direction, il parle des doyen.nes, des vice-doyen.nes, des directions des départements, etc., alors que l’Université Laval parle de la toute petite poignée de la haute direction comme le rectorat, le vice-rectorat, etc. (dont les salaires sont par ailleurs considérablement plus bas que dans des universités de même taille). Puis, de son côté, le SPUL parle de la masse salariale et l’Université Laval, des salaires.
Or, dans le cas qui nous occupe, il nous semble plus juste d’utiliser comme donnée la masse salariale et son augmentation en pourcentage, puisqu’elle nous permet de prendre une plus juste mesure du nombre d’employé.es, du salaire et de l’impact sur le budget qu’a chacun des corps d’emploi. Et si on se fie au Système d’information financière des universités (SIFU), l’augmentation de 96% de la masse salariale des cadres et de la direction mentionnée par le SPUL est véridique.
Comment vont les négociations ?
C’est un point sur lequel, pour l’instant, les avancées semblent nulles.
La liberté et la transparence universitaire
Le troisième point névralgique du cahier des charges du SPUL concerne la liberté académique, la transparence universitaire et la collégialité.
La liberté académique
L’enjeu de la liberté académique, pour le SPUL, comprendrait tant le contenu abordé dans les cours que le choix des méthodes pédagogiques utilisées (on pourrait penser ici au cas du professeur Jean-Pierre Derriennic l’an dernier), puisque pour le SPUL, les professeur.es sont les expert.es de leur champ d’expertise. Si la question du contenu abordé en est une épineuse que nous éviterons aujourd’hui, il va sans dire – nous en avons tous déjà payé les frais lors de notre passage à l’université – que toustes les professeur.es ne sont pas des pédagogues, cela dit, l’administration non plus.
La collégialité et la transparence
Les deux parties souhaitent une gestion de l’Université qui soit collégiale, or, leur conception de la collégialité diffère. Pour l’Université, la collégialité peut être basée sur un mode consultatif où, par exemple, certain.es professeur.es pourraient être consulté.es lors de la prise de position ou de décision. Pour le SPUL, la collégialité ne s’arrête pas aux simples instances de consultation, il faudrait que l’ensemble du corps professoral puisse prendre part, d’une façon ou d’une autre, aux processus décisionnels.
Le SPUL demande également que les débats de l’Université ne soient plus tenus à huis clos comme c’est souvent le cas actuellement. Le syndicat cite en exemple les débats et les décisions prises à huis clos à l’Université Laurentienne qui ont mené à la mise à pied de plusieurs professeur.es ainsi que la fermeture de plusieurs programmes francophones.
Où en sont les négociations ?
Les négociations continuent, mais les avancées de ce côté-ci sont minimes.
La sécurité d’emploi
Le SPUL demande essentiellement que les situations de professeur.es aux statuts précaires soient régularisés et que la gestion des plaintes – plaintes qui accablent souvent les professeur.es plus précaires – se fassent selon certains principes généraux comme le droit d’être entendu.e et le droit de répliquer.
Où en sont les négociations
Si les deux parties s’entendent sur certains éléments, le plus gros est encore à faire.
Pour la suite des choses
Comme mentionné précédemment, de nombreuses séances de négociations sont prévues dans la prochaine semaine. Comme étudiant.es, il est évident que l’on souhaite un règlement qui soit rapide et qui soit le moins dommageable possible sur notre session et sur ça, d’une part et d’autre de la table des négociations, ça semble s’entendre (c’est presque le seul point sur lequel les parties s’entendent cela dit). Mais il faut aussi que l’entente qui sera adoptée soit pérenne, et qu’elle soit bénéfique pour l’ensemble de la communauté universitaire et plus largement, à l’extérieur de nos murs aussi.