Photo : La presse canadienne / John Woods

1914-1918 : un panorama de la Première Guerre mondiale et de son héritage

Il y a 105 ans, le 11 novembre 1918 à onze heures sonnait la fin des combats avec la signature de l’armistice. Ce dernier marque un tournant du XXe siècle: il a changé la face du monde, et les conséquences sont encore visibles aujourd’hui, surtout en Europe. Pourtant, la Première Guerre mondiale a parfois pu être réduite à un simple moyen de planter le décor de la Seconde Guerre mondiale. En ce jour du Souvenir, Impact Campus vous propose de (re)découvrir ce conflit pour savoir pourquoi certains pays dans le monde commémorent encore cette guerre. Comme le sujet est très vaste et que je suis française, j’ai teinté mon exposé sur le front de l’Ouest tout en gardant la perspective internationale. C’est aussi parce qu’il s’agit du seul front où les Canadiens ont combattu.

Par Lucie Bricka, collaboratrice

La Poudrière de 1914 : l’étincelle qui déclenche l’enfer

En 1914, l’Europe est une poudrière prête à exploser à tout moment. Face à ce constat, des alliances se forment entre les différents pays européens. On en compte deux majeures : la Triple Alliance et la Triple Entente. La première comprend l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Italie, tandis que la seconde est constituée de la France, du Royaume-Uni et de la Russie. Elles servent à éviter des guerres et à se protéger mutuellement en cas d’agression.

Le 28 juin 1914, l’archiduc d’Autriche François Ferdinand est assassiné à Sarajevo, par Gavrilo Princip. À ce moment, cet attentat est perçu comme un fait divers malheureux. C’est pourtant l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres. En effet, un mois plus tard, l’Empire austro-hongrois utilise cet assassinat comme prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie et régler des conflits territoriaux, le 28 juillet. La Serbie fait alors appel à la Russie pour lui venir en aide, et celle-ci accepte deux jours plus tard. Commence alors un jeu de dominos où tous les pays s’engagent les uns après les autres. Le 4 août, l’Allemagne, l’Empire français et l’Empire britannique sont entrés en guerre.

Le début de la guerre : une boucherie sans précédent

Dublin (1915). For the glory of Ireland/Hely’s Limited [Affiche de propagande]. https://www.loc.gov/pictures/item/2003668400/
La mobilisation générale n’est pas effective dans tous les pays. Si, en France, en Allemagne et en Russie, tous les hommes valides, en âge de combattre, sont appelés sous les drapeaux, le recrutement du Royaume-Uni et du Canada se fait sur la base du volontariat. On fait alors appel à la propagande pour enrôler les hommes. En Irlande, une affiche représente une femme pointant en direction d’une Belgique en feu et se montrant volontaire pour y aller si l’homme n’y va pas. Cela pousse les hommes à s’engager : si les femmes peuvent le faire, alors pourquoi ne le feraient-ils pas ?

Au Canada, le système de volontariat fonctionne bien. Poussés par le patriotisme, le goût de l’aventure ou la propagande, les hommes s’enrôlent assez facilement. C’est ainsi qu’à l’automne 1914, un premier contingent traverse l’océan. À ce moment-là, les pertes sont déjà énormes en Europe.

Sur le vieux continent, trois fronts sont ouverts, dont deux principaux : le front de l’Ouest, en France, et le front de l’Est, en Russie. Les premiers mois sont caractérisés par un front en mouvement, qui se déplace au gré des offensives allemandes et des contre-offensives de l’Entente. Il s’agit des mois les plus meurtriers de la guerre. Début décembre, le front se stabilise jusqu’aux Flandres de Belgique. C’est la fin de la guerre de mouvement et tout le monde se rend à l’évidence : la guerre va durer dans le temps.

La guerre des tranchées : symbole de l’absurdité du conflit 

Brun G. (2015). La guerre de 1914-1918 : principaux fronts et principales batailles en Europe et au Proche Orient [Carte] http://www.crdp-strasbourg.fr/data/histoire/1GM_combats/guerre_en_14_1.php?parent=61
Début décembre 1914, une nouvelle guerre débute : la guerre de position, dans les tranchées protégeant les soldats des bombardements et de l’artillerie lourde. L’ennui, le froid, l’insalubrité, la promiscuité régissent leur quotidien.

Les batailles de la Première Guerre mondiale sont nombreuses et sont caractérisées par des gains de terrains minimes pour des pertes humaines immenses. L’idée derrière est d’avoir une percée pour reprendre la guerre de mouvement. 

L’une des grandes batailles dans lesquelles les Canadiens et les Terre-Neuviens ont été impliqués est la bataille de la Somme, en 1916. Il s’agit d’une bataille mythique commandée par l’armée britannique. Cette bataille devait être lancée conjointement avec l’offensive russe Broussilov, l’objectif de ces deux batailles étant de soulager la pression française sur Verdun où, depuis le mois de février, les belligérants allemands cherchaient à saigner à blanc l’armée française. L’offensive est lancée le 1er juillet et dure jusqu’au 18 novembre. Les Canadiens sont envoyés le 15 septembre. Mal préparé, l’Empire britannique en paie le prix cher : on compte 402 000 blessés, disparus et morts, dont 24 000 Canadiens. Il s’agit d’une des batailles militaires les plus meurtrières de l’Histoire, symbolisant l’absurdité et l’horreur de la guerre. Dans tous les camps, elle n’est plus qu’associée à une boucherie, un suicide collectif. De nombreux cimetières du Commonwealth et quatre mémoriaux canadiens ont été édifiés dans la Somme pour se souvenir de ce massacre. Ils sont toujours visitables aujourd’hui.

Le front intérieur : et si guerre rimait avec émancipation féminine ? 

Ce qu’on appelle le « front intérieur » ou « arrière » est aussi impliqué dans cette guerre, ce qui en fait une guerre totale. Comme les hommes sont partis au front, les femmes doivent les remplacer dans divers secteurs : industrie, domaine agricole, transports… Lorsque la guerre est déclarée, il s’agit de la saison des moissons. Dans les pays où la mobilisation générale a été décrétée, les gouvernements incitent les femmes et les enfants à reprendre les travaux des champs laissés par les hommes. C’est également le cas dans les usines, qui se convertissent en majorité en usines d’armement. Dans tous les pays, les femmes sont poussées à s’engager pour produire plus d’obus. En effet, à cette époque, il s’agit d’une façon d’accomplir son devoir militaire pour une femme et de libérer un maximum d’hommes pour le front. Cela fonctionne : dans l’actuelle Autriche, on observe à cette époque une augmentation générale du taux de femmes travaillant dans les usines. Par exemple, à Vienne, en 1917, on dénombre 50% de femmes dans les usines par rapport à 32,2% en 1914. 

Le domaine médical nécessite aussi le soutien des femmes. En effet, plusieurs femmes s’engagent comme infirmières bénévoles dans les hôpitaux militaires. En France, elles sont surnommées les Anges Blancs. La Première Guerre mondiale crée de nombreux blessés. Des mutilations et des problèmes de santé inédits se présentent aux docteur·es, comme les brûlures pulmonaires, le Shell Shock (trouble psychique d’origine traumatique), ou encore les mutilations faciales. On appellera ces blessés les “Gueules Cassées”. Les hôpitaux doivent innover.

Les enfants sont également très touché·es par la guerre : tout leur univers tourne autour. Exercices d’école, jeux de société, costumes, revues, tout est fait pour que l’enfant se sente concerné·e par le conflit et pour exacerber son patriotisme.

Au Canada, les effets de la guerre se font aussi ressentir. Dans le domaine agricole, la production et les exportations augmentent pour pallier la demande internationale. Dans le domaine industriel, comme en Europe, les usines fabriquent à outrance des armes et du matériel de guerre, nécessaires à l’Entente. Les autochtones participent également à l’effort de guerre : installation de leur propre Croix Rouge, achat des obligations de la Victoire, des prêts donnés au gouvernement, don de vêtements, d’aliments… Leur implication dans la guerre a été saluée, puis utilisée comme argument de propagande pour pousser les non-autochtones à verser de l’argent au nom de la Victoire. Certaines femmes issues des Premières Nations se sont aussi engagées en tant qu’infirmières au front intérieur européen et canadien. 

Mutineries et conscription : les tournants cruciaux de 1917

Anonyme (dans la Gazette des Ardennes) (24 juin 1917). Premier couplet et refrain de la Chanson de Craonne [Photographie]
Malgré ce soutien intérieur, devant ces combats qui n’en finissent pas, les soldats et la population pètent les plombs et se rebellent. La Russie ouvre le bal en mars 1917, où les manifestations et les émeutes se multiplient, scandant « du pain », « à bas le Tsar ». Ce dernier abdique le 15 mars 1917, mais la Russie ne sort de la guerre qu’en décembre de cette même année, avec la révolution bolchevique.

Un autre exemple notable est le cas français. À la suite d’un énième échec au Chemin des Dames, les soldats se mutinent en très grand nombre : 68 divisions sur 110 sont touchées, et refusent de monter en première ligne pour servir encore de chair à canon et mourir pour rien. Les mutineries durent de mai à juin 1917 et s’apaisent avec les réformes du général Pétain.

C’est dans ce contexte chaotique que la conscription est décrétée au Canada, durant l’été 1917. En effet, à cause des pertes énormes et de l’inefficacité du recrutement volontaire, le gouvernement avait déjà élargi son recrutement en 1916. Les normes de santé avaient été abaissées tandis qu’on avait accueilli dans les rangs 3 500 autochtones, formant deux régiments spécifiques, 1 000 Noirs et plusieurs centaines de personnes d’origine de l’Asie de l’Est. Néanmoins, ces mesures sont insuffisantes et la conscription est imposée, entraînant une forte opposition des Québécois (restez à l’affût, un article à ce sujet sera publié demain, 12 novembre!).

Les Premières Nations se battent également pour être exemptées de la conscription. Leurs efforts fonctionnent : le 17 janvier 1918, elles sont officiellement exemptées du service militaire. Finalement, sur les 404 395 Canadiens obligés de s’enrôler, seuls 24 132 sont mobilisés sur le front.

La fin de la guerre : y a-t-il eu vraiment des gagnants dans cette affaire ?

En avril 1917, les Allemands torpillent un énième bateau commercial des États-Unis, qui devait apporter du ravitaillement ou des armes à l’Entente. Cela provoque leur entrée officielle en guerre. Les Américains arrivent en France vers la fin de l’année 1917.

En mars 1918, les Allemands réussissent à percer lors de la bataille du Kaiser, forçant l’Entente à reculer sur le territoire français jusqu’au 18 juillet. Puis, une nouvelle offensive de l’Entente repousse les Allemands. Le 11 novembre 1918, alors que l’Allemagne n’a plus d’allié combattant encore, et en proie à des troubles internes, l’armistice est signé et met fin aux combats à 11 heures. Autant en France qu’en Allemagne, les populations fêtent la fin de la guerre : la France a gagné, mais l’Allemagne n’a jamais été envahie par l’Entente. Il faudra attendre le 28 juin 1919, date écho à l’attentat de Sarajevo, pour signer officiellement la paix avec le Traité de Versailles.

Ravages et reconstruction : L’Héritage de la Grande Guerre

 La Première Guerre mondiale a détruit les Empires russe, austro-hongrois et allemand. Le premier s’est démantelé en 1917, tandis que le deuxième l’a fait vers la fin du conflit. Tour à tour, l’Autriche, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ont proclamé leur indépendance en octobre 1918. Le dernier est démantelé lors du Traité de Versailles. De plus, toutes les puissances européennes en ressortent affaiblies, ce qui fait que les États-Unis deviennent la première puissance mondiale.

La guerre a fait avancer les droits sociaux des femmes. En Allemagne, Hongrie, Autriche et Royaume-Uni, elles acquièrent le droit de vote grâce aux efforts de guerre qu’elles ont fournis. 

Les pays ressortent écœurés, meurtris par cette guerre. Le bilan s’élève à 9,7 millions de morts militaires, dont 66 000 Canadiens. Un mouvement important pacifique émerge, et l’état d’esprit est : « plus jamais ça ». Cette guerre a été si épouvantable qu’en France, elle est surnommée la Der-des-ders. La dernière des dernières – ce qui est un peu ironique aujourd’hui, sachant ce qui attend encore l’Europe. 

De l’Histoire vivante à la mémoire actuelle : cent ans après

Les pays ont été dévastés et ont dû reconstruire. La Belgique a réussi à rebâtir ses villes et villages, dans lesquels on retrouve de nombreux monuments commémoratifs. Un certain nombre appartiennent à l’Angleterre et aux pays du Commonwealth. Encore aujourd’hui, on s’y recueille et on dépose des fleurs.

En France, les terres portent encore les cicatrices de la guerre. À Verdun et dans ses alentours, chaque jour, des obus qui n’ont pas explosés, sont déterrés par les agriculteurs et agricultrices. La présence des tranchées est encore palpable. Il y a 20-30 ans, les tranchées françaises étaient encore assez hautes pour s’y cacher et les enfants y jouaient dedans. Aujourd’hui, seules les tranchées allemandes tiennent encore debout, les françaises n’étant plus que de petits fossés. La destruction a été telle que des zones rouges, considérées comme trop dangereuses pour être exploitées, existent encore. Parmi elles, on retrouve les villages déclarés « morts pour la France ». Il s’agit de villages qui n’ont jamais pu être reconstruits, car la zone a été trop polluée par les obus. Néanmoins, elles jouent un rôle commémoratif important : elles sont gérées par des maires et des plaques ont été placées pour rappeler ce qu’il y avait à tel emplacement avant la guerre. Le souvenir est encore très vif dans les anciennes zones de combat : les habitant·es baignent encore dans cette atmosphère. C’est également le cas des vieilles générations, mais pour les jeunes générations, le souvenir s’estompe ; ces événements sont de plus en plus lointains pour nous.

Photos : Lucie Bricka
Un village « mort pour la France »

Le travail de mémoire ne s’arrête pas là. Des ossuaires, des cimetières, des monuments commémoratifs sont ouverts au public pour se souvenir des drames qui se sont produits de 1914 à 1918. Le jour du Souvenir est international : France, Belgique, Canada, Royaume-Uni, et États-Unis le célèbrent. En France, en Belgique, aux États-Unis et dans six provinces du Canada, il s’agit d’un jour férié. Au Royaume-Uni, on observe deux minutes de silence pour les morts. Les gens portent un coquelicot, car il s’agit d’une des premières fleurs à repousser sur les anciens champs de bataille, ce qui en fait un symbole de la vie qui perdure malgré les destructions de la guerre. Sa couleur rouge symbolise le sang des soldats sacrifiés.

Si la mémoire de cette guerre s’estompe chez les jeunes générations, elles se sentent pourtant très concernées par la guerre en Ukraine et le génocide en Palestine. Et comme il y a cent ans, elles demandent le cessez-le-feu, la fin des crimes, des destructions et la paix. Elles se tournent vers le futur pour bâtir un monde de paix, comme le voulaient leurs aïeux il y a un siècle… 

 

Références

Anonyme. (2019) Veterans Affairs Canada. Beaumont-Hamel: The FactsGouvernement du Canada. https://www.veterans.gc.ca/eng/remembrance/information-for/educators/learning-modules/beaumont-hamel/fact-quest/answers-somme

Anonyme. (année inconnue). Première Guerre mondiale – Histoire. Musée canadien de la guerre. https://www.museedelaguerre.ca/premiereguerremondiale/histoire/

Anonyme. (2014). Les contributions des Autochtones à la Première Guerre mondiale. Gouvernement du Canada. https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1414152378639/1607908713791

Colon, D. dir. (2011). La Première Guerre mondiale. Histoire – 1ère L, ES, S.

Le Naour, J.-Y. (2014). La Première Guerre mondiale pour les Nuls. Flammarion

Rashid, S. (2020).  Zwischen Feldern, Pflege, Küche und Fabrik: Frauenarbeit im Ersten Weltkrieg [Magistra], Institut für Geschichte https://unipub.uni-graz.at/obvugrhs/content/titleinfo/5343205/full.pdf

(2018, 25 octobre). 100 ans après 14-18 que nous reste-t-il de la Grande Guerre ?  Ça m’intéresse Histoire, Hors-série no 8

Visites et guides à Verdun et à Ypres + cours d’histoire de 3e et de 1ère et cours d’histoire en DNL, en section européenne, de 1ère

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