Image issue des collection de la Bibliothèque nationale des archives de Québec

L’émeute de 1918 à Québec contre la conscription, un drame militaire oublié

Si, par le passé, le jour du Souvenir a pu célébrer et glorifier les soldats de la Première Guerre mondiale, il remémore aujourd’hui davantage les événements meurtriers, les victimes, et les crimes qui se sont produits durant la guerre. Aujourd’hui, Impact Campus souhaite mettre en lumière un drame qui s’est produit fin mars 1918 dans St-Roch, soit l’émeute de Québec de 1918, et le travail de mémoire qui s’est construit autour de cet événement.

Par Lucie Bricka, collaboratrice

1917 : l’année où commence la crise de la conscription

Pour comprendre pourquoi cette émeute a eu lieu, remontons un an plus tôt. À cette date, cela fait déjà trois ans que, à la suite de l’entrée en guerre de l’Angleterre contre l’Allemagne et l’Empire austro-hongrois, le Canada est lui aussi de facto en guerre.

Durant ces trois premières années de conflit, le bilan des pertes humaines s’était alourdi de façon dramatique, tandis que le recrutement basé sur le volontariat s’est mis à fonctionner de moins en moins bien au Canada. En 1917, le nombre de volontaires ne suffit simplement plus. Pour pallier ce manque d’effectifs, le gouvernement canadien décrète la conscription de tous les hommes âgés entre 20 et 45 ans en août 1917. Les Québécois·e·s s’y opposent de manière franche. Pourquoi aller se battre en France et en Belgique ? C’est loin, ça ne nous concerne pas, c’est absurde ! Servir de chair à canon ? Non, ça va, merci, allez voir ailleurs si j’y suis ! D’autant plus que les Canadiens français subissent des discriminations au sein de l’armée : un plafond de verre les empêche de monter dans la hiérarchie militaire, tandis que leurs régiments sont plus facilement envoyés en premières lignes que d’autres. De plus, le besoin d’hommes dans les champs est important, les Québécois·e·s ne peuvent pas se permettre de perdre de la main-d’œuvre. Dès lors, les hommes se cachent pour y échapper, les manifestations se multiplient dans toute la province. Commence alors la Crise de la conscription, et c’est dans ce contexte houleux qu’émerge l’émeute de Québec.

Image issue des collections de la Bibliothèque nationale des archives de Québec

Le déroulement de l’émeute

Jeudi 28 mars 1918, 20 heures 30. Trois policiers fédéraux font leur ronde dans le quartier Saint-Roch, à Québec. Leur but est de retrouver les hommes qui échappent à la circonscription. Dans une salle de quilles, ils interpellent et vérifient les papiers de Joseph Mercier, qui n’a pas son certificat d’exemption sur lui. Malgré sa bonne volonté d’appeler ses parents pour qu’iels lui ramènent le précieux certificat, les policiers font la sourde oreille et veulent le ramener au poste de police. La salle est furieuse : ces policiers abusent de leur autorité. Avec les personnes sortant de la messe, c’est une foule de 2 000 personnes qui poursuit les policiers pour que Mercier soit libéré. Deux autres arrestations jugées injustes par la population ont également lieu au même endroit, au même moment. C’en est trop : la fureur se transforme en émeute. On bombarde de projectiles en tout genre le poste de police. Malgré l’intervention des forces armées de la Citadelle, rien n’y fait : l’émeute s’embrase de plus belle, et se poursuit sur plusieurs jours, avec un nombre grandissant de manifestant·es qui renversent, entre autres, un tramway (eh oui, Québec a déjà eu un tramway!).

Image issue des collections de la Bibliothèque nationale des archives de Québec

Les vitres du Quebec Chronicle et de L’Événement sont brisées, l’Auditorium est saccagé, puis brûlé par 8 000 personnes. 12 000 personnes occupent la place Montcalm et tiennent tête aux militaires, tandis que les cortèges se multiplient. On retrouve des gens de toutes sortes, d’âge et de classes sociales variées : personnes âgées, enfants, femmes, bourgeois, ouvriers… Face à l’inquiétude du déclenchement d’une guerre civile, les autorités font appel à l’armée fédérale, et 2 000 hommes provenant d’Ontario et du Manitoba sont dépêchés. La violence règne dans les rues de Québec : la population s’arme de projectiles divers, tandis que les militaires les frappent avec des bâtons.

Le 1er avril, la situation dégénère et bascule dans les crimes militaires. 10 000 soldats d’Ontario et du Manitoba sont arrivés ayant reçu le droit de tirer et de faire des prisonniers. Pour le gouvernement fédéral, Québec doit servir d’exemple pour éviter toute autre émeute contre la conscription. Mais cela n’impressionne pas les Québécois·e·s, qui s’opposent farouchement aux forces militaires, qui ouvrent le feu. Ils tuent quatre personnes, en blessent une soixantaine et font 62 prisonniers.

Image issue des collections de la Bibliothèque nationale des archives de Québec

Un devoir de mémoire compliqué

Que reste-t-il de cet événement dramatique aujourd’hui ? La jeune génération ne connaît pas toujours cet événement, tandis que le gouvernement canadien est resté silencieux, même pour les 100 ans de cette émeute ! Aucune excuse officielle, et un silence radio sur la question.

Le monument Printemps 1918, dans St-Roch. Photo : Lucie Bricka

Aujourd’hui, ce drame est commémoré par un petit nombre de gens de Québec. Chaque année, depuis 1975, les Québécois·e·s se réunissent à l’angle des rues Saint-Vallier, Saint-Joseph et Bagot, là où a eu lieu la fusillade, et procèdent à une minute de silence pour les quatre morts. Iels déposent une gerbe de fleurs et repartent. C’est également à cet endroit qu’a été érigé le seul monument mémoriel : Québec, Printemps 1918. Fabriqué par Aline Martineau et une entreprise funéraire, il a été inauguré en 1998 pour se souvenir des personnes qui y ont tragiquement laissé leur vie.

Références

Richard, B. (2013). Le 1er avril 1918 — Émeute à Québec contre la conscription : résistance politique ou culturelle ? Fondation Lionel Groulx. https://fondationlionelgroulx.org/sites/default/files/documents/130131-Conference-Dix-Journ%C3%A9es-Emeute-conscription.pdf

Laporte, M. Gagnon, C. (31 mars 2018) Les 100 ans de l’émeute de Québec : une indifférence symptomatique. Le Soleil. https://www.lesoleil.com/2018/03/31/les-100-ans-de-lemeute-de-quebec-une-indifference-symptomatique-dde9dbebbe0db9f33dcf9807ce3f1bbd/

Cazes, J. (4 avril 2017). L’Émeute de 1918 de nouveau commémorée. Mon Saint-Sauveur. https://monsaintsauveur.com/2017/lemeute-de-1918-de-nouveau-commemoree/

Consulter le magazine