Sept ans après les événements tragiques de la grande mosquée de Québec, les membres de l’Association des Étudiants Musulmans de l’Université Laval (AÉMUL) ont tenu une conférence en hommage à leurs frères et sœurs disparu.es. L’événement s’est déroulé le 11 février en soirée au pavillon Ernest-Lemieux et était animé par Ahmad Saleh, professeur agrégé à la Faculté des sciences et de génie.
Par Henri Paquette, journaliste collaborateur
Pour des raisons évidentes, la conférence a débuté avec des souvenirs troubles pour les membres qui y participaient. Monsieur Saleh a pris le temps de réaffirmer ses condoléances auprès des familles qui ont été touchées par l’attentat du 29 janvier 2017. Cette journée-là, six personnes ont été tuées alors qu’elles priaient dans leur lieu de culte et 19 autres ont été gravement blessées. Pour bien des musulman.es à travers le pays, ce jour reflète un traumatisme. La peur ressentie a changé, pour plusieurs, leur manière de voir et de fréquenter leur lieu de culte.
Difficile de ne pas se laisser anéantir par la crainte après un tel drame. Toutefois, une lueur d’espoir est venue donner le ton pour le reste de la conférence. Le docteur Saleh a alors rappelé aux membres l’importance de ne pas se laisser abattre par cette catastrophe passée. Le but de la conférence, a-t-il signifié, n’est pas d’entretenir ce traumatisme, mais de chercher des solutions « pour l’outrepasser ». Parmi ces solutions : dresser un portrait des problèmes à l’origine de l’incompréhension qu’éprouvent plusieurs Canadien.nes à l’égard des musulman.es et créer des ponts entre les différentes communautés pour que jamais une telle catastrophe ne se reproduise.
Les médias, les gouvernements et l’image attribuée aux musulman.es
Monsieur Saleh a voulu être clair dès le départ : la population canadienne et québécoise est « très accueillante et gentille » à l’égard de la communauté musulmane. Là n’est pas le problème. Selon lui, si des actes de haine contre les musulman.es perdurent, c’est parce que certains stéréotypes et préjugés à l’égard de cette communauté sont entretenus dans les messages médiatiques.
« Les médias et les gouvernements ne représentent pas la majorité des citoyens. » –Ahmad Saleh – professeur agrégé à la Faculté des sciences et de génie
Selon ses dires, certains médias construisent une image fautive de ce qu’est un.e musulman.e. À force d’être soumis.es à ces représentations médiatiques péjoratives, certaines personnes développent une mauvaise perception de l’Islam. Ainsi déplore-t-il le fait que le qualificatif « terroriste » semble être utilisé de manière récurrente et infondée pour décrire l’Islam et ses croyant.es.
Le président de l’AÉMUL (Association des Étudiants Musulmans de l’Université Laval), Hamidou Mbodji, abonde en ce sens. « C’est non fondé », dit-il, en faisant référence à cette fausse croyance que les musulman.es propagent la haine. D’où l’importance, ajoute-t-il, « d’ouvrir le dialogue » pour résoudre ce fléau d’incompréhension.
Le conférencier est aussi d’avis que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’en fait pas assez pour maintenir le caractère inclusif du Canada. Le système de droit canadien s’effriterait en raison de l’adoption de législations discriminatoires. Il faisait évidemment référence à la Loi 21 sur la laïcité de l’État, adoptée en 2019 par le gouvernement Legault, considérée par les membres de l’AÉMUL comme une attaque à l’égard de leurs droits fondamentaux.
Quand se sentir exclu.e devient chose du quotidien
Le sentiment d’exclusion était bien présent dans la salle où se tenait le rassemblement. Il a été mentionné en premier lieu par une pratiquante qui a préféré maintenir son anonymat. Arrivée depuis un an et demi de France, son pays natal, elle effectue actuellement un postdoctorat à l’Université Laval. Se considérant Québécoise à part entière, elle se désole toutefois de se sentir étrangère en raison du simple fait qu’elle porte le voile. Elle avait d’ailleurs quitté son pays dans l’espoir d’échapper à ce sentiment.
Impression assez semblable du côté de Malika Seydou, originaire du Niger. Cette dernière s’était fait une image parfaite du Canada où les actes islamophobes n’existaient pas. Cela n’a pas pris beaucoup de temps pour qu’elle constate l’inverse. Malgré tout, elle reste positive et reconnaît qu’il y a, somme toute, une grande ouverture d’esprit dans son nouveau pays.
Des solutions envisagées?
La dernière partie de la conférence s’est résumée par une série de propositions du professeur Saleh pour bâtir des ponts entre la communauté musulmane et le reste de la population. Parmi celles-ci : organiser des portes ouvertes à l’intérieur des mosquées du Québec. De cette manière, les gens extérieurs à la communauté musulmane auraient l’opportunité d’en apprendre davantage sur ce que sont réellement les pratiques religieuses au sein de l’Islam. Le but étant de faire comprendre que cette tradition religieuse, à l’origine, n’a rien à voir avec les dérives autoritaires de certains groupes terroristes ou régimes théocratiques comme l’État Islamique ou l’Iran.
Le message final en fut un de paix et d’ouverture d’esprit de part et d’autre, ce qui a poussé le conférencier à inviter les membres de l’AÉMUL à aller à la rencontre des non-musulman.es. Il a aussi invité la population dans son ensemble à rendre visite à la communauté musulmane. Une preuve encourageante que cette communauté a su se relever de la tragédie du 29 janvier 2017.