Crédit photo : Université Laval

L’Université Laval aurait au moins 180 000 $ liés à Israël

Un an et des milliers de morts après les attaques du 7 octobre, la guerre en Palestine aura marqué l’année 2024 sur les campus du monde entier. Des millions d’étudiant.es exigent depuis maintenant un an un désinvestissement quant aux différents liens, particulièrement financiers, qu’entretiennent leurs institutions d’enseignement avec l’État d’Israël, dont les opérations militaires sont de plus en plus légitimement qualifiées de génocidaires. Qu’en est-il de ces liens à l’Université Laval ?

Par Antoine Morin-Racine, chef de pupitre aux actualités

0.06% ou 180 000 $ selon l’Université Laval

Selon des informations obtenues par Impact Campus, l’Université Laval aurait vent de 0,06% des quelque 289 000 000$ qu’elle investit par le biais de la Fondation de l’Université Laval, soit 180 000$, qui serait « en lien » avec l’État d’Israël. Cette information aurait été divulguée par des membres de l’administration plus tôt cette année à des étudiant.es en ayant fait la demande.

Par le biais de sa fiducie[1], la Fondation de l’Université Laval confie une partie de son argent à des entreprises gestionnaires de portefeuille afin qu’elles le fassent fructifier en le misant sur les marchés financiers. Comme le démontre le rapport annuel de la Fondation, son argent est investi dans des fonds de placement majoritairement en immobilier (Fondation UL, p.4), et en actions sur les marchés canadiens et internationaux.

Lorsque questionnée à ce sujet, l’administration dit pouvoir affirmer que son argent n’est pas investi dans des compagnies d’armement. Malgré cette affirmation, l’entreprise d’aérospatiale Safran, qui conçoit des drones ainsi que des composantes électroniques pour les systèmes antimissiles israéliens, constitue l’un des titres principaux d’un des fonds les plus importants dans lequel l’argent de la Fondation est investi (Fondation UL, p.4-5).

À la question, « Quel est le montant des investissements de l’Université qui ont un lien avec l’État d’Israël », celle-ci répondait précédemment à Impact Campus à travers la Direction des Communications en affirmant seulement qu’elle s’était « dotée d’une politique d’investissements responsables  […] [et que]  [t]ous les gestionnaires de fonds avec lesquels fait affaire l’Université adhèrent aux principes pour l’investissement responsable de l’Organisation des Nations Unies (UNPRI) ».

L’Université ayant jusqu’ici refusé de révéler publiquement la composition précise de ses liens financiers avec Israël, il est difficile de prouver ou contredire les chiffres qu’elle avance. Une analyse du rapport financier de la fiducie de la Fondation de l’Université Laval laisse cependant croire que ce montant pourrait être plus élevé.

Des millions de dollars prêtés à des gestionnaires de portefeuille accusés d’être complices

L’administration fait état, elle-même, d’au moins 180 000$ lié à l’État d’Israël. Cependant, comme de nombreux.euses militant.es pro-palestinien.nes du campus l’ont dénoncé, plusieurs des compagnies de placements avec lesquelles la Fondation de l’Université Laval fait affaire, à travers sa Fiducie globale (Fondation UL, p.5), sont accusées d’être complices des actions de l’armée israélienne. Au moins quatre des compagnies avec lesquelles la Fondation fait affaire, en l’occurrence BlackRock, JP Morgan, TD et RBC, détiennent des parts importantes de compagnies d’armement essentielles à l’effort de guerre israélien.

 

Tiré du Rapport du Comité de placement conjoint
de la Fiducie globale, Université Laval. P.5

BlackRock, à qui la fondation de l’Université a confié cette année un total de 35,3 millions de dollars (Fondation UL, p.5), est actionnaire principal dans plusieurs des entreprises d’armement. La Fondation a cependant mentionné dans son dernier rapport annuel que « [l]e placement en infrastructures auprès du gestionnaire BlackRock représente un placement temporaire » (Fondation UL, p.4). La Fondation investit cependant encore dans un autre de leur fonds indiciel (CorePlus Universe Bond Fund) (Fondation UL, p.4-5) et ne s’est pas engagée à ne plus faire affaire à leurs services dans le futur.

La division « Gestion d’Actifs mondiaux » de la Banque Royale du Canada (RBC-GAM), elle, gère 46,3M$ de l’argent de la fondation (Fondation UL, p.5). RBC tient des parts dans plusieurs des entreprises d’armement essentielles à l’effort de guerre israélien, notamment Lockheed Martin (958M$), manufacturier de plusieurs des avions de l’armée de l’air israélienne, mais aussi Boeing (675M$) et General Dynamics (809M$) qui produisent, entre autres choses, plusieurs bombes utilisées dans les opérations militaires d’Israël depuis le 7 octobre dernier.

La gestion d’un total de 55,1M$ est également accordée au département « Gestion de placements » de la Banque TD (GPTD) qui détient plusieurs millions de dollars dans General Dynamics ainsi que dans Elbit Systems, une entreprise de haute technologie israélienne qui manufacture une grande partie des drones utilisés par le Tsahal. Des analystes de TD avaient d’ailleurs recommandé à l’automne dernier d’acheter des actions dans des compagnies d’armement à la suite de l’invasion de Gaza.

JP Morgan, à qui la fondation de l’Université confie 20,9 millions de dollars (Fondation UL, p.5), a été la cible d’actions de vandalisme plus tôt cette année à cause de leurs parts considérables dans Elbit Systems. JP Morgan Chase avait réduit ses parts dans Elbit de presque 70% en mai dernier, or, en date du 12 août, celles-ci avaient de nouveau presque doublé.

Liste des fonds dans lesquels l’argent de la Fondation est investi et leurs cibles de croissance pour l’année 2023.
Tiré du Rapport du Comité de placement conjoint
de la Fiducie globale, Université Laval. P.4

Entre des milliers et des millions de $ en frais de service 

Il est important de mentionner que les montants mentionnés ci-haut (35,3M$; 20,9M$; 46,3M$; 55,1M$) ne sont pas encaissés par ces gestionnaires de portefeuille. Ce sont des montants que la Fondation de l’Université leur verse pour qu’ils soient investis dans le marché financier. Des compagnies comme BlackRock, JP Morgan, RBC-GAM ou GPTD font leur argent en facturant des frais de gestion pour les services qu’elles rendent. Ceux-ci sont calculés comme un pourcentage du montant investi.

La Fondation de l’Université n’ayant pas donné de précisions à cet effet dans son rapport annuel, l’administration de l’Université n’ayant pas encore répondu à une demande d’accès à l’Information par Impact Campus à ce sujet, et les frais de gestion exacts étant parfois difficiles à déterminer sans être directement clients de ces gestionnaires de fonds, les chiffres qui suivent sont des estimations.

Ainsi, des investissements de 29,2M$ et 6,1M$  dans deux fonds indiciels de BlackRock (CorePlus Universe Bond Fund et Global Infrastructures Equity Fund), dont les frais de gestion sont de 0,09% et 0,65% respectivement, ont engrangé à BlackRock cette année 26 280$ et 39 650$ respectivement.

Les frais de gestion chez RBC-GAM, eux, se situent entre 2,19% et 0,12% pour le Fonds spécifique d’actions mondiales (dépendamment de la « série » sélectionnée), ce qui, avec un investissement de 46,6M$, donne des frais de gestion entre 1 013 970$ et 55 560$.

Du côté de GPTD, les investissements de la Fondation de 31,4M$ dans le Fonds en gestion commune à faible volatilité d’actions canadiennes Émeraude TD ne rapportent que 3 140$ de par des frais de gestion de 0,01%. Aucune information concernant les frais de gestion du Fonds hypothécaire Greystone TD, dans lequel la Fondation investit 23,7M$, n’a pu être trouvée. En tenant pour acquis, cependant, que les frais de gestion d’un fonds de la sorte peuvent osciller raisonnablement de 0,01% à 1,5%, on peut considérer que GPTD en retire entre 2370$ et 355 500$.

En prenant certains des frais de gestion pour des services similaires offerts par JP Morgan, qui oscillent entre 0,02% et 0,85%, il est possible de supposer que les frais de gestion pour l’investissement de 20,9M$ de la Fondation dans le fonds Infrastructure Investments Fund Canadian 2 ont généré à JP Morgan entre 4 180$ et 177 650$.

Un chiffre précis des montants que dégagent ces compagnies des services qu’elles procurent ne peut pas être confirmé. Chose certaine, cependant, celles-ci en retirent entre plusieurs milliers et des millions de dollars.

 

Référence

Fondation de l’Université Laval, Rapport du Comité de placement conjoint de la Fiducie globale Université Laval – Année financière 2022-2023, 2023. https://www.dprd.ulaval.ca/wp-content/uploads/2023/10/Rapport-annuel-de-la-fiducie-globale-2022-2023-Version-finale-28-septembre-2023-vf.pdf

[1] Une fiducie peut être définie comme la cession temporaire de biens à une entité tiers qui à pour obligation de les administrer.

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