27 janvier 1945 : Auschwitz-Birkenau libéré, l’humanité face à son histoire

J’ai dû lire une bibliothèque entière sur Auschwitz et j’étais plus que préparée à cette visite. J’ai lu l’horreur, la souffrance, la torture, l’inhumanité portée à son paroxysme, et j’essayais de comprendre. Pourquoi ? Comment un être humain peut-il avoir une telle soif de sang ? Mais aucune de mes lectures ne m’apportait de réponse. Des milliers d’hommes et de femmes ont contribué à l’un des plus grands génocides de l’histoire de l’humanité au nom d’une idéologie sortie tout droit de la tête d’un fou furieux, leur Führer Adolf Hitler.

Par Catherine Lemaire, journaliste collaboratrice

J’ai imaginé qu’en me rendant sur ces lieux, je pourrais peut-être trouver des réponses, ou à défaut, m’incliner en silence là où un million et demi de personnes —hommes, femmes et enfants — ont trouvé la mort.

C’est avec la boule au ventre que je suis arrivée sur le site. Les récits, les visages, les noms se bousculaient dans ma tête. Anne, Lale, Haïm, Zalmen, Lejb, Marcel, Eddy, Herbert, Gita, Simone, Cilka, Livia, Cibi, Magda et bien d’autres, vous êtes toustes venu.es ici. Certain.es d’entre vous s’en sont sorti.es, d’autres y sont encore. Je m’approche du portail forgé de la tristement célèbre inscription « Arbeit macht frei », le travail rend libre, une ironie amère des SS qui ôteraient à leurs prisonnier.ères toute liberté, sinon celle d’espérer. Je dois faire abstraction des touristes qui font la file pour se prendre en photo devant la grille. La mort semble être devenue instagrammable.

Je continue ma route vers les baraquements, les « blocks » comme iels les appelaient. La plupart sont fermés. Je passe devant le block 24, où des femmes étaient obligées de se prostituer, le block 11 qui servait de lieu de punition et de torture. Les quelques blocks accessibles au public ont été réaménagés en musée. On peut y prendre connaissance du déroulement de l’arrivée des prisonnier.ères, des sélections, de la vie dans le camp, des exterminations, de l’exploitation des corps. Mais tout cela se trouve derrière des vitres, dans des locaux parfaitement aménagés. Tout semble aseptisé, édulcoré même. Il me semble que le pire est passé sous silence. Quelques coups de pinceau ont balayé le froid, l’odeur des corps brûlés, la faim, la peur, la maladie, la tristesse, le désespoir. À l’extérieur, un autre détail me surprend. Les baraquements, parfaitement alignés, bordent une allée centrale ornée d’arbres de part et d’autre, eux aussi parfaitement alignés. Est-ce que ces arbres étaient là quand les camps tournaient à plein régime ? Je suis presque certaine d’avoir vu des photos où ils n’y étaient pas. Aurait-on mis ces arbres là pour faire joli ? Pour ne pas trop choquer le.a visiteur.euse ? Il y a d’ailleurs des familles avec des enfants, parfois très jeunes, qui se promènent comme s’ils faisaient une balade au parc. Ce lieu empreint de souffrance est devenu une attraction touristique. Je pense à Anne, Lale, Haïm, Zalmen et toustes les autres. J’ai envie de leur dire à quel point je suis désolée. Ma boule au ventre se resserre quand je vois d’autres touristes se prendre en photo devant les panneaux à tête de mort qui bordent les rangées de barbelés. Ces mêmes barbelés — autrefois électrifiés — où se sont jetées des centaines de prisonnier.ères désespéré.es. Des hommes et des femmes qui ont choisi la mort à la vie dans le camp.

Je pars ensuite en direction de Birkenau. Le plus grand cimetière au monde. Je marche sur les rails où tant de convois bondés sont arrivés à destination. L’endroit est immense. Au loin, j’aperçois les ruines des chambres à gaz et des crématoires. J’ai une pensée émue pour Haïm, Zalmen, Lejb, Shlomo, Filip et tous ceux désignés pour faire partie des sonderkommandos, dont le travail consistait à amener les prisonnier.ères à la chambre à gaz, puis d’en extraire les corps, raser les cheveux des femmes, ôter bijoux et dents en or, puis les jeter dans des fosses communes ou les brûler sur des bûchers ou dans les crématoires. Ces hommes ont été forcés de conduire à la mort leur famille, leurs ami.es, leurs compatriotes.

Plus j’avance sur cette vaste étendue de plus de 170 hectares et plus le silence se fait profond. Un silence de mort. Un détour par les ruines du Kanada, le lieu où étaient triés les vêtements, bijoux, et autres effets volés aux prisonnier.ères pour être redistribués aux Allemands, et voilà que je croise à nouveau des familles avec des enfants qui gambadent joyeusement. Se rendent-ils seulement compte du lieu où ils se trouvent ? Savent-ils que plus de 200,000 enfants comme eux ont été assassinés ici ? Probablement pas. Il fait beau, le soleil brille, les chemins sont bordés d’arbres et de végétation parfaitement entretenue. Ils ne font aucune distinction entre ce lieu et un autre chemin en pleine nature.

Il me faudra une heure trente de route pour faire le chemin de retour vers Cracovie. Une heure trente durant laquelle je ne dirai pas un mot. Une heure trente pour demander pardon silencieusement à Anne, Lale, Haïm, Zalmen, Lejb, Marcel, Eddy, Herbert, Gita, Simone, Cilka, Livia, Cibi, Magda et toustes les autres. Ce lieu aurait pu être rasé, on aurait pu en effacer toute trace, mais le choix a été fait de le conserver, par devoir de mémoire, pour que l’histoire ne se répète plus. Pourtant il semble être devenu un lieu où il faut être vu, un site touristique pour promenade en famille.

J’étais plus que préparée à cette visite. Je n’ai rien appris que j’ignorais sur ce que celleux qui se prétendaient de la race supérieure ont perpétré dans ces lieux et je n’ai toujours pas de réponse à la question du pourquoi. Aujourd’hui, cela fait exactement 80 ans que le camp a été libéré par l’armée russe. Le monde s’est-il depuis transformé en une meilleure version de lui-même ? La guerre bat son plein en Ukraine, au Proche-Orient. Aux États-Unis, Donald Trump est à nouveau élu et il promet de mettre en place le plus grand programme de déportation de masse de l’Histoire, de restreindre les droits des personnes LGBTQ+, de limiter l’accès à certains types de littérature. Tout cela ne rappelle-t-il tristement pas les actes d’un certain Adolf Hitler ?

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