Attaque à la liberté de presse

Pour être considéré comme démocratique, un système politique doit garantir une liberté de presse totale. Cet important fondement a reçu un coup dur le 31 octobre dernier. Des révélations graves ont été rendues publiques concernant le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui aurait placé plusieurs journalistes sous surveillance afin de connaître l’identité de certaines de leurs sources.

Cette controverse a débuté lorsque le SPVM a admis avoir lancé au moins 24 mandats de surveillance envers Patrick Lagacé. Le but : permettre à des policiers d’identifier un contact suspecté d’avoir fabriqué des preuves dans un dossier lié aux gangs de rue. Le professeur titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval, Thierry Watine, a réagi à la nouvelle. « Il y a trois points que je voudrais faire ressortir, lance-t-il. Premièrement, il s’agit d’une faute morale. Deuxièmement, c’est une erreur de stratégie et, troisièmement, c’est un signe de faiblesse. »

Selon lui, si le pouvoir déborde, que l’on parle de la justice ou de la police, il y a atteinte à un principe fondamental : celui selon lequel les médias doivent pouvoir évoluer en toute liberté et en toute indépendance. Bien qu’il ait été surpris que de telles mesures soient utilisées dans une démocratie affirmée comme celle du Canada, l’enseignant ne se dit pas étonné que cette affaire ait été rendue publique.

« Aujourd’hui, avec la circulation des messages, avec les médias sociaux, avec Internet, les informations circulent tellement rapidement, poursuit-il. C’était très imprudent et naïf de la part des services de police en question d’imaginer que leurs stratagèmes allaient demeurer secrets. » Il perçoit la nouvelle comme un aveu de faiblesse du SPVM qui devrait pouvoir fonctionner sans avoir à interférer dans le travail des journalistes.

La responsabilité du journaliste

Force est d’admettre que le métier a rapidement évolué ces dernières années avec la place grandissante que prend la technologie au sein de notre société. Les journalistes doivent désormais jongler au quotidien entre un devoir de citation des sources et l’obligation de ne jamais mettre un informateur en danger.

Chacun se doit donc d’être extrêmement prudent lorsqu’il entre en contact avec différentes sources, particulièrement quand il s’agit d’informations sensibles. « Je suis toujours effaré de voir la naïveté de certains et de certaines qui imaginent que leurs propos peuvent être protégés sur Internet. Si je commence à discuter par courriel ou sur Facebook [de sujets confidentiels], je me mets en danger et je mets ma source en danger », rappelle M. Watine.

Les tuyaux numériques et les mesures de confidentialité mises en places ne seraient pas étanches à de telles recherches appliquées par les différents corps policiers du Québec. « Le téléphone est un outil, mais la vigilance pour les journalistes doit être encore plus grande », ajoute le professeur. Il estime que la faute revient entièrement à la police dans cette affaire et que les journalistes ne devraient jamais aller se confier aux autorités, à moins qu’il ne s’agisse d’un enjeu de sécurité nationale. « Si on commence à céder là-dessus, on met un doigt dans l’engrenage et, ensuite, c’est le bras qui va partir », martèle-t-il.

Manque judiciaire à combler

« Dans la Charte canadienne [des droits et libertés] à l’article 2(b), les libertés d’expression et d’opinion sont protégées, englobant également la liberté de presse », assure l’étudiante à l’École du Barreau Cécile Fradette. Selon elle, les journalistes ont actuellement un droit légitime d’écrire des articles sur les sujets qu’ils désirent, mais aucune mesure légale n’existe afin d’encadrer le droit de préserver l’anonymat de leurs sources.

« En ce moment, on se demande si le droit à la liberté de presse mérite les mêmes protections qu’on accorde aux mandats pour les avocats qui sont couverts par le secret professionnel », indique la diplômée de l’Université Laval. Des recours sont toutefois accessibles pour les journalistes jugeant avoir été brimés dans cette liberté. Il est possible d’aller devant les tribunaux de droits communs pour attaquer l’auteur du préjudice, soit l’État dans ce cas-ci, souligne-t-elle.

Changements dans le milieu

De son côté, la journaliste aux affaires municipales au quotidien Le Soleil Valérie Gaudreau voit l’anonymat comme un droit fondamental pour protéger des gens qui auraient des choses très délicates et sensibles à partager. À la suite des révélations, celle qui est également présidente de la section ville de Québec de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) affirme qu’un vent de questionnements bouscule ses collègues. Certains changements seraient déjà envisagés afin d’éviter une nouvelle vague d’enquêtes.

« Ce qui s’est passé nous fait réaliser que même ce que l’on pensait impossible arrive, conclut-elle. D’ailleurs, je sens chez mes collègues un gros intérêt pour des applications encryptées. »

Citoyens, électeurs, journalistes et activistes; il sera intéressant pour tout le monde de voir comment le milieu professionnel s’adaptera à la situation dans l’avenir.

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