Bitch Boxer – Entre renfermement et dépassement

Jusqu’au 24 février prochain, Premier Acte présente Bitch Boxer, une production du Théâtre Escarpé qui, malgré ce que l’on pourrait croire, n’est pas à propos de la boxe. Elle suit le parcours de Chloé à travers sa préparation pour les Olympiques de Londres à l’été 2012 et la perte de son père et, du même coup, de son entraîneur.  Retour sur cette pièce haute en émotions et en mouvements.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

Texte : Charlie Joséphine | Traduction : Samantha Clavet | Mise en scène : Hubert Bolduc | Assistance à la mise en scène : Anne-Virginie Bérubé | Conception : Laetitia Mayer, Symon Marcoux, Mélanie Robinson, Charlyne Rioux | Conseil au mouvement : Marie-Chantale Béland | Interprétation : Anne-Virginie Bérubé, Charlie Cameron-Verge, Samantha Clavet

« La boxe n’est qu’un prétexte pour parler du deuil, de l’acceptation, de l’effondrement, de la vulnérabilité. Et pour parler d’amour. Le plus grand combat de Chloé ne se livrera pas sur le ring, mais sera plutôt celui qui l’amènera à rechercher sa place dans un monde où elle a perdu tout repère », peut-on lire dans le synopsis. Si ce sport de combat n’est qu’un « prétexte », il ne m’a pourtant pas semblé autant négligeable que ce que le précédent énoncé pourrait nous laisser entendre – et je le dis vraiment de manière positive. C’est que le mouvement occupe une place importante au sein de la pièce, et que beaucoup du jeu se passe dans le corps. Lorsque les spectateur.rices entrent et s’installent dans la salle, les personnages s’échauffent, s’entraînent, interagissent déjà. C’est le mouvement qui donne le ton. Et c’est lui, en grande partie, qui rythme le récit, au fil de la respiration saccadée, de l’essoufflement, du défoulement. Le corps est un outil, et la boxe, par sa chorégraphie, la posture tantôt attaquante, tantôt défensive qu’elle impose, permet à Samantha Clavet, interprète de Chloé, de pleinement incarner ce renfermement sur soi suite au deuil, la colère, mais aussi la résistance et la persistance dont son personnage fait preuve. On se contracte ou on s’abandonne, on monte ou on baisse sa garde, on encaisse les coups : c’est ça, Bitch Boxer.

La voix y était aussi pour quelque chose : à certains moments, on raconte plus que l’on montre. Cela force le public à rester attentif, le garde au bout de sa chaise, lui permet de rester investi et impliqué dans l’histoire en stimulant d’autant plus son imagination. On s’accroche aux regards, aux intonations des comédien.nes qui passent d’un rôle à l’autre, à leur utilisation maximale d’un objet minimal. On les écoute. Bien joué.

J’aurais aimé, néanmoins, un peu plus d’amplitude dans le cheminement personnel de Chloé, malgré la brièveté qu’impose le format d’environ une heure de la pièce. J’aurais souhaité que cette ascension nous permette à nous aussi, public, de reprendre notre souffle, de saisir l’inégalité, les hauts et les bas du processus de deuil, mais aussi qu’on ait le temps d’admirer la vue, le chemin parcouru tout comme celui qu’il reste à faire. Je suis restée sur ma faim, parce que la résolution me paraissait forcée et anticipée. On avait besoin d’une finale, d’un 5 minutes pour que l’attitude et les perceptions de Chloé changent du tout au tout. Et puis voilà, maintenant, elle comprend. Fin. Mais il manquait quelque chose, un je-ne-sais-quoi qui aurait permis d’entrevoir la suite, de jeter un éclairage nouveau, renouvelé sur tout ce qu’elle venait de traverser. On gagne un combat, on est frappée par l’inspiration divine, tout prend soudainement son sens, et après ? Il me semble que cette idée selon laquelle « oh mon Dieu, dans le fond, je me battais pour moi, mais aussi pour mon père », on l’avait déjà compris. J’en voulais plus. Pourtant, ce n’est pas les comédien.nes dont le jeu était lacunaire, loin de là. C’était tout en émotions, et c’est donc principalement le texte que j’accuse ici.

Par ailleurs, si la plupart des articles à propos de Bitch Boxer (et même le synopsis!) abordent cette importance capitale de l’arrivée de la boxe féminine en tant que discipline olympique – ce n’est quand même pas rien ! –, j’ai l’impression que la question aurait pu être davantage exploitée. On en a fait mention un peu rapidement, c’est l’objectif que tente d’atteindre Chloé, avec ou sans son père, mais sans plus (et c’est peut-être mes lunettes de féministe qui me rendent si exigeante). J’aurais aimé que cette place des femmes au sein d’un milieu non seulement masculin, mais surtout machiste soit plus touffue et dense, qu’on nous en présente les multiples facettes. « Rien d’extraordinaire », vraiment ? Au-delà des Olympiques, qu’est-ce que ça représente et que ça implique, être une fille qui boxe ? Cela pourrait témoigner d’une normalisation de cette place qu’occupent les femmes dans les gyms, oui – plutôt que de considérer la situation comme un exploit, comme si, justement, c’était une réalité anecdotique, parce que normalement, les filles, ça ne boxent pas (pauvres de nous, c’est à croire qu’on n’est pas capables de grand-chose). Mais à quoi bon en faire un élément marquant, alors ?

Point positif, toutefois, quant à cette question de la singularité de l’expérience féminine : j’ai trouvé très rafraichissant de voir être représentées et légitimées les diverses formes que peut recouvrir la féminité en dehors des scripts et des normes de genre traditionnelles sans que ce soit trop caricaturé. Il y a plusieurs façons d’être femmes, et ça, je dois dire que ça m’a plu.

Pour vous procurer des billets, c’est par ici : https://premieracte.ca/spectacles/bitch-boxer/ 

 

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