Jean Laberge est un oiseau rare. Il est professeur de philosophie au Cégep du Vieux-Montréal, «le cégep le plus à gauche au Québec», selon ses dires. Malgré tout, il n’a pas appuyé les carrés rouges. En fait, il en a même écrit un ouvrage, Pour le devoir à l’éducation, dénonçant le prétendu «printemps érable» 2012.
Pierre-Guy Veer
Jean Laberge est venu parler de son livre le 13 novembre dernier lors d’une conférence organisée par le Réseau Liberté Québec.
Le professeur semblait très à l’aise avec sa position à «contre-courant.» «Quand on utilise la philosophie, on questionne tout, y compris les idées qui semblent faire consensus. Et en regardant le conflit étudiant, j’ai trouvé plusieurs points de litige», précise-t-il.
Ce qui a amené son opposition, c’est l’intransigeance des étudiants. «Ils ont une vision très indéterministe de la vie, une qui imagine les ressources illimitées, et qu’il suffit de les demander pour les avoir. Or, la vie est plutôt déterministe, car les ressources sont limitées. Pour obtenir lesdites ressources, il faut négocier, ce que le gouvernement a voulu faire, et ce que les étudiants refusaient», affirme-t-il.
Pas de droit sans obligation
M. Laberge se démarque encore plus en refusant de considérer l’éducation (postsecondaire) comme un droit. «Un droit doit s’appliquer à tous sans exception : droit à la vie, à la liberté d’expression, à s’associer pacifiquement. Mais un droit à l’éducation ne s’appliquerait pas à tous puisque ce n’est pas tout le monde qui irait», croit-il. Aussi n’utilise-t-il pas le mot «grève» pour qualifier ce qui s’est passé. «À moins que le gouvernement ne veuille amender le Code du travail, ce que les étudiants ont fait s’appelle boycott, soutient-il. Ça explique pourquoi les injonctions étaient justifiées et ont eu le dessus.»
Et même si l’on devait considérer l’éducation comme un droit, il ne faudrait pas négliger une obligation équivalente. «Le droit à la vie sous-entend que l’on doit soi-même la protéger. Quant à l’éducation, y avoir droit sous-entend que l’on doit favoriser l’éducation des autres en toute circonstance», ajoute-t-il.
Le véritable but de l’éducation
Par ailleurs, M. Laberge est plutôt pessimiste quant à l’issue du Sommet sur l’éducation, prévu en février. «Aucune question de fond ne risque d’y être abordée. On ne remettra pas en question la conception utilitariste de l’éducation, celle promue par Descartes, c’est-à-dire voir uniquement la connaissance dans l’utilité qu’elle apporte. C’est ça, la marchandisation de l’éducation, et les carrés rouges ont exactement cette vision», se désole-t-il.
«Je vois la connaissance comme Aristote, mon philosophe fétiche : une fin en soi, un moyen d’être heureux. Il aimait la connaissance en elle-même, peu importe ses applications pratiques. J’approuve : pourquoi étudierait-on la biologie seulement pour ses applications pratiques en médecine ? Pourquoi ne pas l’étudier simplement pour le plaisir d’apprendre ?» se questionne-t-il.