À mesure que l’automne progressait, j’ai ramassé de plus en plus d’amies qui faisaient, cette session-ci, leur stage 4. Je les ai écoutées parler de leur expérience, de comment elles se sentaient, des quelques victoires qu’elles traversaient, mais le plus souvent, je les ai écoutées à propos de leur stress, voire de leur détresse et de leur désenchantement. Face à leurs mots, comme amie, je n’ai pas su faire d’autre chose qu’écouter, mais comme journaliste, j’ai enquêté.
Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef
Mon amie Béatrice a son anniversaire en même temps que la rentrée des classes. Cette année, c’est une rentrée des classes un peu différente pour Béatrice et pour plusieurs de ses ami.es à son party de fête. Cette année, elles sont de l’autre côté de la classe, c’est elles qui enseignent, sauf qu’elles ne sont pas payées pour le faire, parce que c’est leur stage 4.
À la fête de Béatrice, je récolte les premières impressions de mes amies qui n’ont, jusque-là, fait que quelques jours. Elles me confient une à une que c’est difficile, qu’elles sont épuisées. Je leur dis que ça passera surement, que moi aussi, après mes premières journées d’enseignement au collégial, j’étais fatiguée. Je leur dis ça pour les encourager, parce que je sais très bien que ça n’a rien à voir. Pas que l’enseignement au collégial soit toujours de tout repos, mais déjà, j’ai toujours été payée pour le faire et surtout, je n’ai pas de gestion de classe à faire ou vraiment très peu. J’ai même moins d’étudiant.es qu’elles n’ont d’élèves.
À sa première journée, j’ai texté Béa pour lui souhaiter bonne chance.
Moi : Amuse-toi! Tu me diras comment ça s’est passé!
Elle : Il manque de bureaux dans la classe où j’enseigne tantôt.
Moi : Hein, comment ça ? Il t’en manque combien?
Elle : Six. Ils sont 40, mais j’ai juste 34 bureaux.
Moi : Béa, il te manque pas de bureaux, t’as trop d’élèves.
Plus tard, Béatrice m’a dit que quand le ratio de 34 était dépassé, les enseignant.es étaient payé.es 50 sous de plus « par tête ». 3$ dans ce cas-ci donc, un montant plus insultant qu’autre chose qui ne lui reviendra même pas de toute façon.
Béatrice était officiellement entrée dans l’arène comme les 400 autres étudiant.es de l’Université Laval qui, cet automne, faisaient leur stage 4.
Ce que mange le stage 4 en automne
En gros, le stage 4, c’est le stage final dans tous les programmes d’enseignement au secondaire et au primaire. Il se fait normalement à l’automne et il faut avoir rempli plusieurs conditions pour y prendre part, notamment celle de la réussite du Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFÉE).
Pendant le stage 4, la prise en charge des stagiaires évolue progressivement vers une autonomie complète. Rapidement, iels prennent en charge l’ensemble des responsabilités pédagogiques qui inclut la planification des cours, la gestion de classe, l’animation des activités d’apprentissage, l’évaluation des élèves et la correction. À côté, les stagiaires doivent également tenir des journaux de bord, s’enregistrer et s’écouter, rédiger des rapports, etc.
Le stage 4, c’est donc une façon de faire le lien entre la théorie et la pratique, entre l’aspiration, sa concrétisation et son altération.
Le stage 4 en chiffres
À la suite d’un sondage pour lequel on a reçu un nombre impressionnant de réponses – peut-être un signe que les stagiaires ont envie d’être écouté.es –, on est en mesure de tracer les contours de la réalité du stage 4 et des impacts sur celleux qui le traversent.
- 73% des stagiaires sentent qu’iels ont suffisamment d’acquis pour réaliser le stage.
- En moyenne, par semaine, les stagiaires passent 30.5 heures à enseigner, préparer leurs cours et corriger, 7h à réaliser leurs rapports, journaux de bord, etc., passent 5.5h dans les transports et pour travaillent 16h à l’extérieur de leur stage.
- 70% des stagiaires habitent, pendant leur stage temps plein non rémunéré, en appartement.
- Le tiers des stagiaires a pensé abandonner son stage.
- À la suite de leur expérience du stage 4, seulement 37% des stagiaires pensent enseigner au moins 5 ans, tandis que 63% d’entre elleux hésitent encore ou envisagent un changement de carrière.
- Le deux-tiers des stagiaires associent à leur stage une émotion négative comme l’anxiété, la colère et la honte.
- 78% des stagiaires ont vu leur santé mentale être affectée de manière significative.
Le stage 4 en mots/maux
Dans le sondage, les étudiant.es avaient des espaces pour écrire dans leurs propres mots comment iels se sentaient et comment iels vivaient le stage. Les enjeux de santé mentale nommés par les stagiaires – nouveaux ou aggravés – sont inquiétant.es. Entre l’anxiété, l’apparition des crises de panique, la modification de comportements alimentaires, l’insomnie et j’en passe, les stagiaires n’arriveront pas indemnes aux Fêtes. Voici quelques témoignages.
« Nos superviseur.es de stage insistent sur le fait que nous devons mettre en pratique ce que nous avons vu dans nos cours théoriques […] en plus d’atteindre les exigences de stage minimales […] La réalité, c’est que personnellement, un élève qui arrive à l’heure avec son matériel et qui est plus ou moins attentif, c’est une victoire. »
« J’ai toujours souhaité être enseignante. Par contre, l’augmentation des difficultés comportementales ainsi que le manque de ressources me mettent des doutes quant au reste de ma carrière. »
« Après avoir été humiliée à plusieurs reprises par des élèves de secondaire 5, j’ai décidé d’abandonner mon stage. »
« J’ai jamais été aussi fatiguée de toute ma vie. »
Du terrain
Ce qui est beaucoup revenu dans les commentaires, c’est que les stagiaires ont du mal à voir la matière, à faire des activités variées, parce que la gestion de classe et des élèves à défi avale tout. Iels rapportent que sur plus de trente élèves, c’est souvent plus du 2/3 qui ont soit un trouble d’apprentissage ou de comportement (ou les deux).
J’avais une amie qui faisait son stage final en maternelle à l’une des écoles primaires que j’ai faites, enfant. J’ai vu ça comme un signe, puis bien aussi, j’avais envie de voir si je pouvais aider mon amie d’une quelconque façon même si c’était juste en allant lire une heure dans sa classe. Alors, c’est ce que je lui ai proposé.
Tu le sais, c’est pas mon groupe d’âge les 5-6 ans, mais ça me ferait plaisir de venir dans ta classe un peu si ça peut te décharger une heure, qu’on soit deux, je pourrais venir lire l’album du Petit prince et faire un bricolage de planète après.
Je me suis donc présentée dans sa classe un mardi matin de novembre.
C’était agité, mais comme, à un autre niveau. 18 enfants dont 2 qui ne parlent pas français, un qui est en observation par une dame de l’IRDPQ, 4-5 qui, assurément, en arrivant en première année l’an prochain, obtiendront un diagnostic et avec lui, des ressources on l’espère. Tout ce beau monde-là dans un local de la grandeur de mon salon (et j’ai un salon bin normal).
Mon amie travaille avec les 4-7 ans depuis genre 10 ans. On s’est rencontrées au camp en fait, on a été coordo en même temps. On a veillé à la survie de groupes de 25 enfant eux-mêmes gérés par des grands-enfants (je dis ça avec tout l’amour du monde pour les animateur.rices de 15-21 ans du Québec). On s’est fait vomir dessus, engueuler par des parents, parce que leur kid avait attrapé un coup de soleil, mordre par des enfants fâchés d’une piscine en réparations, on a consolé des ados à bout de force, on en a renvoyé d’autres, parce qu’ils ne pouvaient juste pas faire la job. On a appelé la police, parce que des jeunes fuguaient ou pétaient des vitres de char pendant des crises.
On a tout fait ça, et si même ça, ça n’a pas d’allure, ça ne m’a jamais inquiété comme m’a inquiété sa classe. Parce qu’au camp de jour, l’idée, c’est juste d’arriver à la fin de l’été en un morceau avec un plus beau teint, en ayant eu, ici et là du fun, mais l’école, ce n’est pas un en attendant, l’école, c’est précisément un pendant. Et tout se joue tellement tôt. Une étude de l’Institut de la statistique du Québec de 2016 a montré que si, une fois la deuxième année passée, un enfant a encore des problèmes de lecture, il sera beaucoup plus à risque de décrochage une fois au secondaire. Mais concrètement, comment on s’assure que tous ces petits humains de 5, 6, 7 ans réussiront à faire les apprentissages nécessaires dans les délais si le temps de contact avec eux ne peut durer plus que de quelques secondes avant qu’un nouveau feu ne soit à éteindre ?
Je suis sortie de mon avant-midi dans cette classe de maternelle de Charlesbourg fatiguée évidemment, déçue de ne pas avoir pu être un plus grand soutien pour mon amie qui, malgré la fatigue et l’impression de pousser dans un mur, est restée calme, dynamique et égale avec chacun.e.
Le constat :
J’ai commencé mon article dans le désir d’aider mes amies, parce que je les aime elles et parce que je crois tellement en l’instruction publique. Je voulais prendre leur pouls, savoir comment elles vivaient ça, comment elles s’en sortaient et si le stage 4, finalement, allait leur donner le goût de faire ce pourquoi elles sont formées. Le constat est assez évident au final.
Si l’expérience du stage 4 semble pénible pour la plupart des étudiant.es qui l’ont traversée cet automne malgré le fait qu’iels se sentaient prêt.es pour le faire, c’est oui, parce qu’il n’est pas rémunéré, oui, parce que la charge de travail est immense, oui, parce qu’il faut travailler en plus à l’extérieur et que tout ça, ça abime la santé mentale des stagiaires, mais si le stage 4 a semblé souvent pénible, c’est qu’il est une fenêtre sur ce qu’est la profession d’enseignant.e au Québec, en 2024, et la vue de cette fenêtre est laide et donne un peu envie de fuir.