Depuis le début du mois de février, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants (FCÉÉ) fait pression sur le gouvernement libéral afin que celui-ci tienne compte du milieu postsecondaire dans son premier budget. L’association pancanadienne, qui regroupe 650 000 étudiants de cinq provinces, demande 3,3 milliards de dollars d’investissements sous forme de transferts fédéraux aux provinces.
Dans un mémoire présenté aux députés fédéraux et aux sénateurs, la Fédération dresse une liste de neuf recommandations, dont l’atteinte de la gratuité scolaire d’un océan à l’autre, à travers un partage des coûts fédéral-provincial. D’autres mesures proposées incluent l’accès des autochtones au réseau postsecondaire, la lutte contre le chômage chez les jeunes et le financement de la recherche aux cycles supérieurs.
En conférence de presse ce vendredi, le premier ministre Justin Trudeau annonçait une expansion de 113 millions de dollars dans le programme fédéral d’emplois et de stages étudiants d’été. Il a d’ailleurs laissé entendre que « les investissements pour les jeunes seront d’autant plus présents dans le prochain budget alors que nous tenterons d’assurer davantage l’accès aux études postsecondaires ».
Lors de la campagne électorale en octobre dernier, Justin Trudeau avait promis d’alléger le fardeau d’endettement des étudiants en ajoutant 750 millions de dollars au Programme canadien de bourses aux étudiants et de reporter le paiement dû sur les prêts étudiants jusqu’à concurrence d’un revenu personnel de 25 000 $.
Compétence exclusive des provinces
Le financement fédéral en éducation est de quatre fois supérieur au niveau des années 80, selon un rapport de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) paru en 2013. Aujourd’hui, environ 13 % du système universitaire québécois est payé par Ottawa sous la forme de transferts fédéraux.
Le régime des transferts, bien qu’il soit d’un soutien précieux aux provinces, peut parfois empiéter sur les champs de compétence provinciaux, notamment lorsque ces transferts sont assujettis à des conditions. Dans le cas de l’éducation, une majeure partie de ces fonds se dirigent dans la recherche scientifique appliquée, soutient l’IRIS. L’argent ne va pas directement dans les fonds consolidés généraux des universités et ne va donc pas combler les besoins pressants qui n’entrent pas dans le cadre de la politique fédérale.
« Sous l’angle du fédéralisme, c’est inacceptable. Ça ne respecte pas le partage établi entre les ordres de gouvernement. » – Patrick Taillon, professeur et constitutionnaliste
« Un autre problème des transferts, selon Patrick Taillon, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, c’est qu’ils peuvent être retirés à tout moment. Le jour où il y a d’autres priorités, qu’il faut couper, les provinces se retrouvent avec des problèmes majeurs de financement. » C’est d’ailleurs ce qui était arrivé dans les années 1990 pendant la réforme Axworthy, époque synonyme de grèves étudiantes au Québec et d’une hausse faramineuse des frais de scolarité dans le reste du Canada. L’IRIS dénote même un lien clair entre l’ingérence fédérale en éducation et la tendance à l’augmentation des frais de scolarité au Canada.
Bien conscient que les investissements en éducation de la part d’Ottawa constituent un apport significatif aux budgets universitaires, le constitutionnaliste conclut tout de même que « sous l’angle du fédéralisme, c’est inacceptable. Ça ne respecte pas le partage établi entre les ordres de gouvernement ».
Position des associations étudiantes
Face à cette importante question constitutionnelle, les divergences d’opinion sont grandes entre les fédérations canadiennes et le milieu associatif québécois.
Amélie Gadient, agente des affaires publiques à l’Alliance canadienne des associations étudiantes (ACAE), soutient que l’organisation ne perçoit pas l’éducation comme une compétence exclusive des provinces, vu le rôle déterminant du palier fédéral dans le financement de celle-ci. Elle défend que l’importance croissante des relations interprovinciales ainsi que l’incidence de l’éducation et de la recherche sur une gamme de compétences fédérales justifie l’intervention d’Ottawa. L’ACAE prévoit tenir sa propre campagne politique vers la fin du mois de février, couvrant des enjeux similaires.
Au Québec, les associations étudiantes impliquées dans le dossier ont longtemps critiqué le déséquilibre fiscal, désavantageux pour le Québec.
En 2009, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) avait émis un avis compréhensif sur les transferts fédéraux. Dans celui-ci, elle demandait un réinvestissement du fédéral de 3,5 milliards sans conditions, la renégociation de la formule de péréquation et l’harmonisation de la taxe de vente du Québec et de la TPS, afin de remédier au déséquilibre fiscal entre le fédéral et les provinces.
Pendant la campagne électorale fédérale de 2011, la CADEUL penchait du même côté, demandant elle aussi qu’on rétablisse les transferts, qu’on retire leurs conditions et qu’on permette au Québec d’administrer son propre programme de prêts et bourses de manière indépendante et fidèle au partage des compétences. Aujourd’hui, l’association dit rester fidèle à ses positions adoptées en 2011, notamment sur la question des transferts fédéraux. L’attaché politique de la CADEUL, René Le Bertre, mentionne que la réclamation de la FCÉÉ semble « aller dans le bon sens ».
Aujourd’hui, l’Union étudiante du Québec, qui succède à la FEUQ, n’a pas de position claire à cet égard. Étienne Racine, coordonnateur aux affaires associatives, prétend que le financement de la recherche par le fédéral est « approprié ». Au-delà de ça, il suppose que « ce n’est pas le rôle du fédéral de prendre de la place en éducation ».
La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants n’a pas retourné les appels d’Impact Campus.