Depuis plus d’un mois, un conflit de travail oppose le Syndicat des professeurs et des professeures de l’Université Laval (SPUL) et la direction de l’Université Laval. Dans la foulée des négociations, les étudiant.es sont à bien des égards pris entre l’arbre et l’écorce : tout en faisant partie d’une « communauté universitaire », les étudiant.es ne peuvent que constater leur passivité dans une situation où iels sont largement considéré.es comme des client.es privé.es de leurs services, et ne disposent que de moyens limités pour faire part de leur vision des choses, de leurs inquiétudes ou de leurs intérêts particuliers. Mais quelle est cette « communauté universitaire » à laquelle nous sommes supposé.es appartenir, et quelle place nous permet-on réellement d’occuper dans celle‑ci ?
Dans le contexte actuel, nous proposons de définir la communauté universitaire comme un tissu d’interrelations, soutenu par un milieu permettant la réalisation du projet commun dont est investie l’Université Laval, notamment en regard de sa mission d’intérêt public de recherche et d’enseignement. Ce projet dépasse largement le strict cadre du retour en classe, qui représente la principale, sinon la seule préoccupation de la direction de l’Université Laval dans ses communications publiques. Les enjeux mis en lumière par la crise opposant le SPUL à la direction de l’Université ne relèvent pas que du conflit de travail entre employé.es et employeur : ils sont lourds d’implications, et posent des questions fondamentales sur les relations qui permettent l’existence d’une communauté universitaire pourvue de sens.
De toute évidence, la crise actuelle révèle le galvaudage du terme « communauté universitaire » : quelle communauté existe-t-il dans l’unique valorisation des trajectoires individuelles et cloisonnées de ses parties constituantes, où l’octroi d’un diplôme représente l’ultime aboutissement ? S’en trouve laissée pour compte la réalisation d’une trajectoire commune essentielle à la notion de communauté. Or, la définition de cette trajectoire nécessite temps, volonté et implication. Elle présuppose des espaces de convivialité où étudiant.es, professeur.es, administrateur.rices, chargé.es de cours et d’enseignement, et personnel de soutien ont l’opportunité de participer activement à l’articulation de leurs besoins aux intérêts d’un milieu privilégié d’exercice de la citoyenneté. Dans cette perspective, une « communauté universitaire » n’est pas que le véhicule d’une image de marque, mais un objet d’attention exigeant un soin, une (re)négociation constante et, surtout, la reconnaissance du droit de cité de ses membres.
En ce sens, nous déplorons la non-reconnaissance du droit de cité étudiant dans le conflit de travail opposant le SPUL à la direction de l’UL. En témoignent les mesures palliatives qu’offre la direction, suivant une logique court-termiste négligeant la portée des enjeux en cause. Nous viennent aisément à l’esprit les images des Temps modernes, à la différence qu’ici, les étudiant.es sont placé.es au bout de la chaîne de montage atteinte d’une « panne inattendue » – rappelons que la négociation entre le SPUL et la direction de l’Université a débuté le 1er septembre dernier, et que l’intention du syndicat de se doter d’un mandat de grève à exercer à partir du 20 février s’est fait connaître dès le début de la session en janvier.
La direction nous assure de sa préoccupation constante « envers la qualité de la formation offerte et la réussite de la communauté étudiante ». Or les revendications des professeur.es renvoient à des enjeux qui touchent directement les étudiant.es.
Enjeu 1 : le manque de professeur.es et la surcharge de travail
Le manque de professeur.es affecte la capacité des étudiant.es à bénéficier d’études à la hauteur de leurs attentes. Moins de professeur.es équivaut à une diminution du choix de cours, tous cycles confondus. En conséquence, l’offre de cours prometteuse et diversifiée mise de l’avant sur les pages web des programmes est souvent bien éloignée de la capacité professorale à donner les cours. Mais le rôle des professeur.es ne se limite pas à « fournir de la matière ». Il consiste aussi à encadrer les étudiant.es dans les activités de stage et de recherche. Or, il s’avère souvent difficile pour les professeur.es de s’acquitter de ces responsabilités étant donné la quantité de tâches qui leur incombe. Après la course aux subventions, la création ou la mise à jour de contenus de cours, l’enseignement, la correction de travaux et d’évaluations, l’évaluation d’articles, de mémoires et de thèses et la réalisation d’activités de recherche, quel temps reste-t-il pour l’encadrement des étudiant.es? Aux cycles supérieurs, la situation est parfois critique : il est fréquent que des candidat.es à la maîtrise ou au doctorat peinent à se frayer un chemin dans l’horaire chargé de leur directeur.rice pour tenir leurs rencontres de suivi ou obtenir des rétroactions.
De même, le manque de professeur.es réduit les occasions où les étudiant.es peuvent intégrer la vie professionnelle universitaire. En effet, les relations entre professeur.es et étudiant.es ne se limitent pas aux représentations classiques du maître et de l’élève : il n’est pas rare de voir l’étudiant.e contribuer à des projets de recherche, à l’organisation de colloques ou à la tenue de cours à titre d’auxiliaire. Les professeur.es jouent un rôle clé dans la proposition de ces collaborations à leurs étudiant.es à tous les cycles. La participation à ces réseaux internes constitue un maillage professionnel qui contribue à la formation. Elle permet notamment aux étudiant.es de développer leur compréhension des savoirs propres à leurs domaines, de faire preuve de créativité et de tirer parti de situations professionnelles concrètes, en plus de tisser des liens étroits avec leur milieu universitaire et de contribuer à leur sentiment d’appartenance.
Enjeu 2 : collégialité universitaire
La collégialité est intimement liée au concept de communauté universitaire : elle renvoie au fait qu’un groupe de représentant.es prenne des décisions communes dans le respect des intérêts des personnes représentées. À l’Université Laval, la collégialité se pratique déjà par certains mécanismes de fonctionnement rassemblant professeur.es et étudiant.es, par exemple les comités de programme.
Toutefois, la crise actuelle met en exergue tout le chemin qui reste à faire pour permettre l’existence d’une véritable collégialité universitaire. Conjointement au SPUL, nous jugeons que les modes de gouvernance actuellement opérés par la direction de l’Université Laval ne réservent qu’une place marginale à l’implication des associations étudiantes dans des situations qui touchent leurs membres. Soulignons la quasi-absence de consultations impliquant des représentant.es d’associations étudiantes sur la question des accommodements en réponse au conflit de travail. De même, les appels étudiants à l’accommodement et au respect du règlement des études n’ont pas été entendus par la direction. Au contraire, cette dernière envisage de considérer le conflit de travail comme une circonstance exceptionnelle permettant de contourner la nécessité d’unanimité lors de la modification des plans de cours. Se sont depuis lors ajoutées d’autres mesures unilatérales, comme la prolongation de la session au-delà du 30 avril, ainsi que la tenue de cours en formule en ligne asynchrone. Pourtant, ces mesures ne conviendront pas pour des raisons évidentes : poursuite de stage, début d’un emploi d’été, départ de/du Québec, etc. La direction se doit de reconnaître le rôle des associations étudiantes dans le conflit : refuser leur implication dans des décisions aussi cruciales, c’est brimer les intérêts de leurs membres.
Parallèlement, la direction a banalisé et minimisé la mobilisation étudiante appuyant les revendications professorales, désignée comme étant le fait de groupes « marginaux en nombre ». Or, malgré les réels défis d’une mobilisation à grande échelle, plusieurs milliers d’étudiant.es provenant de huit facultés[1] ont manifesté leur soutien envers les revendications des professeur.es, sous la forme de mandats de grève ou de déclarations d’appui. Le soutien des étudiant.es s’est d’ailleurs fait entendre lors d’un tintamarre organisé sur le campus le 21 mars dernier, auquel plus de 800 personnes ont participé.
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Dans la première conférence de presse qu’a livrée la rectrice Sophie D’Amours depuis le début des négociations, celle-ci enjoint la communauté universitaire à « regarder devant ». Envoyons un message clair à la direction de l’Université Laval. Quel avenir pour la qualité de la formation dans une université où le nombre de professeur.es diminue alors que le nombre d’étudiant.es augmente ? Quel avenir pour la réussite des étudiant.es dans un milieu où iels ne sont pas reconnu.es comme des parties prenantes et où étudiant.es et professeur.es sont conçu.es comme de simples prestataires ? Quel avenir pour l’Université Laval sans la collégialité et la liberté académique nécessaires pour préserver la mission d’intérêt public dont elle est investie ?
[1] Facultés des sciences sociales; de lettres et sciences humaines; d’aménagement, d’architecture et de design; des sciences infirmières; de pharmacie; de foresterie, géographie et géomatique; de sciences et de génie; de théologie et des sciences religieuses.
Liste des associations étudiantes signataires (9)
Association du Baccalauréat en études internationales et langues modernes (ABEILL)
Association en création et études littéraires de l’Université Laval (ACÉLUL)
Association des chercheur-se-s étudiant-e-s en philosophie (ACEP)
Association des étudiantes et étudiants diplômé(e)s inscrits en linguistique (AÉDIL)
Association des étudiant.e.s gradué.e.s en études anciennes (AÉGÉA)
Association étudiante du département de géographie de l’Université Laval (AÉGUL)
Association des étudiants en théologie et en sciences religieuses (AÉTSR)
Association étudiante des 2e et 3e cycles du Département des sciences historiques (ARTEFACT)
Regroupement des étudiants et des étudiantes en sociologie de l’Université Laval (RÉSUL)