Crédit photo: Gérald Gobeil

Comprendre le discours de Raphaël Létourneau

La traditionnelle collation des grades de l’Université Laval a fait couler beaucoup d’encre, le dimanche 19 juin dernier, suite au discours de Raphaël Létourneau. L’étudiant en sciences sociales s’est notamment dit inquiet des priorités en éducation de l’UL. Quelques semaines après un certain engouement médiatique, le principal intéressé revient sur le propre de son allocution avec Impact Campus.

Q : Quel était le but de ton intervention?

R : Ce qu’il y avait dans le cœur de mon discours, c’est la fonction de base que devrait avoir l’Université. Je voulais souligner que c’est ici qu’on crée un savoir et un esprit critique auprès des étudiants, pour comprendre les besoins, les défis et les problèmes sociaux de demain. Parce que, oui, j’ai l’impression que l’Université, dans son orientation actuelle, s’oriente davantage vers les besoins du marché et les commandes externes, que sur un espace pour prendre un recul de réflexion et d’analyse critique de notre société. J’ai l’impression que l’institution est instrumentalisée, précisément dans un contexte de manque de financement.

Q : Que reproches-tu au système actuellement en place?

R : Je pense que la gestion de la haute-administration, vu le manque de financement, choisit de stimuler des programmes qui sont rentables, qui ramènent de la visibilité et des investissements privés. Les sciences sociales, par exemple, d’où je viens, sont délaissées parce qu’elles n’amènent pas de fonds. Au niveau du choix de financement par faculté, j’ai l’impression qu’il y a un phénomène de péréquation inégal, qui baisse pour certaines facultés, et qui grimpent en flèche pour d’autres. On voit vraiment un déséquilibre flagrant qui n’a pas sa place. Récemment, les graves coupures du gouvernement ont même poussé l’Université à adopter des mesures encore plus drastiques, ce qui a mené à affaiblir la qualité globale des services aux étudiants.

Q : Quelles pourraient être les solutions?

R : À la base, je retournerais au gouvernement provincial dans son choix de financer davantage l’éducation, les programmes sociaux et les services publics. On regarde actuellement à court terme avec une logique comptable. On veut équilibrer le budget à tout prix. Sauf qu’à long-terme, on crée énormément d’inégalités, que ce soit dans l’accès à l’éducation ou la mobilité sociale. Je crois qu’il faut d’abord réinvestir massivement dans l’éducation.

Il faut aussi être conséquent au niveau des administrateurs. Il y a une déconnexion dans un contexte où le définancement est majeur, mais que les recteurs se permettent de telles augmentations de salaires. C’est illogique. Il ne faut pas être à l’écoute des besoins pour se permettre de telles mesures. Ça m’amène des questionnements par rapport à l’écoute que les dirigeants ont et surtout, s’ils représentent vraiment l’université.

Q : Crois-tu avoir pris le bon moyen pour t’exprimer?

R : J’ai eu énormément de soutien suite à mon discours, mais il y a quand même quelques personnes qui sont venues me voir pour me dire que ce n’était pas le bon moment, qu’il s’agissait de festivités. Je comprends le point de vue. Par contre, réfléchissons à quels moyens et quels espaces avons-nous pour s’exprimer en tant qu’étudiants à l’UL. Quand sommes-nous vraiment consultés? La réponse est qu’il n’y a pas beaucoup de place. Même dans les instances formelles, comme la CADEUL, je crois que ce n’est que pour la forme qu’on les laisse s’exprimer, mais que c’est rarement considéré ou influent dans la prise de décisions.

Je crois qu’on en est à un point où il faut sortir des cadres formels, puisque, clairement, ils ne sont pas faits pour changer les choses. Ils sont contrôlés par ceux qui détiennent le pouvoir et qui dictent l’échange.

Q : Comment perçois-tu les différentes réactions face à ton discours?

R : J’étais un peu dans un rush d’adrénaline! (Rires). J’ai passé un message, mais j’avais encore l’occasion d’aller plus loin dans l’explication du sens de mes propos. Car ce n’était vraiment pas de critiquer des gens dans l’organisation, mais davantage de critiquer des pratiques. Cet engouement médiatique – j’ai littéralement eu 15 entrevues en deux jours –m’a donc permis de m’expliquer plus clairement sur le message que je voulais passer.

Qu’il y ait autant de gens qui soient, comme moi, choqués, me donne de l’espoir pour que les gens reprennent ce message et mènent des actions collectives de leur côté. Je ne me suis vraiment pas senti seul. Certains sont mêmes venus me voir pour initier des projets suite à mon discours. Rendu ici, je n’ai plus mon mot à dire !

Consulter le magazine