Revue de la 8ème édition du festival Plein(s) Écran(s) (4/4)

Encore une fois cette année, les journalistes d’Impact Campus sont de retour pour vous donner leurs impressions de la quarantaine de courts-métrages sélectionnés dans le cadre de cette édition 2024 du Festival Plein(s) Écran(s). Pour les nouveaux.elles, le principe est le suivant (rien de compliqué et juste du plaisir, promis!) : à chaque jour du 16 au 28 janvier et pendant 24 heures, vous aurez la chance de pouvoir visionner une variété de courts-métrages, passant de la réalité à la fiction, des animations aux documentaires, du rire aux larmes. Vraiment, tout y est ! Et quitte à nous répéter : nous vous encourageons fortement à y jeter un coup d’œil, à partagez, vous aussi, vos coups de cœur et vos réflexions, puisque ce festival est, après tout, l’occasion idéale de se rassembler, de contribuer à la démocratisation de l’art cinématographique et à son rayonnement.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts, et Camille Sainson, journaliste multiplateforme

Pour profiter du Festival Plein(s) Écran(s), rien de plus simple : l’événement est gratuit et disponible à toustes. Vous n’avez qu’à vous rendre sur leur page Facebook (ici) ou Instagram (ici). Vous pouvez également avoir accès à toutes les informations concernant le festival et aux courts-métrages directement sur leur site web (ici). Bon visionnement !

Mood  (tels qu’établis par le festival)

Punk, Doux, Méditatif, Weird, Intense, Surprenant, Angoissant

24 janvier – Camille 

Agonie (13 minutes)

Réalisation : Arnaud Beaudoux | Mood : Weird, Angoissant, Intense

Synopsis : Un réalisateur se retrouve captif d’un chalutier en haute mer où sa détresse s’entremêle avec le destin de ce qu’il filme.

Avis : Alors que le synopsis mentionne la détresse du réalisateur, force est de constater que la présence du sujet observateur n’est pas si palpable. Aucune subjectivité dans le point de vue n’est de mise, au contraire, nous assistons à une journée de pêche à la manière d’un documentaire. C’est loin d’être un problème, mais ça nous interroge sur les intentions du réalisateur. Les plans ont une belle esthétique et soulignent la beauté froide et insondable de la mer. Le rythme s’accélère dans les dernières minutes et met en lumière l’industrialisation des techniques de pêche. Les poissons s’humanisent alors, la bouche ouverte, dans une ultime tentative de respirer, sous nos regards impuissants. 

Nanitic (14 minutes)

Réalisation : Carol Nguyen | Mood : Doux

Synopsis : Trang, 9 ans, commence à sortir de l’oubli pendant que sa grand-mère repose sur son lit de mort dans le salon. Que se passera-t-il quand grand-mère ne sera plus là ?

Avis : Nanitic nous propose un magnifique travail de cadrage et de lumière. La composition des plans est réfléchie avec soin et met en valeur les personnages. Accompagnée du grain de la pellicule, l’image n’en est que plus belle. C’est donc avec beaucoup de douceur que ce court-métrage aborde les thèmes de la maladie et de la mort vues à travers les yeux d’un enfant. Alors que la grand-mère tente de reprendre son souffle, une lumière rouge se diffuse sur l’écran, envahit nos poumons, nous fait ressentir la même pression sur nos poumons. L’identification est réussie, la réalisation nous plonge dans le film avec justesse et émotion !

Oskar (9 minutes) – Coup de coeur

Réalisation : Max Vannienschoot | Mood : Méditatif

Synopsis : Au guidon de sa moto, Oskar traverse à toute vitesse les paysages sereins des côtes de la mer du Nord.

Avis : Coup de cœur du jour, Oskar est une pépite visuelle, un instant de méditation poétique au goût doux-amer. Le dessin en noir et blanc souligne la dichotomie entre l’ombre et la lumière, un espace monochrome dans lequel erre notre personnage. Métaphore de la dépression, de ces pensées aux allures de tempêtes orageuses, les nuages dévorent l’âme du voyageur en quête de lui-même. La narration en off, seule voix du récit, apporte une dimension philosophique à l’ensemble. Finalement, dans les ténèbres flottent les cigarettes d’un temps passé, étoiles sous-marines qui guident Oskar vers la surface. Instant presque en apesanteur, on laisse nos pensées errer sur le sable jusqu’au noir final.

Summer Nights (14 minutes)

Réalisation : Virgile Ratelle | Mood : Punk

Synopsis : Sous la couverture de la nuit, les skaters s’approprient les rues.

Avis : Alors que la nuit tombe et que les lumières de la ville s’éveillent, un groupe d’adolescents se retrouve pour faire du skateboard, rigoler, écouter de la musique, etc. Soirées estivales où les obligations n’existent plus, les cœurs s’ouvrent pour aborder l’avenir et ses pages blanches qu’il faudra remplir. Summer nights nous ramène quelques années en arrière, avec son format 4:3 spécifique à la pellicule et surf ainsi sur une vague à l’ambiance rétro très appréciable.

25 janvier – Frédérik 

6 minutes/km (3 minutes)

Réalisation : Catherine Boivin | Mood : Méditatif

Synopsis : Au rythme des pas de ses ancêtres Atikamekws, Catherine nous plonge dans l’univers onirique de ses courses matinales.

Avis : Ce qui m’a tout de suite intéressée, en entamant ce court-métrage (littéralement), c’est la multiplicité des points de vue présentés en simultané, de sorte que nous puissions nous aussi nous saisir des ressentis des courses de Catherine. À d’autres moments, les images sont plutôt superposées les unes aux autres, font se rencontrer diverses temporalités et versions d’une même voix. Par ailleurs, c’est toujours un plaisir de voir que de tels festivals font de plus en plus une place aux différentes cultures autochtones, et plus encore à leurs langues. Elles portent en elles des imaginaires, des modes de pensée, mais aussi des musicalités qui leur sont propres et qui, même si elles peuvent être soutenues par une traduction en français ou en anglais (ce qui peut sembler neutraliser le texte original, je l’admets), contribuent à rythmer la narration, déjà portée par le souffle, les pensées et les silences de la narratrice.

RESTE (7 minutes)

Réalisation : Ginger Le Pêcheur | Mood : Méditatif

Synopsis : Par une matinée d’été, l’ennui vient se mêler à la lourdeur d’une soirée ayant dégénéré la veille pour Chichou, 6 ans.

Avis : Avec RESTE, les spectateur.rices ont l’impression de s’immiscer dans la quiétude de cet appartement, visiblement marqué par les ruines. Nul besoin de dialogues et de grandes phrases alambiquées, c’est l’après-chaos, le monde semble retenir sa respiration, s’être mis sur pause. Pourtant, la jeune fille y déambule, s’approprie cet espace parsemé de ces morceaux de vie adulte, nous entraîne dans ce tableau qu’elle tente, malgré les inquiétudes et la turbulence, d’adoucir et de faire sien. Comment naviguer les restes (!) d’une existence qui ne nous est visiblement pas destinée ? Une fenêtre sur ce que c’est que d’être enfant, un peu malgré soi.

Simo (23 minutes) 

Réalisation : Aziz Zoromba 

Synopsis : La rivalité fraternelle entre Simo et Emad prend une tournure dangereuse lorsque Simo infiltre en direct la chaîne de jeux vidéo de son grand frère.

Avis : Pas toujours facile d’apprivoiser l’adolescence, et encore moins lorsque l’on se sent incompris, ou que l’on tente, sans trop savoir comment s’y prendre, de se faire entendre. Mais plus qu’une relation entre deux frères, ce sont aussi les liens entre un père et ses deux fils qui y sont également présentés. Le récit de cette cellule familiale en vient à revêtir des allures de jeux vidéo grandeur nature, s’avère bien plus lourd de conséquences : c’est la dégringolade, et elle est douloureuse. Le court-métrage ne tend toutefois pas à entretenir une forme de fatalisme ou de pessimisme, puisque cette histoire en est aussi une de solidarité, se clôturant plutôt sur un trio non pas indemne, mais d’autant plus unifié, rassemblé autour de ce qui, auparavant, alimentait sa discordance. Si j’ai d’ailleurs apprécié que l’on boucle le tout en reprenant ces éléments problématiques sous un nouveau jour – le père acceptant maintenant de laisser conduire Emad, et Emad laissant son frère Simo faire jouer son rap égyptien -, j’aurais aimé que le tournant vidéoclip trouve davantage de sa cohérence avec le reste de l’ensemble, même s’il permettait de retrouver la légèreté et l’aspect ludique initial du court-métrage.

Yvon / L’éternel (20 minutes)

Réalisation : Benoit Massé | Mood : Doux

Synopsis : Yvon, atteint du VIH, est à l’automne de sa vie. Amoureux de musique, il fredonne sans cesse des airs pour les fleurs, les oiseaux, son ami Alain et pour lui-même.

Avis : Si nos nombreux avis rédigés au cours du festival, nous ont parfois placé.es en désaccord avec les mood ou les synopsis proposés d’entrée de jeu, l’équipe de Plein(s) Écran(s) a certainement vu juste dans le cas de Yvon / L’éternel. Il s’agit là d’un court-métrage qui touche, qui fait du bien, et qui, surtout, illumine ces bouts de quotidien en apparence parfois moroses ou plus difficiles, sait rendre de sa beauté au banal et à l’ordinaire. Découpé en actes, à la manière des opéras qu’affectionne Yvon, il nous rappelle que nous avons toustes droit au grandiose et à sa félicité, et qu’il n’a pas besoin d’être excessivement démesuré pour émerveiller, émouvoir.

26 janvier – Frédérik

À la vie à la mort (15 minutes)

Réalisation : Emilie Mannering | Mood : Méditatif

Synopsis : Suite à une rupture, Cesar va à la rencontre des personnes de son entourage avec sa caméra pour répondre à cette question qui l’obsède: comment aimer?

Avis : Étant friande de jeux de mots (certain.es pourraient trouver ça quétaine, moi je dis oui à cette petite douceur supplémentaire, et puis tant pis pour elleux), j’ai apprécié le titre du court-métrage, élément qu’on oublie, la plupart du temps, et qui vient pourtant témoigner du tiraillement et des préoccupations qui habitent le personnage de Cesar, de cette relation à l’amour toujours plus complexe et même contradictoire que le romantisme aveugle que l’on s’acharne à nous vendre. L’amour est polymorphe – rien de bien choquant ou de révolutionnaire ici – et on explore ses différentes facettes, à la fois ses zones d’ombre et de lumière. Au-delà des réponses qui ont de quoi faire sourire et de l’empathie que l’on développe à l’égard de César (ah ! les ruptures), j’ai toutefois trouvé plus difficile de faire sens de certains éléments, comme les visions d’animaux sauvages accompagnant le protagoniste dans sa démarche documentaire très intime, me laissant ainsi un peu sur ma faim.

Fire-Jo-Ball (17 minutes)

Réalisation : Audrey Nantel-Gagnon | Mood : Punk

Synopsis : Jo-Ann, une barmaid de 57 ans, rêve d’’être chanteuse et actrice. Elle se sert de son quotidien (et du film) pour jouer le rôle de sa vie.

Avis : Je me permets l’écart rédactionnel (et professionnel?), parce que Jo-Ann < 3, tout simplement. Les premiers mots qui me sont venus à l’esprit en voulant qualifier ce court-métrage (outre punk), sont, sans aucune hésitation, “vrai”, “authentique”. On y croit, la question ne se pose même pas ; on n’a pas l’impression de visionner un film dans le cadre d’un festival ou d’une compétition, puisqu’on s’y retrouve, sans que ce ne soit laborieux ou surtravaillé, mais pas non plus négligé. Fire-Jo-Ball, c’est nos mères, nos tantes, nos grand-mères. La forme empruntée, notamment par l’intermédiaire des directs sur les réseaux sociaux, et la vulnérabilité qui se déploie à l’écran réussissent à créer un sentiment d’intimité et de proximité. C’est résolument féministe, aussi, à sa manière. Et oh ! combien pétillant ! Mention spéciale, au passage, à cette cerise sur le sundae qu’est le générique de fin, se déroulant comme les paroles d’un karaoké sur fond de Marjo. Loin de moins l’idée de faire dans la complaisance, mais vraiment, j’ai tout aimé.

L’Atelier (12 minutes)

Réalisation : Namaï Kham Po | Mood : Doux, Punk

Synopsis : Kathy Tran et Agnès Gaudreau travaillent comme mécaniciens.nes à l’atelier mécanique du Bâtiment 7, lieu facilitant l’intégration des minorités.

Avis : Ce que j’aime voir être représentés et mis en valeur ces élans de solidarité entre travailleur.euses ! Nous éduquant sur l’importance de briser les boys club, de démasculiniser les domaines et les métiers dits traditionnellement masculins (et souvent emprunts de masculinité toxique, c’est le moins qu’on puisse dire), ce court-métrage nous sensibilise quant à l’importance des safe space dans les milieux de travail, réseaux s’organisant en marge la plupart du temps par nécessité, jamais par caprice, je tiens à le rappeler. J’ai trouvé que la formule entrevue et témoignage, très épurée et honnête, était en phase avec le projet et la démarche des deux mécanicien.nes/ garagistes, en leur laissant pleinement la place pour s’exprimer. Le ton n’est pas moralisateur ou agressif (pas que ce soit négatif, ça en prend, parfois), et ne s’inscrit pas non plus dans une logique de gatekeeping, c’est-à-dire trop jargonneuse et excluante, par exemple. Le film mise plutôt sur l’ouverture, l’inclusion et le partage, et risque de parler tant aux personnes étant directement touchées par ces réalités qu’à celles étant peut-être moins familières avec les enjeux et les problématiques soulevées. Bien joué.

Procès verbal (5 minutes)

Réalisation : Matthew Wolkow | Mood : Doux

Synopsis : À la fois simple, profond et léger, ce film est un jeu de mots; un casse-tête délibératif.

Avis : Voilà une proposition à laquelle je ne m’attendais pas du tout, de la meilleure façon ! Le court-métrage est effectivement inusité, et pourtant, quand on prend enfin la mesure de ce qui se passe, tout prend son sens (j’essaie si fort de ne rien divulgâcher !). Qui aurait cru que le code Morin pouvait être aussi poétique, enjoué et naturel, prendre des airs de partition ? À cheval entre formalités et protocole, ornithologie et calligramme, ce collage audiovisuel a de quoi enthousiasmer et réjouir. Un vrai petit régal. 

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