Un pays divisé

Un pays divisé : identité, fédéralisme et régionalisme au Canada, un ouvrage de deux politologues expose les multiples points de désaccord au sein de la confédération.

Par Ludovic Dufour, chef  de pupitre société

Évelyne Brie, doctorante au département de science politique à l’Université de Pennsylvanie et Félix Mathieu, professeur adjoint en science politique à l’université de Winnipeg, présentent un Canada fort divisé dans leur livre. En s’appuyant sur les statistiques de l’enquête La Confédération de demain 2.0 / The Confederation of Tommorow 2.0. couvrant une variété d’enjeux, les deux auteurs constatent des divisions sur plusieurs sujets et à divers niveaux. Plus inquiétant pour l’avenir de la fédération, il semble que l’écart se creuse entre les Canadien.nes et entre les provinces.

Les données du sondage sont analysées sous trois lentilles par les chercheurs. D’abord l’individu, la manière de se représenter et ses valeurs. Par exemple, seulement 48,9% des Canadien.nes affirment que les valeurs sont essentiellement les mêmes d’un océan à l’autre. Au Québec 52,6% des personnes interrogées disent que ces valeurs ne sont pas les mêmes, ce qui représente une augmentation de près de 4% comparativement à 2017. Concernant les enjeux identitaires, on retrouve la perception de la langue française, les valeurs que les Canadien.nes croient partager et la situation autochtone comme étant les sujets causant le plus de division.

L’analyse se poursuit sous la lentille des dynamiques provinciales. Ainsi, on y apprend que les populations des provinces se divisent sur les enjeux touchant la péréquation, la centralisation ou l’asymétrie dans le traitement des provinces. De cette manière, les populations du Québec, de l’Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve se disent en faveur de plus d’autonomie vis-à-vis du gouvernement fédéral. Autre signe de l’insatisfaction générale, moins de la moitié des Canadien.nes perçoivent que leur province est traitée avec le respect qu’elle mérite.

Finalement, les auteurs prennent une perspective plus large en étudiant les tendances régionales. Ils observent que les régions de l’Atlantique, de l’Ouest et du Québec sont les plus insatisfaites du système fédéral. En outre, les statistiques indiquent que la vaste majorité des Canadien.nes perçoivent que les autres régions sont favorisées par le fédéral. Ainsi, les Québécois.es croient l’Ontario et l’Ouest favorisés, les Ontarien.nes affirment que le système favorise l’Ouest et le Québec, et les populations de l’Ouest sentent que le Québec et l’Ontario sont favorisés. En bref, personne ne se sent gagnant.

En entrevue, Félix Mathieu résume : «Le Canada est très divisé, il l’est depuis longtemps, et ce que l’on observe, c’est que loin de s’essouffler, ces foyers de la division se consolident à travers le temps.».

Fort de ces observations, les deux experts identifient quatre voies possibles pour le Canada. D’abord, il y a la tentation unitaire qui vise à faire disparaitre ces identités et cultures qui sont à la source la plupart de ces divisions. Outre l’opposition que cette approche risque de rencontrer, les auteurs rappellent que même en cas d’institution politique représentant ces cultures, elles peuvent continuer de causer des divisions. Ils ajoutent également que cette approche manque de légitimité et qu’il s’agit d’une approche cherchant à réduire l’importance de certaines cultures et à contre-courant d’un Canada qui se veut multiculturel.

Ensuite, les acteurs politiques peuvent être tentés par le statu quo. Cependant, si rien ne vient changer les tendances actuelles, l’insatisfaction va continuer de croître, donc cette avenue semble peu viable à long terme.

Puis, l’insatisfaction pourrait se développer en de multiples projets indépendantistes. Les chercheurs ne voient pas de raison suffisante pour écarter la possibilité d’une redéfinition des frontières canadiennes. Ils ajoutent qu’il n’y a pas de raison de croire que ces nouveaux états ne donneraient pas naissance à de saines démocraties.

Finalement, les auteurs identifient le fédéralisme asymétrique comme la voie la plus souhaitable pour le Canada. On cherche ici à redéfinir les rapports unissant les provinces à la confédération de manière à rejeter une égalité stricte et inflexible pour lui préférer une forme de fédération permettant des ententes différentes avec le fédéral. Chaque province serait donc plus à même de définir sa place dans la fédération.

Un pays divisé : identité, fédéralisme et régionalisme au Canada paraîtra aux Presses de l’Université Laval le 10 septembre. S’appuyant sur une démarche scientifique rigoureuse, l’analyse peut intéresser autant les analystes politiques que les politicien.nes, mais aussi le grand public. Dans un souci de démocratisation du savoir, une attention particulière a été donnée pour rendre l’ouvrage accessible en évitant d’alourdir inutilement le texte et en fournissant des encadrés qui remettent en contexte certains éléments du texte qui peuvent être obscurs pour les néophytes de la politique fédérale.

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