Les femmes et les hommes s’adaptent à leur environnement, c’est un fait. Au travail, ils obéissent ; à l’école, ils respectent les consignes. Mais pourquoi nous plions-nous aux règles et dans quelle mesure sommes-nous influencés par la société ?
Par Lucie Bédet, journaliste multimédia
Patrick Gosling est professeur émérite de psychologie sociale à l’Université Paris Nanterre. Il a dirigé l’écriture du livre « Psychologie sociale – L’individu et le groupe » et connaît parfaitement les systèmes d’influences sociales. Nous l’avons interrogé sur le besoin de l’Homme de suivre les normes.
Premièrement, pouvez-vous expliquer ce qu’est l’influence sociale et ses différents mécanismes ?
Il y a d’abord deux types d’influences sociales : l’influence majoritaire et l’influence minoritaire. La première signifie qu’un individu a tendance à se conformer à la majorité, cela produit une forme de soumission. L’influence de la majorité agit de façon immédiate sur la réponse des gens tandis que l’influence minoritaire est plus longue à se mettre en place, mais elle est plus durable. Les minorités doivent argumenter, convaincre pour produire de nouvelles idées et de l’innovation dans la société.
Pourquoi les hommes s’adaptent tant aux autres dans notre société ?
On le fait sans s’en rendre compte. L’adaptation n’est pas un acte volontaire. Par exemple, les enfants ne contestent pas l’autorité des parents. En fait, la soumission à l’autorité ou l’influence majoritaire se fait de façon inconsciente. D’ailleurs, si une personne commence à penser qu’elle est influencée, c’est à ce moment-là qu’elle va résister.
« Les gens qui disent : « je ne suis jamais influencé, je ne suis pas influençable » sont justement les gens qui le sont le plus car ils n’ont pas conscience de l’être. »
A-t-on vraiment besoin de normes dominantes ?
Oui dans le sens où la reconduction de la société se fait par les normes sociales. L’influence de la majorité permet à une société de se reproduire et en ce sens, c’est indispensable. C’est comme apprendre une langue : dans un pays, on apprend tant la langue que les normes sociales.
On parle souvent de l’intégration dans la société, doit-on suivre les normes pour être intégré ?
La question de l’intégration est complexe. On ne peut pas répondre directement, car on distingue deux types de personnes qui ne se conforment pas aux normes.
Il y a ceux qui disent non aux normes sociales sans avoir d’autre schéma à proposer et ceux qui se structurent avec une autre vision de la société. Ces derniers, s’ils persistent, peuvent avoir une influence sur la majorité. Ils peuvent développer leur norme qui va finir par s’intégrer.
Comment sait-on que la minorité fait valoir ses idées ?
C’est seulement quand les gens de la majorité commencent à douter et à prendre en compte le message des minoritaires que cela change quelque chose. Cela se voit avec le féminisme ou l’écologie : au fil du temps on voit que la majorité a intégré des normes sociales qui étaient minoritaires
auparavant.
Peut-on s’éloigner des sources d’influence ? Si oui, comment ?
Nous sommes toujours influencés et il faut en prendre conscience. Toutefois, les gens qui sont capables de réfléchir par rapport aux normes sociales peuvent réagir un peu plus librement. On se conforme aussi en fonction de son niveau de culture, d’éducation. Plus on lit, plus on réfléchit, plus on peut se dissocier de la norme sociale.
Les premières expériences scientifiques dans le domaine de l’influence sociale sont menées par Solomon E. Asch dans les années 50. Il y démontre le pouvoir du conformisme d’un individu dans un groupe. Plus tard, de 1960 à 1963, Milgram s’en inspire pour évaluer l’obéissance des individus face à une autorité. Sous l’autorité et les encouragements d’un soi -disant expert (complice de l’expérience), il invite les sujets à infliger des décharges électriques à d’autres individus. Au total, la moyenne des prétendus chocs électriques s’élevait à 360 volts, soit la moitié de l’intensité électrique d’un rail de métro. Enfin, le chercheur français Serge Moscovici a travaillé sur l’influence minoritaire.