La quintette pop Choses Sauvages a finalement lancé, après près de quatre ans d’activité, un attendu premier album éponyme. Avec Choses Sauvages, le groupe ancre pleinement ses pieds dans le virage francophone qu’ils avaient amorcés avec le simple L’Épave Trouée, paru en 2016.
En fait, il semblerait que les premiers balbutiements anglophones de Choses Sauvages aient, dans un secret total, disparu de l’internet, comme quoi le groupe se serait réellement trouvé dans sa récente itération «en français». C’est peut-être un peu dommage, les EPs Late Night et Japanese Jazz étant assez appréciable sur les pistes de danse (ce dernier est toujours disponible en écoute, d’ailleurs, si vous cherchez un peu).
Il faut admettre que le pari français est réussi. Les paroles, souvent déclamées dans d’étonnantes lignes mélodiques, collent comme du miel à de langoureuses lignes de basse s’attardant sur les demi-temps et mettant en évidence les trous dans les rythmiques des grooves du batteur Philippe Gauthier Boudreau. Les rythmes en syncope du simple La valse des trottoirs, par exemple, réussiraient à faire danser et sourire les coeurs tristes les plus récalcitrants. Cette créativité rythmique, toujours absolument bien ficelée, de Boudreau et Félix Bélisle (basse, voix) est sans doute le principal point fort de l’album, quoique loin d’être le seul.
La production d’Emmanuel Éthier, fidèle à ses habitudes, est léchée, sans toutefois mettre le risque et l’ambition de côté. En témoigne l’ouverture du Palais des erreurs, défiant presque l’auditeur, comme si disant «écoute, comme ce drum sonne bien» avant que le groupe ne s’emporte dans une lancée funk veloutée. La voix souple de Félix Bélisle, combinée aux flûtes et aux guitares souples, amène une touche Gainsbourg-esque que peu de contemporains québécois peuvent se vanter d’avoir aussi bien réussie.
Easy listening
L’album, ayant rapidement épuisé ses simples après la sulfureuse et dramatique Ariane, sa troisième pièce, a tout à prouver, présentant, pour compléter la galette sept pièces inédites. L’excellente et dansante Superstition, pleine de coups d’éclats de saxophone et de guitares à la Chic, glisse à sa moitié vers une surprenante mélodie à la Kraftwerk et amorce le bal en mettant la barre très haute. Nuages et Coeur de pierre, plus lentes et discrètes, poignantes dans leur lyricisme, simple mais efficace, continuent à susciter un intérêt plus domestiqué. L’album tend presque vers un easy listening à la Men I Trust, Floes et consorts, ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il y a quelques moments, notamment dans la presque vaporwave Poussières, où on s’approche dangereusement d’ambiances à la Kenny G, sans les langoureux solos. On aimerait un peu plus de danger, d’instruments placés en avant, d’harmonies osées. On en arrive presque à avoir une nostalgie des premières pièces, plus aventureuses. L’oreille attend les guitares distortionnées du Palais des erreurs, la frénésie de Superstition ou les lignes de voix créatives d’Ariane. Ne vous trompez pas, les chansons restent bonnes, et ce, tout au long de l’écoute. Fond d’écran, par exemple, joue très bien sur ses influences et est une délicieuse tranche de pop-ambiante. Il s’agit plutôt de l’enchaînement de l’album qui, peut-être, a mis trop d’emphase sur une succession de chansons plus lentes, qui individuellement fonctionnent bien, mais en série peinent à ne pas se fondre en arrière plan.
La pièce instrumentale Hualien, avec son rythme motorique et sa montée chromatique, teintée d’influences allemandes, est là pour réveiller l’auditeur, et le réveil est doux, les montées synthétiques sont réussies et les harmonies scintillantes complètent ce qui est sans doute le moment fort de l’album. Damoclès, la suivante et dernière pièce, clôt l’écoute avec brio. On finit le sourire aux lèvres, oubliant presque la petite longueur qui a freiné le rythme d’un album somme toute très réussi.
3.5