Le film français le plus coûteux de l’année a fait son entrée en coup de tonnerre dans les salles québécoises le 16 août, et n’a depuis cessé de ravir la critique qui lui accorde une note de 4,2 sur Letterboxd et un score parfait de 100% sur Rottentomatoes. Pourtant, ces classements exceptionnels ne parviennent pas à rendre pleinement justice à ce spectacle époustouflant qui réinvente le rythme effréné des vendettas du XVIIIe siècle sur fond de rives marseillaises.
Par Léon Bodier, journaliste multimédia
Scénario : Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière | Réalisation : Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière | Photographie : Andrés Arochi Tinajero | Musique : Jérôme Rebotier | Montage : Célia Lafitedupont | Production : Dimitri Rassam | Distribution : Pierre Niney, Bastien Bouillon, Anaïs Demoustier, Anamaria Vartolomei et Laurent Lafitte
« Feras-tu le bien ? Ou laisseras-tu t-on cœur se remplir de haine ? »
Depuis plus de vingt ans, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte multiplient les collaborations, avec à leurs actifs plusieurs francs succès, notamment leur première pièce de théâtre, Le Prénom, qu’ils ont eux-mêmes portée au cinéma, remportant au passage deux Césars. En 2022, les deux cinéastes s’attaquent à l’adaptation des Trois Mousquetaires, avec D’Artagnan et Milady, un diptyque ambitieux grimpant un budget colossal de 70 millions d’euros. Ce projet marque leur première incursion dans ce genre, avant de relever un nouveau défi d’envergure : l’adaptation d’un autre chef-d’œuvre d’Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo.
« À partir de maintenant, c’est moi qui récompense, et c’est moi qui puni. »
Le jour de son mariage avec Mercédès, Edmond Dantes devient la cible d’un sinistre complot entre le procureur du Roi Gérard Villefort, le cousin de la mariée Fernand de Morcef, et le capitaine Danglars. Arrêté pour un crime qu’il n’a pas commis, le jeune homme passe ensuite près de 14 ans dans l’île-prison de Château d’If en compagnie d’Abbé Faria. Ce dernier lui apprend tout ce qu’il sait pour que le jour où il parviendrait à s’évader, Edmond puisse récupérer le trésor perdu des Templiers. Devenant riche au-delà de ses rêves, il prend l’identité du comte de Monte-Cristo avec un seul objectif en tête : se venger des trois hommes qui l’ont trahi.
« La mer, le seul endroit sur Terre où tout est horizon et où il n’y a plus de trace laissée par les Hommes. »
Transformer François Civil, Vincent Cassel et Romain Durris en mousquetaires était déjà impressionnant, ne manquait plus que l’étoile montante du cinéma français à leur palmarès pour être sûre de combler les salles sur une autre adaptation de Dumas. En effet, compter sur la popularité de Pierre Niney était à peine un pari à prendre et qui s’est remboursé au centuple. Avec ce film, l’acteur propose des émotions à la fois intelligentes et sincères, reflétant parfaitement l’incapacité d’Edmond Dantès à ressentir autre chose que de la haine envers ceux qui l’ont trahi ; une performance qui se transforme en mélancolie mordante lorsque le prisonnier parvient peu à peu à retrouver son humanité et à réapprendre à vivre pleinement.
« Si je renonce à me faire justice, je renonce à la seule force qui me tient en vie. »
C’est une approche psychologique et moderne pour ce conte d’amour et de vengeance qui devient ainsi une adaptation visuellement saisissante du roman original, l’honorant tout en l’améliorant pour offrir une nouvelle version captivante d’un conte intemporel. Structurée autour de trois actes de vengeance, l’intrigue donne lieu à 2h58 de thriller épique et palpitant porté par des performances explosives et une narration impeccablement ficelée, qui justifie pleinement les trois heures passées devant le grand écran. Toutefois, ce qui marque le plus, c’est la cinématographie et la bande sonore qui (et ça fait mal de le dire) sont dignes des plus grands blockbusters américains, tout en gardant un je ne sais quoi que l’on attribue facilement à la sensibilité d’un cinéma très français.
« Vous aussi vous allez me sacrifier pour votre vengeance ? »
Le principal défaut du film, s’il fallait en souligner un, réside dans le traitement des personnages féminins. Bien que les actrices Anamaria Vartolomei, Anaïs Demoustier, Julie de Bona et Adèle Simphal livrent des performances remarquables, leur rôle souffre d’un manque cruel de caractérisation. Entre infanticide et parricide, trafic d’êtres humains et agressions sexualisés, ces femmes marquées par des traumatismes (et par les hommes) semblent inexplicablement prêtes à pardonner très vite. Compréhensives, sensibles, émotionnellement matures, leur bienveillance devient franchement exaspérante alors que les abus s’accumulent ; une caractéristique sûrement attribuable au matériel d’origine, mais qui pousse à la frustration et suscite une véritable envie de s’insurger sur son siège.