Crédit : Tautuktavuk (Sous nos yeux)

ᑕᐅᑐᒃᑕᕗᒃ (Tautuktavuk, Sous nos yeux) : quand la fiction embras(s)e le réel

Présenté ce jeudi 18 janvier dans la petite salle du cinéma Beaumont à Québec, situé dans le complexe Méduse, ce long-métrage fictif qui emprunte son style au genre documentaire a transporté les spectateur.ices à Igloolik, alors que la pandémie de COVID-19 faisait encore rage. Cette petite île du Nunavut n’a pas été épargnée par les horreurs de la colonisation, encore bien vibrantes dans l’esprit de plusieurs Inuits.  

Par Florence Bordeleau-Gagné, journaliste multiplateforme

Réalisation : Lucy Tulugarjuk et Carol Kunnuk | Production : Isuma Production, Kingulliit Productions

Deux sœurs, deux villes : la plus vieille est à Igloolik, sa ville natale, tandis que la seconde est à Montréal pour des raisons plus ou moins claires. À travers des appels vidéo presque trop réalistes (la défaillance de la connexion Internet, qui sévit sans doute dans le Nord, est reproduite à l’écran), Saqpinak et Uyarak se soutiennent l’une l’autre en période pandémique. Ces appels, assez nombreux, permettent des dialogues intéressants entre les sœurs, oscillant entre rire, traumatisme, amour et prises de position.

Crédit : Tautuktavuk (Sous nos yeux)

J’ai eu le sentiment que le principal public visé par ce film était les Inuits, principalement les femmes : Saqpinak et Uyarak explorent la violence conjugale, l’agression sexuelle et la violence familiale en offrant des pistes de solution claires. On identifie très clairement les principaux obstacles à la guérison : l’alcool, le repli sur soi, le manque de ressources dans le Nord – du film émerge presque une dimension pédagogique. Uyarak chemine intérieurement justement grâce à sa sobriété, ses rencontres avec un psychologue, et ses longues communications avec sa sœur. Elle reconnecte de plus avec sa culture en se faisant faire un tatouage par une jeune fille inuk installée à Montréal.

Crédit : Tautuktavuk (Sous nos yeux)

Le rapport à la tradition inuk est par ailleurs évoqué dans le récit : que faire avec cette culture que nous lèguent les ancien.nes, culture à la fois authentique et contaminée par le catholicisme et des décennies de souffrance silencieuse ? Les deux femmes sont amenées à faire des choix concernant la perpétuation ou le refus de certains schèmes, bien que le respect, dans les discussions avec les aîné.es, soit une grande priorité.

Entre le tambour, l’histoire orale, la chasse au phoque, le chien de traîneau, la pêche de saumon et les pickups, un portrait que j’ose espérer assez fidèle de la réalité des Inuits du Grand Nord s’ouvre à nous dans ce film, qui met littéralement sous nos yeux la réalité de ces Premiers peuples. Ce film m’a évidemment captivée par les magnifiques plans des territoires nordiques, mais c’est d’entendre parler inuktitut, et apprendre sur les manières inuites d’habiter ces terres hostiles et éloignées, qui me semblent les éléments les plus marquants de Tautuktavuk.

* Note : le cinéma Beaumont envisage une seconde diffusion dans les semaines à venir, donc restez à l’affût de leur programmation ! ᑕᐅᑐᒃᑕᕗᒃ (Tautuktavuk, Sous nos yeux) n’est en effet présenté nulle part ailleurs dans la ville de Québec, et a d’abord été programmé pour une diffusion unique à Beaumont. Ce film a pourtant remporté de nombreux prix, et figure dans le palmarès des 10 meilleurs films canadiens de l’année du Toronto International Film Festival (TIFF).

Auteur / autrice

Consulter le magazine