Critique cinéma: Un ours et deux amants

Road movie arctique

La nomination aux Oscars de Rebelle en 2012 a braqué les projecteurs sur le réalisateur québécois Kim Nguyen. Après les jungles congolaises, c’est dans le Grand Nord canadien que nous entraîne le cinéaste avec son nouveau film de fiction, Two Lovers and a Bear, un projet qu’il a mis une dizaine d’années à concrétiser.

two-lovers-and-a-bearL’intrigue a quelque chose de shakespearien. Coupés du monde, quelque part dans le désert gelé du Nunavut, Lucy et Roman se cachent des démons qui les tourmentent. L’un veut partir, l’autre rester. Ils sont consumés par des visions récurrentes du passé, affligés de problèmes de consommation et d’éruptions d’émotions négatives. Bientôt, nos deux amoureux transis entament ensemble un périple audacieux vers le sud, à la recherche de jours meilleurs. Le road movie à travers les dunes de glace versera, petit à petit, dans le réalisme magique.

Cet onirisme est rendu de façon remarquable par Nguyen, un talentueux esthète qui emploie la nature hostile entourant nos héros pour faire écho à leurs tourments intérieurs. Lors de l’un des passages les plus marquants du film, Roman et Lucy s’aventurent dans un complexe gouvernemental laissé à l’abandon. Par une suite d’évènements d’apparence bénins, le réalisateur développe une ambiance oppressante et cauchemardesque qui contamine le spectateur. Tout au long du film, les protagonistes sont talonnés par l’ours du titre, sorte de divinité qui peut parler à Roman. Quant à elle, la finale constitue l’apothéose de l’approche contemplative du réalisateur, un moment de grâce visuelle exquis.

Étrangement, ces tendances expressionnistes semblent sans cesse contrecarrées par une intrigue verbeuse qui en désamorce une part de l’intérêt. Les métaphores sont esquissées à traits très appuyés. On a parfois l’impression d’assister à du cinéma d’auteur pour les nuls, un peu comme si Nguyen avait peur de perdre son spectateur dans une crevasse, au détour d’une scène. Le produit fini : un agrégat d’idées qui ne semblent pas toutes appartenir au même film.

Au centre de Two Lovers, pourtant, il y a la chimie perceptible des deux comédiens principaux, Dane DeHaan (The Place Beyond the Pines) et Tatiana Maslany (Orphan Black). On croit à leur passion fiévreuse, à leur fuite en avant désespérée. C’est le ciment qui fait tenir cet ensemble pas toujours homogène. Durant la première partie du film, le portrait qui est fait des communautés vivant au nord du 70e parallèle n’évite pas les stéréotypes, mais il épouse à merveille l’état d’esprit du duo.

Difficile toutefois de vous déconseiller catégoriquement Two Lovers and a Bear. Nguyen est un alchimiste. Certains seront plus sensibles au résultat de ses expérimentations, un conte aux visuels magnifiques, élevé par un couple d’acteurs dédiés, mais dont le pouvoir d’évocation est sans cesse bridé par sa propre tendance à ne pas vouloir trop s’éloigner des sentiers battus.

2.5/5

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