Critique musique : Portraits de famine de Philippe Brach

Philippe Brach a le sens du titre, de la formule qui choque, du cri qui dérange. Un an et demi après La foire et l’ordre, le troubadour trash est de retour sur les tablettes avec un tout nouvel album. Une offrande plus polie, plus fine que la précédente, mais qui ne navigue jamais bien loin des zones sombres, dérangées et dérangeantes qu’affectionne l’auteur-compositeur-interprète.

C’est sur un hypnotisant cri primal, ponctué d’un « braaaam » à la Hans Zimmer, lourd et profond, que s’ouvre Portraits de famine. L’entrée en matière donne le ton : on est toujours ici chez Brach, au cœur d’un univers à fleur de peau, direct, senti, mais jamais bien loin de l’envol et de l’éclatement. Né pour être sauvage, sitôt après, en donne bien la preuve : malgré une musique un peu sage, marquée par quelques belles lignes de guitare, on y retrouve le verbe brut, un peu rugueux qui caractérise l’artiste. « Y paraît qu’y a quelqu’un à quelque part / Qui veut mon poil de cul dans son cou» : il fallait oser.

Critique CD philippe-brachGagnant des Francouvertes 2014, révélation Radio-Canada musique cette année, Philippe Brach ne s’est pas pour autant affadi avec les récompenses. Ses fulgurances irrévérencieuses sont toujours aussi délicieuses, grandioses et contrôlées dans Monsieur le psy, intenses et explosives dans D’amour, de booze, de pot pis de topes, délirantes et débridées dans la formidable Divagation parlementaire. On pardonnera ainsi, sur 15 titres, certaines pièces plus qu’oubliables, dont la terne et hautement prévisible Bonne journée.

Au-delà d’une langue parfois cassante et croassante, Brach demeure un fin conteur, dont les histoires échevelées et délirantes distillent souvent un malaise un peu acide. Un fait divers désespérément ordinaire devient ainsi, dans Si proche et si loin à la fois (chantée en duo avec Klô Pelgag), un ensorcelant et amer chant macabre. L’auteur-compositeur-interprète est aussi capable d’une grande sensibilité teintée d’amertume, comme dans la très belle Alice.

À la réalisation, Louis-Jean Cormier, à grands renforts de cordes, d’un peu de cuivres et d’atmosphères plus lisses qu’à l’ordinaire, est parvenu à mettre un peu d’ordre dans le joyeux foutoir du Saguenéen. Mais les amoureux de Brach retrouveront-là la musique « schizo-accessible » qu’ils affectionnent – en un peu plus accessible.

 

3,5/5

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