Je dois dire, avant toute chose, que cet article avait initialement été pensé pour notre imminent magazine d’automne dont la thématique est « Paroxysme », texte qui est malheureusement tombé à l’eau, mais que j’avais tout de même à cœur. Et comme cette artiste de Québec vient tout juste de sortir un autre album, je n’avais vraiment plus aucune excuse pour ne pas vous présenter ce coup de cœur musical automnal. N’en déplaise (ou pas, en fait) à celleux qui ne cessent de m’en entendre parler.
Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts
Brève mise en contexte. J’ai découvert coffret de bijoux il y a quelques semaines dans le cadre d’un passage à l’émission Blasphème, une émission musicale de métal animé par Mémo Gauthier et William Tremblay sur les ondes de CHYZ 94,3. La première fois que j’y suis allée, en septembre dernier, l’émission portait sur le black métal et le dungeon synth. Vite comme ça, ayant décidé un peu dernière minute d’y participer, j’ai ouvert Bandcamp et j’ai exploré, en espérant trouver quelque chose d’intéressant et d’inusité à me mettre sous le dent et à proposer à mes collègues, pour le peu que j’allais être en mesure de contribuer à la sélection (c’est un univers musical très vaste que j’explore encore, et Blasphème était/est surtout pour moi une façon très cool de découvrir des nouveaux artistes, mais surtout de partager ces moments d’écoute, de réflexions et des réactions qu’elles suscitent en moi avec des personnes elles aussi très cool ; il fait bon en profiter et en discuter ensemble). C’est donc un peu par hasard, mais à mon très très grand plaisir que je suis tombée sur la musique de coffret de bijoux, et je dois admettre que je ne suis, à l’heure actuelle, toujours pas passée à autre chose. C’est un projet qui fascine ; et si mes collaborations avec mes (précieux.euses) collègues de CHYZ m’auront appris quelque chose, c’est qu’au Québec et à Québec, ce n’est pas les bons projets musicaux qui manquent. Aussi bien les mettre en valeur et leur donner la reconnaissance et l’amour qu’ils méritent.
coffret de bijoux est un projet solo d’Alice Simard, qui fait également de la musique sous différentes autres identités musicales, en solo, en groupe ou via des collaborations et split release (sortie partagée) (la liste est longue et son curriculum vitae impressionnant ; voir à la fin de l’article). Comment vous dire… a’ chôme pas. Elle va dans plusieurs directions, mais fait la plupart du temps dans ce qu’on peut appeler la « musique extrême », ses diverses propositions côtoyant, si on devait très grossièrement choisir quelques étiquettes, le black métal, le death métal, le grind et le screamo/emoviolence, chaque genre regroupant évidemment leur lot de sous-genres et de déclinaisons. coffret de bijoux, à travers ses 7 albums (!), propose surtout un black métal atmosphérique, voire un post-black métal.
Mais j’aimerais dire que c’est un peu (beaucoup) plus nuancé et multidimensionnel que ça. Ses influences sont nombreuses, ses compositions incorporant donc aussi des éléments emo, djent, folk, ambient, atmosphérique, post-punk, blackgaze, et même…EDM (electronic dance music), ce qui en fait une musique hybride et expérimentale. Une fois tous ces genres mis les uns à la suite de l’autre, ça peut sembler beaucoup, voire même un peu trop. Et il serait facile de s’éparpiller et de perdre en cohérence, comme un collage duquel il serait difficile de tirer du sens, perdant les auditeur.rices en cours de route. Ce qu’il faut savoir, cela dit, c’est que ces styles musicaux ne se côtoient pas tous en même temps, et que ce sentiment d’unité est à envisager au sein même des albums et des chansons qu’ils rassemblent. Par ailleurs, si les morceaux son dernier album, alstrenm cuete uearqhanp janvalaj faruqn uaspanlq kelees aermals jyans tremaalk gavans fayerinsque ralampganas rei rnelpas, tiennent tous entre 2min34s et 4min46s – ça m’a laissée un peu surprise, mais pas nécessairement déçue -, la grande majorité oscille plutôt entre 8 minutes et 13 minutes, la chanson la plus courte faisant 1min14s et la plus longue 16min15s. Pourquoi est-ce que c’est important ? Parce que la tangente que prend coffret de bijoux, le plus souvent, est celle d’une musique progressive, qui opte surtout pour une succession d’idées, et qui ne s’inscrit donc pas dans une logique de superposition un peu chaotique et cacophonique, même si elle fait effectivement se rencontrer bon nombre d’éléments a priori hétérogènes ou moins compatibles.
Vous l’aurez comme moi compris : coffret de bijoux nous exige une écoute qui prend son temps. En parcourant les albums et à force de toujours un peu plus lui tendre l’oreille, je me suis rendu compte de l’importance de son travail narratif, que ce soit au sein d’une même et unique chanson ou au fil d’un album, puisque c’est à travers cette trame que l’on peut réellement en saisir les épaisseurs. Il ne faudrait toutefois pas oublier qu’une chanson de 15 minutes n’équivaut pas à, par exemple, 5 chansons de 3 minutes chacune : bien que les deux cas puissent être traversés par un certain fil rouge, ils sont pensés et envisagés bien autrement, des premières idées aux étapes finales de productions et de diffusions (pensons, en littérature, par exemple, au roman vs au recueil de nouvelles. Ce n’est pas la longueur qui importe, c’est la structure). Ça peut paraître évident, mais la forme et l’articulation sont radicalement différentes, et cela démontre, encore une fois, sa polyvalence en tant qu’artiste.
Mon exemple préféré est probablement celui de la chanson Ĥ’uuřléaeals tan’gänap trêmaalk’ fåyéaerinqûkse, seconde piste de deux sur l’album D’ü’nexse pënnsê’es vïscëaeràyle j’innståüaerrs lëyyns hôt’ësse,.,.,.,. Non pas que les autres ne soient pas dignes d’intérêt, bien au contraire, mais tout simplement parce que, d’une part, c’est cette dernière que j’ai le plus souvent écoutée et recommencée (arrêtez-moi quelqu’un), et, d’autre part, car c’est à travers elle, pour Blasphème, que s’est fait mon premier contact avec l’excellent (post)black-métal de coffret de bijoux, sonnant le coup de départ officiel, lors de cette soirée un peu plus fraîche et pluvieuse, de la saison spooky-frisquette-Twilight-avec-un-filtre-bleu.
Bien qu’au départ, la chanson soit plutôt minimaliste et un peu sombre, ambient, limite dungeon synth, ce départ lent, une fois cette première ambiance installée, se voit éventuellement rompu par une section rapide, intense, dense et répétitive, un bon blast beat comme on les aime, à laquelle viennent s’ajouter des voix (pour ne pas dire des cris, sans grande surprise). On a affaire à une production somme toute lo-fi, par ailleurs caractéristique du black métal. En ondes, Mémo et William qualifiaient ce type de rendu du son de toaster, qui, s’ils m’assurent que ce n’est pas un terme officiel, me semble être un qualificatif intéressant et efficace. Ça peut vouloir dire plusieurs choses : dans le cas qui nous intéresse, il n’est non pas question d’un son lo-fi agressant, saturé et marqué par des sortes de crépitements qui nous chatouilleraient les oreilles, mais bien de quelque chose de davantage étouffé, feutré, lointain et donc de peut-être moins défini, ce qui n’est absolument pas négatif en soi. La mélodie, par contre, est nettement plus claire, superposée à la musique et au screaming qui se jouent en fond.
On l’a dit, c’est progressif. Au fil de la chanson et des sections, plusieurs variations s’opèrent au niveau de la structure musicale : tantôt, on change de mélodie en s’attaquant au temps, aux accents, à la progression des accords, en allant complètement ailleurs, mais en gardant un rendu similaire ; à d’autres moments, si la mélodie reste la même, on en change le son et le timbre, ou la vitesse. Mais toutes les fois, des éléments demeurent ou reviennent, parfois tels quels, parfois sous une autre forme, ce qui évite, malgré les variations qui apportent chacune leurs spécificités et leur touche singulière – d’où le voisinage avec d’autres genres musicaux –, que ça parte de tous bords tous côtés. C’est suffisant pour surprendre les auditeur.rices, déjouer leurs attentes et piquer leur curiosité, mais pas assez pour qu’iels s’égarent, justement en raison de ces éléments de récurrences avec lesquels l’artiste se permet de jouer. La progression, donc, est cohérente tout en étant ludique : elle a, à mes yeux, ce petit quelque chose de captivant et d’engageant pour celleux qui l’écoutent et y portent attention. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup de coffret de bijoux. Ça nous permet d’apprécier toutes les sections aux mêmes titres que les autres. Si j’affectionne une partie spécifique, je ne suis pas fâchée qu’elle se termine, simplement parce que la suivante, en étant la suite logique de l’autre, fait exactement ce qu’elle doit faire, et qu’en plus elle le fait bien.
À la toute fin de la chanson, par exemple, on retourne à l’ambiance dungeon synth et plus atmosphérique initiale, et on récupère également la mélodie principale : seulement, cette fois, c’est plus lent et plus vaporeux, plus doux. L’inflexion n’est plus inquiète ou sombre, mais mélancolique et davantage nostalgique. Cela me rappelle les vidéos de type nostalgia et dream core vaporwave sur les réseaux sociaux, avec des tonalités, des sons qui s’apparentent à ceux d’univers vidéoludiques des années 90. Cette ultime section représente un retour au calme digne de l’heure bleue, en hiver, dans lequel on reprend certains éléments, mais on les travaille différemment. On sent, malgré la reprise, qu’on est ailleurs, et en tant qu’auditeur.rices, ça induit le sentiment d’une forme de résolution, de satisfaction, justement parce que le trajet pour si rendre a été habilement mené. C’est une traversée musicale qui sait mobiliser plusieurs affects, mais c’est finalement dans leur agencement, et donc leur progression et leurs multiples couches, que sa qualité réside.
C’est probablement un peu quétaine et memeable, mais peut-être que la magie de coffret de bijoux, pour moi, ce n’est pas tant le point d’arrivée que « les ami.es qu’on s’est fait.es en chemin ». Je le dis de la meilleure façon possible. coffret de bijoux c’est, sans le savoir, le black métal dont j’avais besoin.
Pour en connaître plus sur l’artiste, vous pourrez en plus la trouver dans :
- Memorandum, un projet solo de funeral doom metal ;
- Zapomnienie, avec un album de black métal/néoclassique avec Szymon Miłosz ;
- R’luhh, un projet solo de black métal progressif et atmosphérique, voire un peu DSBM (depressive suicidal black metal) et dissonant technical ;
- Vomitorium, du goregrind ;
- Acanthosis, du technical / melodic death metal ;
- Eveniath, qualifié de fusion et d’experimental brutal death metal ;
- Tunicam Frondibus, un projet de folk, ambient et dungeon synth ;
- Quantum Oscillations, du technical brutal death metal ;
- Turpitude, qui touche le black métal, le coldwave, le genre goth et même le post-punk ;
- Crasse Intraveineuse, qui penche davantage vers le brutal death metal, le noise et l’expérimental, mais qui est aussi pour les fans de free jazz, Dissonance, Enmity, Disgorge, Effluence ;
- Filesharemaiden, un projet collaboratif d’animegrind, cybergring, deathgrind, grindcore, technical et death metal progressif (merci Bandcamp) ;
- Biocide, qui fait dans le technical trash metal et les deathtrash ;
- In Wake, She Mended, du métal progressif influencé par le djent de Meshuggah ;
- Plagueling, « Une collection de réimaginations complètes de la composition de The Binding of Isaac» ;
- Perihelion Gnosis, un projet de death metal ;
- Vitrified Entity, du technical death metal ;
- Lunam Niveis, du black métal ;
- Chiliasm, toujours dans le technical death metal ;
- RORIGØRE, du brutal slamming death metal ;
- blossom_, qu’elle qualifie d’emo, skramz (screamo) et midwest ;
- The Unsightly Deep, du death métal atmosphérique ;
- Onchocerciasis Esophagogastroduodenoscopy, slamming death metal / goregrind ;
- Et tout récemment, shiny mawile, de la musique alternative, emo/emoviolence,(hyper) skramz et math rock.