Proust dans la lentille

Ça ne dure que trois secondes, tout au plus… Pourtant, ça a fait le tour des médias. Marcel Proust dévale les marches d’une église, à l’extérieur du tapis rouge. Cette découverte de Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur de cinéma à l’Université Laval, n’a pas qu’enflammé le monde littéraire. Il a pris quelques minutes de son temps pour parler de ce qu’il décrit comme une « petite épiphanie ».

S’il se doutait que la nouvelle allait faire son bout de chemin dans la communauté des proustiens, à aucun moment il ne pensait qu’elle deviendrait un véritable « buzz planétaire ».

Il explique d’ailleurs avec optimiste les nombreuses réactions suscitées : « Les gens qui ne connaissent pas la Recherche, ni l’auteur, ont l’impression que la littérature a une puissance symbolique, qu’elle provoque un émerveillement, une émotion. Si on avait trouvé des images inédites d’un champion de boxe en 1904, ça n’aurait pas fait cet effet. Il y a encore un pouvoir de la littérature qui est présent. »

Proust et le cinéma

« J’ai découvert Proust autour de mes 20 ans. J’avais commencé à lire la Recherche, mais je ne l’avais pas finie, poursuit-il. J’avais remarqué qu’il était beaucoup question de cinéma et de lanterne magique. J’ai toujours eu le désir d’écrire là-dessus. »

Au-delà de cette première image animée que l’on voit de Marcel Proust, Jean-Pierre Sirois-Trahan s’interroge sur la place du cinéma dans À la Recherche du temps perdu, sujet auquel il a consacré un article. Pour lui, il est clair que son œuvre y est intimement liée.

Paradoxalement, ce grand auteur du XXe siècle s’opposait à cette forme d’art encore nouvelle dans les années de rédaction de son œuvre. Le professeur décrit cette aversion qu’entretenait Proust comme celle « de la littérature face à un ennemi ». Or, argumente-t-il, « le noyau pulsionnel de l’œuvre est très proche des mythes du cinéma. »

Les deux visent à « sauver ceux qu’on aime de la mort, à figer dans le mouvement. Marcel Proust et le cinéma participe d’une même épistémè. On se rend compte que le langage de Proust n’est pas très loin des procédés cinématographiques. Il jette l’éclairage sur un certain motif, ce qui est très proche d’un découpage classique. »

Et après?

Interrogé sur les répercussions qu’aura cette découverte, Jean-Pierre Sirois-Trahan reste neutre. Pour sa carrière, comme pour l’université, il ne croit pas que la nouvelle amènera bien du nouveau. Cependant, il ne fait aucun doute pour lui que plusieurs autres pellicules  seront trouvées.

Et s’il advenait que l’homme ne se révèle pas Marcel Proust, possibilité qu’il n’écarte pas, il s’agit « quand même du monde des Guermantes, d’une fenêtre ouverte sur le faubourg Saint-Germain qu’on connaît très mal, mais que la Recherche aborde à presque toutes les pages. »

Il se réjouit surtout de ce que la pellicule montre, entre l’œuvre et son auteur, par ce rapide passage en bordure du cadre : « on sent qu’il ne fait pas partie de ce monde, mais qu’il a des entrées. C’est la position du narrateur dans la Recherche d’être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. »

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