Crédits photo Llamaryon

Retour sur la douzième édition du festival Jamais Lu

Du 13 au 16 décembre, le Théâtre Périscope accueillait le festival Jamais Lu. Cette douzième édition, sous la ligne éditoriale intitulée “Convoquer l’invisible”, se voulait, comme à l’habitude, une vitrine pour les auteur.rices émergent.es, permettant au public d’assister à des lectures théâtrales inédites et même de rencontrer certain.es des auteur.rices. Retour de l’équipe d’Impact Campus sur quelques-unes de ces soirées parfois touchantes, hautes en couleur, et assurément propices à la réflexion ou à l’introspection.

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts, Florence Bordeleau-G, journaliste multiplateforme, et Julianne Campeau, journaliste collaboratrice

 

Mercredi le 13 décembre – Frédérik

 I AM FAKE NEWS : UNE HISTOIRE DE SURVIE – Lecture intégrale

Texte : Catherine D’Anjou | Mise en lecture : Carolanne Foucher | Interprètes : Ariel Charest, Paul Fruteau De Laclos, Mary-Lee Picknell, Maureen Roberge, Élie St-Cyr

Résumé : Au retour d’un voyage à New York, deux joyeux·euse·s trentenaires déposent leurs valises, s’envoient un cocktail, puis, histoire de rester dans l’ambiance festive de leur escapade, entreprennent d’écouter un « p’tit film de fesses ». Or, le couple constate avec stupeur que le court métrage a été tourné… dans leur salon. S’engagera alors, dans une sorte de vaudeville trafiqué où des personnages apparaîtront tour à tour dans la maison, la quête identitaire de Roxane et Jonathan. Il nous faudra sans doute admettre que parfois, ce qu’on devient ne nous appartient pas entièrement.

Avis : Quelle soirée d’ouverture pour Jamais Lu ! Si j’ai agréablement été surprise, c’est que ma dernière lecture publique s’était avérée être un peu drabe et monotone : j’étais restée sur ma faim (contrairement à mon expérience de mercredi dernier, je vous rassure).

Il va sans dire que l’écriture de Catherine d’Anjou m’a beaucoup plu, parce que son humour y était intelligent, investissait des lieux communs auxquels les spectateur.rices pouvaient facilement s’identifier, dans lesquels iels se reconnaissaient, mais n’était jamais cliché ou réchauffé, cela dit. Tout en soulevant de manière fluide et pas trop forcée des questions et des enjeux actuels – pensons, par exemple, à la façon de décrire les deux acteur.rices d’une vidéo porno, qui, nous dit la narratrice, avaient l’air majeur.es et consentant.es, le répétant d’ailleurs à quelques reprises en les adressant (on salue les géants de l’industrie pornographique, sans surprise et plus souvent qu’autrement ultra problématiques) -, elle réussissait aussi à nous prendre dans le détour, à aller là où on ne s’y attend pas toujours.

Je tiens également à préciser que malgré que les lectures théâtrales, fassent, il me semble, davantage dans la sobriété que les pièces aux mises en scène et à la scénographie dignes des plus grandes prouesses techniques – bon, j’exagère, mais quand même -, elles ne sont absolument pas synonyme d’ennuie, ni dénudées de tout éclat, ce que nous a démontré la mise en lecture de Carolanne Foucher. Quelques déplacements ici et là – pas de quoi en faire tout en plat : néanmoins, c’est particulièrement l’intégration de la narration, nouant habilement le tout, qui m’a le plus marquée. Plus qu’une simple narration, j’oserais dire, puisqu’elle mêlait didascalies, habituellement montrées et non pas nommées, et commentaires, brouillant cette limite habituellement très franche entre l’instance narratrice omnisciente et les personnages. Ici, la narration ne faisait pas qu’indiquer ou surplomber, elle s’immisçait dans l’action, guidait les personnages, réagissait à leurs faits et gestes, de sorte qu’elle fasse entendre sa voix, son caractère, et que s’installe entre les deux un curieux dialogue, sans pour autant parasiter l’action en cours. Il y a là une proposition que j’ai trouvée, dans l’ensemble, rafraîchissante, même s’il m’aura fallu un certain temps avant de pouvoir bien saisir l’intrigue et de faire sens des différentes pièces du casse-tête. 

Jeudi le 14 décembre – Florence

Résolution – Lecture intégrale

Texte : Thomas Boudreault-Côté | Mise en lecture : Vincent Massé-Gagné | Interprètes : Clémence Lavallée, Jean-Sébastien Ouellette, Vincent Roy

Résumé : 31 décembre 2004, deux inconnus : Rémi, un jeune trentenaire narcissique sans scrupules, et Gilbert, un psychologue blasé qui approche de la retraite. Dans la nuit, Rémi s’introduit avec soin et expertise chez Gilbert, pour avoir une consultation d’urgence. Face à cette unique demande, le psychologue se retrouve déchiré entre la peur, le devoir, mais surtout l’intérêt envers l’étrange client dans son salon.

Avis : Si la qualité de la lecture de ce texte a largement surpassé mes attentes, le fond m’a un peu laissée sur ma faim. En effet, l’univers proposé se déployait merveilleusement bien grâce à des comédien.nes en pleine maîtrise de leur art, et l’on suivait sans difficulté la trame narrative du texte de Thomas Boudreault-Côté. Les artistes sur scène se sont approprié leurs personnages et les défis personnels de ces derniers avec énormément de finesse – ils nous ont fait croire à la maladie mentale, à l’ambition et l’authenticité, à l’adolescence naïve. Le texte contenait quantité de répliques qui démontraient toute la sensibilité et la qualité de la plume de Boudreault-Côté, mais n’avait, il me semble, pas un propos très clair. On nous montrait les écarts entre les richesses des uns et le manque de chance des autres ; on cherchait à normaliser les comportements et manières d’être au monde de Rémi, jeune homme délaissé de la société, malgré ses déviances vis-à-vis la norme sociale et des lois ; on instaurait un rapport humain et de plus en plus authentique entre deux êtres qui appartenaient, à première vue, à deux univers distincts… Mais cette montée en complexité relationnelle s’est fait détruire dans la dernière scène, quand on a compris que le psychologue nous avait tous.tes (tant Rémi que le public) mené.es en bateau. Et donc quoi? me suis-je demandé en bout de ligne. Résolution a-t-elle pour objectif de nous montrer la vicissitude de tous les psychologues, l’imparable solitude des délaissés de la société, l’absence de lumière pour ces derniers, l’impossibilité de leur bien-être dans les conditions qui sont présentement les nôtres au Québec ? À partir de là, le public a l’entière responsabilité de tisser ses propres pistes de solution. 

Vendredi le 15 décembre – Julianne

Je ne t’ai pas connue – Extraits

Texte : Silviu Vincent Legault | Mise en lecture : Anne-Marie Olivier | Interprètes : Lauréanne Dumoulin, Mathilde Eustache, Linda Laplante, Silviu Vincent Legault, Guillaume Pepin, Noémie F. Savoie

Résumé : En 1994, Vincent est adopté de la Roumanie par une famille québécoise.

Maintenant adulte, il part à la recherche de ses racines.

À travers la révolution roumaine, son identité québécoise et sa recherche pour trouver sa famille biologique, il met en lumière la chance et le malheur d’être adopté.

Avis : Est-ce une trahison envers sa famille d’adoption que de chercher ses origines? Le début de la pièce de Silviu Vincent Legault montre aux spectateur.rices comment la culpabilité peut constituer une entrave à la recherche des origines chez les enfants adoptés. Il y est également question de ce qu’implique le statut d’« adopté » et les préjugés qui y sont associés. L’histoire de la Roumanie, pays d’origine de l’auteur, y est aussi abordée. S’il ne s’agissait que  d’un extrait de la pièce, celle-ci s’annonce très touchante.

SO & LO – Extrait

Texte : Constance Gosselin | Mise en lecture : Lé Aubin | Interprètes : Lauréanne Dumoulin, Issa Karim, Ines Sirine Azaiez

Résumé : Deux amis d’enfance. Sofia et Lorenzo. Un roadtrip improvisé. Une fuite. Ou plutôt une quête. Des crottes de fromage. Une p’tite poutine. Du slang. Du queer. De la rivalité. Des niaiseries, des rires et des feels. Il était une fois So & Lo. Une ode à l’amitié. À sa banalité et à sa grandeur.

So a le cœur citronné et Lo mesure 6 pieds montagne. Qu’il soit question de Platon, Réjean Ducharme ou Damso, pour Sofia et Lorenzo, y’a toujours matière à débattre. Ils s’aiment, se gossent et connaissent approximativement l’entièreté de la vie de l’autre. Ensemble, ils fuient le passé, Québec, les habitudes, les ex, les obligations et, accessoirement, la fin du monde. À bord de Josué, la Corolla 98, ils sillonnent les routes de la Transcanadienne en quête d’affirmation, d’identité et de liberté.

Avis : Très vite, nous sentons que derrière les rires et l’apparente désinvolture des deux protagonistes se cache une détresse bien réelle, qu’ils tentent de fuir par leur road trip. Ce mal, il nous est révélé par bribes ; il se manifeste d’abord de façon subtile, par des textos dont on ignore le contenu, puis de façon plus crue, lors de révélations choc. Cet extrait annonce une pièce de théâtre qui amènera les spectateur.rices à rire… Pour mieux les faire pleurer par la suite.

Récréations permanentes – Extraits

Texte : Martin Sirois | Mise en lecture : Lauriane Charbonneau | Interprètes : Lorraine Côté, Paloma De Muylder, Issa Karim, Silviu Vincent Legault, Guillaume Pepin

Résumé : Être invité au mariage d’une ancienne amie du secondaire. Revoir son ex. Rencontrer l’enfant de son ex. Chirer. Simon a-t-il bien fait de laisser Sophie il y a dix ans ? Leurs divergences d’opinions politiques à la suite du Printemps érable étaient-elles si grandes ? Assumer sa bisexualité et quitter pour la grande ville: était-ce la solution ? Qu’advient-il du projet de fonder une famille ? De ses espoirs nationalistes pour le Québec ? À l’aube de la trentaine, Simon sera confronté à un vertige existentiel dans une ère où nous cherchons toujours ce qu’il y a de mieux pour soi, individuellement, peut-être plus que collectivement.

Avis: Tout au long de la lecture de l’extrait, on ressent la détresse d’un homme empêché d’être père en raison de son orientation sexuelle. Pourquoi les hommes qui kidnappent puis assassinent leurs enfants ont-ils eu le droit d’être pères, alors qu’un couple homosexuel bien intentionné doit se soumettre à des démarches pouvant s’échelonner sur plusieurs années avant d’obtenir le droit d’être parents? C’est la question que se pose Simon lorsqu’il apprend que la mère porteuse avec qui lui et son conjoint voulaient faire affaire s’est soudainement désistée. Cet extrait annonce une pièce de théâtre qui nous amènera sans doute à réfléchir, à remettre en cause la domination hétéropatriarcale.

Faire du sens [sic] – Extraits

Texte : Odile Gagné-Roy | Mise en lecture : Huges Frenette | Interprètes : Lorraine Côté, Paloma De Muylder, Margo Ganassa, Linda Laplante, Kevin McCoy

Résumé : [Sic]: adverbe d’origine latine signifiant “tel quel” placé à la suite d’un mot pour préciser que ce qui précède est cité sans aucune modification, aussi étrange et/ou incorrect qu’il paraisse.

C’est l’anniversaire d’Emmanuelle. Elle a vingt ans. Depuis quelques semaines, elle voit, à tous les jours, une dame passer devant chez elle. Le passage de cette dame fait naître un désir chez Emmanuelle; un désir qui ressemble à une question impossible à formuler, si ce n’est: Quel est le sens de mon existence ?

Joyeux anniversaire ! chantent en chœur Nicole, Fernand et Max, rassemblé·e·s autour d’une même table pour le souper d’anniversaire de la jubilaire, leur fille et amie. Entre l’ascétisme de Nicole et le renoncement de Fernand, la pomme n’est tombée près d’aucun des deux arbres, mais dans un tiraillement des plus tourmentés.

Avis : L’extrait ouvre la porte à une œuvre dramatique soulevant des questions beaucoup plus profondes qu’un débat qu’on n’a entendu que trop souvent sur ce que c’est que de « bien parler ». Plusieurs se reconnaîtront dans le personnage d’Emmanuelle, qui, à 20 ans, ne sait toujours pas ce qu’elle veut dans la vie. Suffit-il simplement de vouloir être heureuse? Ou faut-il absolument avoir des ambitions plus poussées? Mais surtout, quel sens donner à sa vie? Voilà des questionnements dans lesquels, sans doute, un grand nombre de lecteur.rices de notre journal se reconnaîtront.

Quand verrons-nous – Extraits

Texte : Juliette Bernatchez | Collaboration au texte et mise en lecture : Étienne La Frenière | Interprètes : Lauréanne Dumoulin, Mathilde Eustache, Margo Ganassa, Noémie F. Savoie | Performance musicale : Lauréanne Dumoulin

Résumé : Quand verrons-nous est un projet scénique qui s’inspire de la vie et de l’œuvre de Robertine Barry (1863-1910), femme de lettres et première femme journaliste québécoise. Alliant poésie, fiction et archives, le projet s’inspire de l’histoire pour en faire une œuvre aussi intime qu’éclatée, une célébration du parcours de cette figure féministe tristement oubliée.

Avis : Cette introduction présente de nombreuses scènes disparates retraçant la vie de Robertine Barry, alias Françoise. Tout en dénonçant farouchement la misogynie de la société québécoise de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, le texte fait également rire en montrant le ridicule des préjugés qui y règnent, à l’égard des femmes, certes, mais aussi face aux nouvelles innovations technologiques, comme l’électricité. Façon agréable et parfois amusante d’en apprendre plus sur cette figure sans doute trop méconnue du journalisme et du féminisme québécois.

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