Le 7 mars 2024 avait lieu la première d’Orgueil et Préjugés, adaptation théâtrale du fameux roman de Jane Austen. La salle Octave-Crémazie, au Grand Théâtre de Québec, était remplie d’un public réceptif, rieur, ravi. Les deux heures sans entracte ont filé sous nos yeux tantôt amusés par certaines répliques ou mimiques bien choisies, tantôt attendris par le jeu des comédien.nes. Marianne Marceau, maître d’œuvre de cette adaptation, avait pris un pari risqué : celui, bien sûr, de théâtraliser un grand roman, et pas n’importe lequel! Si les Québécois.es ne sont à tout coup des pros de l’Angleterre, ils et elles le sont encore moins de la société anglaise du XIXe siècle, qui sert de décor aux personnages austenniens. Sont-ils et elles malgré tout ressorti.es de là avec un beau sourire d’étampé sur le visage ? Absolument.
Par Florence Bordeleau-Gagné, journaliste multiplateforme
Texte : Jane Austen | Adaptation pour la scène : Marianne Marceau | Mise en scène : Marie-Hélène Gendreau | Interprétation : Miryam Amrouche, Stéfanelle Auger, Ariane Bellavance-Fafard, David Bouchard, Maude Boutin St-Pierre, Laurence Champagne, Lorraine Côté, Arielle De Garie, Clément Desbiens, Laurent Fecteau-Nadeau, Jean-Michel Girouard, Célmence Lavallée, Christian Michaud et Angélique Patterson | Production : Le Trident
J’avoue que la grande fan de Jane Austen que je suis était un brin inquiète avant la représentation : cette dernière allait-elle être à la hauteur de cette grande œuvre littéraire qu’est Orgueil et Préjugés ? Marianne Marceau, dans son adaptation, allait-elle parvenir à transposer la dimension philosophique du texte sur scène ? La pièce allait-elle être surmodernisée, dépossédée de son essence originale, ou verrait-on plutôt une démarche engluée dans le théâtre classique que pourrait facilement engendrer un tel roman à cause de l’univers d’époque qu’il déploie ? Méfiante et critique, je suis restée sur mes gardes pendant au moins la première heure – mais j’étais sans doute l’une des seules, car la salle était très réactive et m’a semblé conquise en un rien de temps – et j’admets avoir finalement été tout à fait charmée et divertie.
Un récit vibrant d’actualité sur les relations humaines, ou la force lumineuse d’une grande œuvre littéraire
L’histoire, pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, est celle d’une famille anglaise vivant dans la campagne du début du XIXe siècle, issue d’une petite lignée d’aristocrates – les Bennet. La mère cherche à marier ses cinq enfants (cinq filles) à de riches jeunes hommes pour leur assurer un luxueux destin – mais ce n’est évidemment pas chose facile. L’orgueil et les préjugés (eh oui, qui eût cru que ces deux éléments auraient eu une incidence sur ce récit) vont tour à tour poser des embûches sur le chemin des jeunes prétendant.es. Une narration brisant le quatrième mur, assurée par l’une des filles, Mary, assure aux spectateur.ices la bonne compréhension des caractéristiques techniques propres à l’époque et au lieu. Malgré les possibles écueils de ces ruptures explicatives, l’équipe du Trident a certainement réussi à en faire des interventions ludiques, utiles – et brillantes d’actualité, conduisant la salle à comprendre que les gens – l’accent étant mis sur la situation des femmes – de ces siècles passés vivaient des enjeux bien semblables aux nôtres, mais sous d’autres mots.
Cependant, la pièce n’a pas à mes yeux réussi à partager toute la portée réflexive du livre original ; je doute que l’on ressorte véritablement changé.es de cette pièce, alors que c’est le cas après la lecture du roman. Jane Austen a cette capacité extraordinaire à nous permettre de nous identifier, de près ou de loin, à ses personnages ; à la lecture, on se sent tour à tour Lizzy, puis Jane, peut-être même Mary ou Lydia, voire Darcy ou Bingley, et on apprend de leurs erreurs ou excès. L’adaptation théâtrale n’a pas eu, pour moi, cet effet de miroir saisissant de mes propres agissements, et ce peut-être parce que la complexité des relations qui se bâtissent au fil de la pièce n’est pas exactement aussi poignante que dans le texte original, d’autant plus que la lettre la plus belle et importante de l’œuvre soit rapidement mentionnée plutôt que lue, comme c’est le cas pour les autres.
Je pense que c’est mon petit côté « fan finie de Jane Austen » qui est donc un peu déçu, mais je ne peux malgré tout m’empêcher de recommander cette pièce en tant que superbe divertissement.
Une excellente manière de terminer la semaine – ou une journée bien chargée
Orgueil et Préjugés est une véritable comédie qui saura dérider les plus crispé.es ou coincé.es d’entre nous. Le jeu des comédien.nes est drôle, captivant ; toute la salle était suspendue aux lèvres des personnages et attendait avec impatience les dénouements. Les rebondissements d’Orgueil et Préjugés sont mis en scène avec adresse, et le dramatique de certains évènements est toujours ramené sur terre par le jeune Bingley, drôle et attachant au possible (d’ailleurs magnifiquement joué par Clément Desbiens). Les spectateur.ices riaient de cœur joie à ses mimiques et ses remarques naïves, mais aussi au ridicule méprisant de sa sœur, Miss Bingley (interprétée avec tout autant de brio par Ariane Bellavance-Fafard), qui ne manquait pas une occasion de se rabaisser elle-même en cherchant à rabaisser la famille Bennet. Jalousie, calcul, amour et authenticité sont au rendez-vous dans cette pièce colorée qui a su reprendre les codes du théâtre classique à son avantage (les scènes de bal, de danse et de musique sont au rendez-vous dans ces maisons anglaises) mais aussi faire des petits clins d’œil amusants au film de 2005 et à la série télé de 1995.
Orgueil et Préjugés sera présenté au Trident jusqu’au 30 mars 2024.