Suggestions de lectures – De quoi l’amour est-il le nom ?

Cette semaine, Impact Campus vous a concocté un joyeux petit florilège de suggestions littéraires, en vous proposant trois essais qui abordent tous, à leur manière, les relations en dehors ou de l’intérieur même du jourg patriarcal, mais aussi et surtout l’amour sous toutes ses formes (et c’est peu dire!). En bonus, nous avons décidé de gâter nos lecteur.rices, en faisant tirer les trois livres présentés et critiqués. Pour participer, rendez-vous sur notre page Instagram. Bonne lecture et bonne chance à toustes !

Par Frédérik Dompierre-Beaulieu (elle), cheffe de pupitre aux arts

 

Les hommes ont tué l’amour (2024) – Sabrina Erin Gin – Les Éditions Leduc

Quatrième de couverture : L’amour romantique est présenté comme la seule source idéale de mise en couple qui reposerait sur le partage des valeurs, la réciprocité des sentiments et l’égalité. Pas de chance, le patriarcat est passé par là.. Et l’amour, tel qu’on le vit, n’est autre qu’une construction sociale. Une construction de merde.. Comment pouvons-nous prétendre à des relations amoureuses saines et durables lorsque la société patriarcale et capitaliste impose l’inégalité au sein du couple ? Est-ce que l’amour romantique vaut vraiment le coup pour les femmes hétérosexuelles ? Pourquoi devrions-nous aimer les hommes ? Est-ce qu’ils aiment véritablement les femmes ? Pour analyser la supercherie qu’est le couple hétérosexuel d’aujourd’hui, Sabrina Erin Gin interroge la biologie, les neurosciences, la sociologie et l’histoire. Un texte passionnant qui nous apprend à inventer d’autres manières d’aimer, de faire foyer, pour pouvoir enfin vivre la romance.

Avis : Avec Les hommes ont tué l’amour, l’autrice propose bien plus qu’une plongée dans cet idéalisme binaire-monogame-hétérosexuel sur lequel reposerait l’amour, le vrai, l’unique. Et si l’amour que l’on porte envers l’autre était avant tout une affaire d’égalité et de respect, mais aussi de liberté et d’individualité, justement ? À la lumière du patriarcapitalisme, néologisme qui me semble plus qu’à propos en raison de l’intrication de ces deux systèmes de domination, le livre nous fait voir au-delà l’écran de fumée, et propose, dans un même temps, de revoir les mythes et les récits qui érigent et conditionnent nos scripts et nos schémas relationnels : des différentes définitions dont on a héritées à la fausse association entre féminin et passivité, au boys club, au mariage et au couple comme espace de domination, au célibat, aux doubles standards de beauté, à l’âge, aux continuums des violences genrées, au travail non payé, à l’hétérosexualité forcée, jusqu’au mythe de la vieille fille, à la rivalité entre femmes tout comme à la sororité, tout y passe. Les hommes ont tué l’amour, et fermer les yeux sur cette affirmation aussi incisive que vraie (voire euphémique) n’est plus une option. Aimer autrement, en opérant d’un décentrement en ne choisissant pas la pensée masculine par défaut, ne pas disparaître, ne pas se laisser absorber par le patriarcapitalisme et continuer d’exister pleinement répond à un désir profond de libération, d’émancipation et de réalisation, mais c’est avant toute chose une nécessité. Pour nous toustes, il le faut. C’est tout. Résistons.

 

15 brefs essais sur l’amour : petits et grands chantiers de reconstruction (2023) – Collectif – Les éditions Somme Toute

Quatrième de couverture : Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres; parlez-nous d’amour, de vos grands et petits émois trash, glauques, pathétiques. L’amour, l’amour, est-ce une raison pour se faire mal ? Maudit amour. L’amour, crisse ! Le crisse d’amour. Est-ce une construction sociale ? Pourquoi certain.es sont affamé.es, amourovores total, véritables junkies de la passion, tandis que d’autres y renoncent, parfois pour toujours ?

Avec des textes de Véronique Alarie, Raphaëlle Corbeil, Laura Doyle Péan, Julien Gravelle, Marilyse Hamelin, Carmélie Jacob, Maude Landry, Mylène MacKay, Mélanie Michaud, Maude Nepveu-Villeneue, Michèle Nicole Provencher, Fabiola Nyrva Aladin, Anne Peyrouse, Takwa Souissi et Ouanessa Younsi.

Avis : Je pense que des trois livres, c’est celui qui m’a le plus plu (et ça n’enlève rien aux autres, vraiment!). Outre le fait que la formule plutôt fragmentaire du collectif me semble faciliter et alléger la lecture malgré le sérieux des textes qui peuvent nous y être proposés, c’est aussi la diversité des réflexions que j’ai particulièrement appréciée et qui était à l’image des diverses formes d’écriture employées. Parce que l’amour, si on a la fâcheuse habitude de l’associer d’emblée aux relations amoureuses – comme si le reste traduisait une passion ou une affection, mais l’amour, ça non – est un sentiment nettement plus vaste, touffu, complexe oui, mais également multiple, comme autant de manières d’être au monde, et c’est d’ailleurs la prémisse de Marilyse Hamelin avec cet ouvrage. À la limite, on peut le comprendre, le définir et le ressentir à la négative. Les textes y sont relativement brefs, certes, mais la pensée qu’ils articulent et qu’ils nous offrent à lire est efficace, et elle y est surtout riche. Cet ouvrage est une ode à l’amour pluriel, une invitation à le laisser se déployer librement, partout et pour tout, de son.sa.ses partenaire.s à sa famille, ses ami.es, sa langue, son territoire, son errance, sa liberté : plus qu’une ode à l’être aimé, ces 15 brefs essais sont une ode à l’être aimant.

 

Vivons heureux avant la fin du monde : couple, famille, sexualité : les nouvelles règles du jeu  (2023) – Delphine Saltel – Philosophie magazine éditeur / ARTE Éditions

Quatrième de couverture : D’où provient notre modèle conjugal ? Pourquoi est-il en crise ? Comment vivre en famille quand les histoires d’amour durent de moins en moins longtemps ? Qu’attend-on des parents d’aujourd’hui ? Où en sont nos scénarios sexuels ? Comment se dépatouiller avec la monogamie, les modes de garde des enfants, le chéquier du compte commun ? Dans cet ouvrage inspiré du balado « Vivons heureux avant la fin du monde », produit par ARTE Radio, Delphine Saltel mêle le récit de soi aux rencontres avec des anonymes, des penseurs-ses et des activistes. Tirant des traits d’union entre nos difficultés intimes et l’éclairage des sciences humaines, elle livre un essai tonique, informé et incarné qui repolitise la grande aventure du couple.

Avis : Il ne s’agit pas tant, ici, de déconstruire le poids qu’impose la domination patriarcale et son hétéronormativité ni de s’y redéfinir dans la marge, comme en dehors. Dans son livre, Delphine Saltel tente plutôt de décortiquer de quelles façons le couple hétérosexuel lui-même est configuré par la pensée patriarcale, d’en saisir les mécanismes de l’intérieur. Le fait est que souvent, ces remises en question et les nouvelles sensibilités qu’elles créent lorsque l’on s’éduque par rapport à certains enjeux, ces prises de conscience ne nous mènent pas toujours à la Révolution avec un grand R. Il s’avère beaucoup plus difficile de changer du tout au tout ce qu’on a intériorisé depuis l’enfance. La question n’est donc pas de tout jeter aux poubelles et d’y mettre le feu, mais de voir, en creusant toujours un peu plus, comment on peut, à sa manière, conjuguer ces contradictions qui nous habitent et évoluer au sein de modalités relationnelles et parentales, dans ce cas, qui nous conviennent, hétéropatriarcat ou pas. Plus encore, au-delà des réflexions, la mise en pratique est parfois nettement plus difficile qu’elle n’en paraissait au départ. Comment cette volonté de mieux faire se déploie-t-elle et s’arrime-t-elle au quotidien ? Cette traversée s’il en est une, par les subjectivités, les témoignages, les données et les études convoquées, nous permet de rendre compte de cette tension entre aliénation et agentivité au sein d’un modèle hégémonique non pas inébranlable, mais assurément poreux et plastique, bien que restrictif.

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