Une panoplie d’enjeux de société sont passés à la moulinette par l’auteur et dramaturge Jean-Philippe Baril Guérard dans sa pièce de 2014 Tranche-cul, présentée en ce moment au Quartier de lune à Limoilou par le Collectif de feu. Dans une mise en scène d’Angélique Patterson, ses différents tableaux nous poussent avec un humour mordant et dérangeant à se questionner sur la liberté d’expression, la pauvreté, l’égalité des sexes, notre conception de la beauté. Bref, notre rapport à la différence dans un monde complexe et changeant.
Utilisant avec brio l’atmosphère intimiste au deuxième étage du bar spectacle limoulois, les neufs comédiens circulent tout au long de leur performance dans la salle, autour de la scène, certains s’accoudant à l’un des deux bars. Le texte de Baril Guérard se base très peu sur le dialogue, même lorsque deux personnages et plus sont en scène. Ainsi, en plus de fréquemment se retrouver au centre de l’action, l’assistance est invitée à se substituer à la personne à laquelle s’adresse certains monologues, ce qui rend d’autant plus efficaces ces élans colorés, ponctués de silences et d’hésitations.
La placière campée par Nadia Girard Eddahia, tantôt stoïque, tantôt totalement dépassée par la rudesse de ce qu’on lui balance comme idées outrancières, prend en quelque sorte la place du spectateur dans ce joyeux massacre.
Car ce serait déservir la plume acérée de l’auteur que de dire qu’il ne fait pas dans la dentelle; les personnages sur scène sont totalement étrangers à l’euphémisme et à la demi-mesure. Et les neufs interprètes de cette nouvelle mouture leur rendent parfaitement justice.
Rire jaune pour secouer les idées reçues
La réflexion sur notre rapport à la différence offerte par l’auteur s’articule dans la plupart des tableaux autour d’opinions extrêmes exprimées par les personnages. Les rires soutirés au public ne sont donc jamais innocents dans cette pièce sans badinage.
Pensons ici à cette animatrice radio, interprétée par Stéphanie Jolicoeur, avançant lors d’un débat avec un auditeur que la liberté d’expression devrait être obtenue suite à l’obtention d’un permis, parallèle surprenant avec le permis de port d’arme.
Les inégalités sociales sont ingénieusement mises en évidence et dénoncées par cet effet de contraste tout au long de la pièce. Notons, en vrac, cette motivatrice, livrée avec talent par la metteure en scène Angélique Patterson, obsédée par une idée de la réussite inféodée au pouvoir de l’argent, ou bien cet amant éconduit interprété par Charles Fournier, jonglant maladroitement et dangereusement avec les notions de consentement et de violence dans les relations hommes-femmes.
Ce travailleur (Jean-Nicolas Marquis) également, rageant contre un formulaire d’application qui est, selon lui, soucieux d’inclusion au point de lui être discriminatoire.
L’investissement de chacun des comédiens dans leurs différents rôles, ainsi que leur interprétation sans faille en fait une pièce à voir absolument, acide, drôle et nécessaire. Le crescendo d’intensité des nombreux tableaux, culminant en une scène proprement apocalyptique (retour à l’état de nature confrontant l’homme à l’homme) laissera le spectateur à bout de souffle.
Tranche-cul est présentée au Quartier de lune jusqu’au jeudi 16 novembre.