Un livre sur Mélanie Cabay: un étonnant travail de mémoire

D’ores et déjà identifiable par sa plume caustique et une savante utilisation de citations pour étoffer ses récits, François Blais récidivait le mois dernier avec Un livre sur Mélanie Cabay, un objet littéraire à mi-chemin entre l’enquête et le témoignage. Prenant pour prétexte le meurtre de la jeune femme à l’été 1994, son exercice en partie autobiographique arrive brillamment à redonner vie à ce visage entr’aperçu pour quelques jours par les Québécois. Une vie au-delà du fait divers.  

Mélanie Cabay, 19 ans, passe la soirée du 22 juin 1994 avec ses amis puis, aux petites heures, doit prendre un autobus qui la mènera à son domicile. Elle ne s’y rendra finalement jamais. Dans les jours qui suivent sa disparition, ses proches se mobilisent afin de la retrouver. Des affiches la montrant bouquet de fleurs à la main, sa photo de finissante, sont distribuées à grande échelle et les médias font un suivi quotidien. Le 5 juillet, son corps nu et partiellement couvert de bardeaux d’asphalte est retrouvé par un passant dans un boisée près de Mascouche. 

Une courte description confinant injustement une vie fauchée aux faits divers. François Blais amorce tout de même son récit en épluchant les journaux de l’époque pour en faire ressortir les éléments d’information disponibles, mais également pour souligner ce qu’il peut y avoir de charognard et de ridicule dans ce type de couverture. On rencontre pour la première fois son ironie mordante au cours de cette revue de presse : « Pendant ce temps, au Journal de Montréal, Michel Benoit, manifestement pas le crayon le plus aiguisé de la boîte, se contentait de ressasser les événements des derniers jours, trouvant le moyen de s’emmêler les pinceaux à deux reprises […] ».  

Autres victimes de la plume de Blais: les fins limiers de la police de Mascouche et de la Sûreté du Québec, dont le travail lui semble discutable au mieux. Incapables de rejoindre par téléphone le père de la victime qui se trouvait à ce moment à l’hôpital, les policiers lui laisseront apprendre la découverte du corps de sa fille à la télévision. « Se rendre à l’hôpital en personne ? L’idée ne leur était apparemment pas venue. C’était maintenant à eux qu’il fallait se fier pour attraper le coupable. » 

De la folle jeunesse de 1994 

En début de lecture, le ton de l’auteur détonne par rapport à la gravité du sujet, on le sent exagérément badin dans son traitement d’un drame bien réel. On comprend toutefois au fil des chapitres évoquant sa propre jeunesse au milieu des années 90 – constituée, en vrac, de vols à l’étalage, d’amours à sens unique, de films de série B minables en VHS, de NHL 94 – et rappelant les événements marquants de 1994 (la mort de Kurt Cobain, le dossier O.J. Simpson), que Blais tente de faire un portrait du monde dans lequel vivait Mélanie Cabay. Le résultat est fascinant et touchant, alors même que l’auteur reconnaît avoir peu d’informations biographiques sur la jeune femme, ses amis ne voulant pas replonger dans un moment douloureux de leur vie. 

Le coupable du meurtre de Mélanie Cabay n’ayant jamais été trouvé, François Blais entreprend ensuite sa propre enquête, évoque des cas similaires au fil des ans, notamment les nombreux meurtres toujours irrésolus imputés au « Bootlace Killer ». Le lecteur entreprenant en ressort – probablement? – avec l’envie de faire quelques recherches Google sur le sujet, avec les résultats scabreux que l’on imagine. 

Une discussion in absentia 

Dépassant à peine les 100 pages, le livre qui semble pouvoir être lu d’un seul trait car il est étrangement drôle et jamais ennuyant, s’avère plutôt chargé émotionnellement. C’est que cette manière qu’a Blais d’évoquer Mélanie Cabay, en l’interpellant par son nom de famille, comme une amie, souligne toujours son absence et l’absurdité de sa disparition. Un chapitre particulièrement marquant du livre nous place dans les souliers des parents d’un(e) jeune assassiné(e). La vraie vie derrière un entrefilet en page 23. 

« Chaque fois qu’elle sort le soir vous avez peur qu’elle ne revienne pas, c’est plus fort que vous. Mais elle revient toujours. Jusqu’au soir où elle ne revient pas, parce qu’elle a croisé la route d’un monstre qui s’est servi d’elle pour assouvir ses pulsions et l’a ensuite jetée, comme un déchet, dans un boisé de la montée Dumais, à Mascouche. Et voilà, c’est fini. Votre vie est finie. » 

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