Photo : Alice Beaubien

Notre septième art au féminin

Le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes a été soulignée d’une façon toute cinématographique au Complexe Méduse. Antitube et Spira ont enjoint Manon Dumais, Chloé Robichaud et Marianne Gravel à jeter l’éclairage de leur savoir confondant sur la place de la mère dans le cinéma québécois.

La table ronde animée par l’omniprésent Pierre Blais a été suivie d’une projection de courts-métrages intitulée Les filles des vues. La sélection visait à rendre hommage au legs de Vidéo Femmes, dont la fusion avec Spirafilm remonte à il y a trois ans.

L’événement du 8 mars inaugurait un cycle de cinéma dédié aux femmes – à leur représentation à l’écran comme à leur prise de parole à titre de créatrices. De mars à mai, le cycle comprendra huit événements, débutant par une rétrospective de l’œuvre de Michèle Cournoyer le 14 mars au Musée de la civilisation de Québec.

Les aspects multiples du visage de la mère

Le regard de Dumais, Robichaud et Gravel a balayé la période allant des années 60 jusqu’à aujourd’hui. Quoiqu’il « demeure à élaborer » aux dires de Marianne Gravel, le visage maternel y prendrait de multiples aspects. La mère fait d’abord figure d’absence. À ce titre, c’est d’ailleurs l’absence de la mère qui livre l’iconographique Aurore à la violence de sa marâtre. Les Muses Orphelines de Robert Favreau, C’est pas moi je le jure de Philippe Falardeau et Maman est chez le coiffeur de Léa Pool révèlent aussi toute l’ampleur du vide laissé par une mère qui a déserté la cellule familiale. Cette absence, l’enfant y pallierait d’ailleurs souvent « en devenant artiste » – comme dans Les fleurs sauvages de Jean-Pierre Lefebvre.

Puis, les années 70 ont intronisé la mère encanaillée. La descendance engendrée ne la leste plus dans son désir de mener une vie sexuelle épanouie. Entre autres exemples à l’appui, Fernand Dansereau aurait dépeint des mères ambiguës s’arrogeant le droit aux effusions sentimentales en parallèle d’une famille nombreuse.

La « figure maternelle disparaissante », en outre, a été dépeinte par Marianne Gravel. Il semble que la caméra soit plus encline à se braquer sur la mère lorsque celle-ci aborde les rives de la mort, ou lorsqu’elle est malade.

Chloé Robichaud, enfin, a évoqué la mère « emmagasinant les secrets » – les engrossant, est-on tenté d’imager ses propos.

Si le visage de la mère se décline ainsi de diverses manières, Manon Dumais mentionne toutefois que peu d’issues s’offrent en fait aux personnages de mères : « soit elles démissionnent de leurs fonctions, soit c’est la folie, soit c’est la mort ».

Pour la suite du monde

Pour la suite des choses, – celle du monde -, à l’unanimité, les trois femmes revendiquent davantage de complexité et de nuances dans la représentation des mères à l’écran. Il faut des femmes « complexes, qui doutent et se posent des questions » de dire Marianne Gravel; des femmes « qui sont plusieurs choses » de renchérir Chloé Robichaud. Selon Dumais, « la mère est très souvent évacuée dans son essence. On aimerait la voir combattante, fouiller sa psychologie, plutôt que de la voir faire un gâteau », plutôt qu’elle ne hante notre cinématographie à titre de « spectre » évidé de substance. Or, ç’en est assez « de voir des femmes fantômes » a appuyé Marianne Gravel.

À ce titre, Pierre Houle embrasserait avec brio cette complexité dans Monica la mitraille, laquelle concilie savamment (et d’une manière toute loufoque) maternité et banditisme.

La complexité de la réalité des mères est ainsi occultée, mais qu’en est-il de l’image des femmes stigmatisées précisément par leur désir de ne pas enfanter, qui ne se fondent pas dans ce modèle prescrit aux femmes ? La question aurait été intéressante à explorer.

Un imaginaire collectif à investir

Si Chloé Robichaud mentionne qu’elle crée spontanément sans forcément se replonger dans les innombrables œuvres qui l’ont précédée, elle constate comment ses films font néanmoins écho aux représentations sociales de la femme d’une certaine manière. Tel a été le constat qu’elle a partagé au terme de la table ronde qui s’est conclue sur l’importance de l’investissement de notre imaginaire collectif par les femmes. Leur présence accrue derrière la caméra présidera à un tel enrichissement de notre imaginaire, et à ce titre, les chiffres fournis par l’ONF sont encourageants.

Pour l’année 2017-2018, 47% des œuvres ont été réalisées par des femmes, tandis que 46% des sommes dépensées ont servi au financement de projets signés par des femmes. Leur place a été aménagée dans le cinéma d’auteur, les modèles doivent cependant émailler également le cinéma large public pour mieux tapisser la psyché collective : des modèles féminins multiples, et de femmes disposant d’elles-mêmes comme elles l’entendent, sujettes, de « pouvoir », revendique Manon Dumais, qui soient « définies par leur métier », et non présentées comme étant « la compagne de… », « la mère de… », « au service de… ».

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