Dire l’absence

Michel Makarius, que je ne connais que par les mots de mon meilleur ami, a écrit dans L’histoire du flou : « Ce n’est pas faire violence au flou que d’en parler clairement ». Je pense qu’il ne voudrait pas que je compare le flou à l’absence, c’est ce qu’il se tue à faire dans son mémoire, montrer que le flou n’est pas une absence de netteté. Toujours est-il que la question se pose, qu’est-ce que l’écriture à propos de l’absence a comme effet sur l’absence elle-même ? Écrire l’absence, c’est la faire disparaître ou la faire apparaître. L’absence, c’est le désir ou le manque. Choisissez votre camp.

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

Manque
Dans Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes, théoricien littéraire et grand amoureux de l’amour, propose une définition de l’absence. Absence. Tout épisode de langage qui met en scène l’absence de l’objet aimé – quelles qu’en soient la cause et la durée – et tend à transformer cette absence en épreuve d’abandon

Dans la définition de Barthes, l’objet aimé renvoie à cellui qu’on aime comme un amoureux.se, mais ici, dans nos pages, l’objet aimé aura le dos large. Il sera l’ami.e, l’objet, le temps d’avant, il sera tout ce que l’on aime, parce que l’absence ne peut être sentie qu’à partir de ce qu’on aime, de ce qui nous manque et de ce que nous désirons.

Rupture
Il y a l’absence initiale, celle dont l’objet manquant n’a pas disparu, un objet qui n’a jamais été là peut-être, un objet invisible sans doute, mais qui manque que l’on en soit conscient.e ou non. Le père parti dès le berceau manque-t-il. Celleux qu’on ne représente pas dans nos écrans manquent irrévocablement, mais sans bruit. Comment souffrons-nous de ce que nous n’avons jamais eu.

Puis, il y a l’absence-rupture, l’absence dont l’avant et l’après est marquée au fer rouge ou au plomb pâle. L’absence-rupture, c’est l’équinoxe d’automne qui nous promet le vol du soleil pour quelques mois, c’est le deuil amoureux, c’est la vieillesse qui avale les corps jeunes et mouvants. L’absence-rupture, contrairement à l’absence initiale, cause plus souvent que parfois un regret, une culpabilité; et si c’était de notre faute, et si nous avions causé le départ de l’autre et des astres.

Oubli
Mais il nous faut survivre à l’absence quelle qu’elle soit, et chaque jour, on s’efforce de la rendre supportable. Il nous faut l’oublier pour un long ou moins long moment. On s’engourdit. On remplit le trou béant au fond de nos yeux. On se sèvre comme on peut, on sait se nourrir disait Barthes, mais ce n’est toujours qu’en attendant

 

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