Plusieurs œuvres artistiques ont subi une chasse aux sorcières dans les dernières années, car elles abordaient des sujets qualifiés de sensibles et parfois de manière très explicite. Ainsi, avec tout le bruit que cela engendre dans les médias et sur les réseaux sociaux, il est pertinent de comprendre les réactions suscitées par ces œuvres, d’illustrer la nécessité de parler de ces sujets et de déterminer si l’art est une bonne façon de le faire. Valérie Yanick, professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval ainsi que Chloé Bonnefoy et Frédérique Bérubé, étudiantes à cette même université, discutent du sujet.
Par Mélissa Gaudreault, journaliste collaboratrice
Pourquoi en parler?
« Il est essentiel d’aborder les sujets dits sensibles (ex. : hypersexualisation des jeunes filles, homosexualité, racisme systémique, etc.) afin de leur donner une certaine importance et d’inciter une réflexion de groupe », exprime Valérie Yanick, professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Cela permet également de diminuer le malaise ressenti lorsque l’on en parle. « Aussi, il est important de parler de l’hypersexualisation des jeunes filles, car c’est un sujet sensible que l’on aborde rarement et c’est une pratique ancrée dans la société qui doit cesser. On ne peut pas mettre le blâme sur le film Mignonnes, qui n’est pas ici le problème central. En effet, en dépit de ses plans “bien trop rapprochés, ce [n’est pas ce] film [qui a] sexualisé les enfants”, mais bien la société », affirme Chloé Bonnefoy, étudiante à la Maîtrise en communication publique – Profil journalisme international de l’Université Laval. On attend de la part des filles qu’elles soient « belles » et « minces », « on les retouche [et] on corrige [leurs défauts] », explique-t-elle. L’œuvre de Maïmouna Doucouré est un documentaire-fiction qui illustre les dysfonctionnements de la société qui se perpétuent depuis des générations, comme la sexualisation du corps des enfants, et surtout celui des jeunes filles, selon l’étudiante. Elles deviennent prisonnières de ces images dès la puberté.
« Aussi, plusieurs personnes ont une réalité propre à elles et sont souvent jugées par des gens qui ne les comprennent pas», exprime Frédérique Bérubé. Cela illustre ainsi la nécessité d’en parler afin d’avoir une meilleure compréhension de la situation et d’abolir les préjugés, les stéréotypes et le racisme de la société.
Des réactions divergentes
Le film Mignonnes, qui a été grandement critiqué autant dans les médias que sur les réseaux sociaux, a suscité beaucoup de réactions diverses. « L’autrice cherche très consciemment à nous renvoyer à notre propre malaise vis-à-vis de la sexualité des jeunes filles, et c’est pour cela que le film dérange », explique Mme Yanick.
La principale réaction de Chloé face au film et aux autres œuvres du même genre qui sont souvent critiquées parce qu’elles abordent ces sujets sensibles de manière très explicite est la suivante : « pourquoi dénoncer ce qu’ils dénoncent? » De son point de vue, elle aime et en même temps elle déteste ces œuvres qui évoquent « l’insoutenabilité » de la réalité.
Pour Frédérique, l’élément le plus dérangeant dans le film est le parallèle entre l’innocence des jeunes filles et leur manière d’agir et de parler qui est disons « mature ». À 11 ans, elles agissent comme si elles étaient plus âgées, même si elles ne connaissent pas grand-chose de la vie et qu’elles ne sont pas nécessairement au courant de ce qui est accepté dans la société. Selon elle, « ce film est la façon parfaite de dénoncer le problème de la surexposition des jeunes à des contenus sexuels, grossiers et vulgaires ».
Éduquer par l’art
Selon la professeure, l’art est une bonne façon d’aborder ces sujets sensibles. En effet, si l’on prend l’exemple de Mignonnes, « le film nous invite à porter un regard critique sur les normes et les attentes sociales entourant la féminité et la sexualité féminine, qu’elles soient issues de cultures religieuses et dites traditionnelles ou de la culture populaire », affirme-t-elle. Ce long-métrage est un bon exemple d’œuvre sensibilisatrice et même militante. Comme l’illustre clairement l’enseignante, il ne fait pas que dénoncer l’hypersexualisation, il « explore les tensions qui caractérisent la construction identitaire des jeunes filles immigrantes » en se basant sur la perception de la réalisatrice française et sénégalaise Maïmouna Doucouré.
L’art, incluant le cinéma, est une bonne manière de transmettre un message au public, d’après Frédérique, parce que tout le monde aime l’art et cela permet d’atteindre un large public en même temps.
Pour Chloé Bonnefoy, « ces documentaires-fictions sont une autre voie pour ouvrir les yeux à ceux qui ont décidé de fermer leurs journaux ».