Exemple de déclinaison #1

Liberté universitaire, les absents ont toujours raison

La commission Cloutier a déposé en décembre dernier ses recommandations pour défendre la liberté universitaire. Créée à la suite de la controverse de l’utilisation du « mot en N » dans une salle de classe de l’Université d’Ottawa, la commission indique en annexe plusieurs autres cas où des activités d’enseignement ont été perturbées par des individus se sentant offensés par les propos qui y étaient tenus. Les conséquences seraient nuisibles à l’enseignement et à la recherche. Les sondages tenus par la commission révèlent que 65 % du corps professoral s’est censuré en utilisant certains mots, statistique plus inquiétante, 35 % ont évité d’enseigner certains sujets et 19 % en ont évité la recherche. Cependant, le fameux courant « woke » est bien loin d’être la seule source de malaise dans le milieu de l’enseignement.

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre société

Le pavillon Alphonse-Desjardins, un partenariat avec la fondation Mastercard et une chaire de recherche financée par Goldcorp, la main du privé semble de plus en plus présente dans nos universités. Patrick Provost, professeur au Département de microbiologie-infectiologie et d’immunologie de l’Université Laval, s’est d’ailleurs exprimé par le biais de lettres aux médias à ce sujet. Dénonçant le sous-financement chronique des universités ayant conduit à cette situation, il craint que ces nouvelles sources de revenus influent sur les travaux de ses collègues, mènent à l’autocensure et nuisent à la crédibilité du milieu universitaire. 

Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire à la Faculté de droit, abonde dans le même sens. Il insiste notamment sur le manque de transparence qu’il constate dans certains partenariats avec les entreprises privées qui mettent en doute l’objectivité des recherches.

Les deux professeurs ne souhaitent pas bannir purement et simplement ces partenariats. Au contraire, le secteur privé fait partie de la société et les ententes peuvent être bénéfiques. Il s’agit d’imposer des balises claires qui protègent les professeur.es et leurs recherches d’influences externes. Un meilleur financement serait un premier pas dans cette direction, on augmenterait ainsi le rapport de force de l’université qui serait moins dépendante financièrement de ces partenariats.

  1. Provost rappelle que les universités sont financées par les fonds publics et que leurs recherches doivent être bénéfiques à la communauté et non pas être redirigées par des intérêts privés pour leurs profits. M. Lampron fait pour sa part un parallèle entre la liberté universitaire et la liberté de presse, qui sont pour lui deux piliers de la démocratie. Or, sous une influence externe, on ne peut assurer une réelle indépendance, une réelle liberté. Si la situation n’est pas encore catastrophique, il note une tendance de plus en plus claire qui apporte des risques de dérives.

La commission

La professeure de la Faculté des sciences de l’éducation et membre de la commission Cloutier, Chantal Pouliot, évoque également que certain.e.s intervenant.e.s ont relevé des inquiétudes face au privé. Cependant, la commission n’a pas pu aborder en profondeur cette problématique, car son mandat ne concerne que la liberté universitaire, et les sources de revenus concernent davantage l’autonomie des institutions. En fait, la commission a protégé l’autonomie universitaire afin d’éviter des interventions gouvernementales. On y recommande donc que le gouvernement adopte une loi définissant, promouvant et protégeant la liberté universitaire, notamment en obligeant les universités à se doter d’un comité sur la liberté universitaire. 

Ces recommandations sont accueillies favorablement par M. Provost et Lampron, alors que ce dernier l’attendait avec beaucoup de scepticisme. Tandis que le gouvernement semblait s’intéresser à la liberté universitaire seulement selon l’angle « on ne peut plus rien dire », la commission a habilement évité ce piège en posant un diagnostic général de la situation. On n’y aborde pas seulement la liberté de discussion, mais aussi la liberté de recherche, de publication, d’exprimer son opinion sur son établissement et de ne pas être soumis.e à une censure institutionnelle. Ces recommandations, si elles sont adoptées, permettront d’uniformiser la gestion de ces problématiques en offrant à toutes les institutions un cadre clair de ce qu’est la liberté universitaire, où elle commence, où elle finit et ce qui brime cette liberté. 

Cependant, comme Mme Pouliot avertit : « il reste à voir comment ce sera appliqué ». Le scepticisme de M. Lampron refait alors surface. Il attend avec vigilance de voir comment le gouvernement voudra concrétiser ces recommandations. M. Provost s’inquiète également de la possibilité d’amendements faits à cette loi après son adoption, qui pourraient conduire à son instrumentalisation politique. 

Média

Bien que plusieurs médias aient mis l’accent sur la non-reconnaissance des salles de classe comme des « espaces sécuritaires » et sur le contexte qui a conduit à cette commission, les recommandations couvrent beaucoup plus large comme nous l’avons vu.

Sans nier les tensions que créent ces mouvements politiques, « je n’ose même plus utiliser l’étiquette tellement c’est galvaudé » confie monsieur Lampron, « mais le courant plus « woke » ne m’effraie pas tellement ». Ce qui le préoccupe davantage c’est la réaction des institutions face à ces crises. Par exemple dans l’affaire Lieutenant-Duval, ce n’est pas la polémique qui l’inquiète, mais bien la manière dont la situation a été gérée par l’université. Il rappelle aussi que les universités ont toujours été sujettes à des mouvements contestataires, d’un courant de pensée ou un autre. 

  1. Provost va, pour sa part plus loin, en affirmant que toute cette attention portée à ce courant est une distraction qui nous détourne d’enjeux plus fondamentaux. Il dénonce également l’hostilité de la scène médiatique face à certaines prises de position. Rappelons également l’affaire Weinstock qui avait vu le professeur d’éthique être retiré du forum sur la réforme de cours d’éthique et culture à la suite d’une chronique trompeuse de Richard Martineau impliquant des citations tronquées. L’expression publique des experts se retrouve par moment limitée, par crainte de la réaction médiatique.

En résumé, la liberté universitaire, ce n’est pas quelque chose de facile ou de simple. On cherche à s’affranchir de l’influence des intérêts privés sans nécessairement interdire des partenariats profitables. On veut une aide du gouvernement sans être contrôlé. Les mouvements contestataires prennent une place démesurée dans le débat public et masquent des enjeux plus importants. Comment parvenir à un équilibre acceptable entre toutes ces variables ? Difficile à dire, mais bien que la commission Cloutier semble trouver un début de réponse, il faut encore que ces recommandations soient respectées.

Monsieur Lampron indique que depuis 2012, tout le monde semble avoir mis de côté tout financement supplémentaire par le public et il faut rappeler que des universités mieux financées ne passent pas nécessairement par une hausse des frais. M. Provost suggère plutôt de se tourner vers les ultra-riches et les entreprises qui, pour peu de payer leur part d’impôt, pourraient financer nos institutions d’enseignement.

 

Auteur / autrice

Consulter le magazine