Pendant ce temps, à l’ombre du Parlement

Ottawa, la capitale fédérale, il y avait bien une dizaine d’années que je n’y avais pas mis les pieds. L’engouement de sortir de ma région, ce que peu font ces derniers temps, me faisait rêver comme un enfant. Lors de ma dernière visite, il était plus question d’un voyage style road trip. Rien de prévu, juste regarder autour de moi en marchant dans les rues. Seulement, cette fois, il y avait un planning. La culture, les musées, la colline parlementaire, le Canal Rideau et les résidences cossues des dignitaires venus du monde entier, j’anticipais avec hâte ma visite. Comme nous le faisons tous et toutes, j’axais mes pensées sur les beaux souvenirs, mais la réalité est souvent toute autre.

Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur

Comme pour toutes les destinations que j’ai visitées, en arrivant à Ottawa, j’étais trop fébrile pour aller dormir. Je vais me promener ici et là dans la ville, ne serait-ce que pour me faire une idée sommaire des lieux que j’allais visiter. À première vue, tout était comme dans mes souvenirs, ou presque. En marchant devant la Cour suprême du Canada, je prends quelques clichés. Le plus haut tribunal au pays – le lieu impose une certaine déférence, qu’on le veuille ou non, et je continue ma visite nocturne de la capitale fédérale. Le Parlement canadien apparaît environ 100 mètres plus loin dans toute sa splendeur. Sur cette courte distance, je croise quelques personnes en situation d’itinérance. Phénomène commun dans toutes les grandes villes d’Amérique du Nord. Seulement, cette fois-ci, il me semblait y avoir une différence, quelque chose était récurrent. À l’instant même où la réalité manifeste s’impose à moi, je vois la Flamme du centenaire illuminer la colline du Parlement accompagnée de ses ornements du moment; les éloquentes peluches et pancartes y sont placées tout autour afin de commémorer les sinistres trouvailles des corps d’enfants autochtones ayant été enterrés dans des fosses communes. Gracieuseté des pensionnats autochtones du Canada, vaillamment pris en charge par l’Église.

 Au moment d’écrire cet article, le décompte en est à trois pensionnats : Kamloops et Cranbrook — le pensionnat Saint-Eugène pour Cranbrook — en Colombie-Britannique, et celui de Marieval en Saskatchewan. Chacun de ces instituts a révélé 215, 182 et 751 corps d’enfants, respectivement. 1148 enfants enterrés, sans nom, sans trace, sans date. L’horreur à l’état pur. Si on osait raconter une histoire semblable dans d’autres circonstances, on nous traiterait de paria. C’est pourtant bel et bien le cas, et ce n’est pas Cimetière vivant la suite, mais la réalité. Je me plais souvent à dire que chaque personne est une encyclopédie, une histoire. Eh bien ici, 1148 encyclopédies, 1148 histoires ont été oblitérées. Aucun témoignage de leur passage sur Terre, ne serait-ce qu’une croix de bois avec un nom ou un symbole emblématique de leur communauté. Non, les « sauvages », comme les autorités ecclésiastiques les ont nommés pendant des décennies, n’avaient pas le privilège d’avoir un service digne de ce nom.

Des décorations qui nous rappellent un passé dont on se serait bien passé
Ours en peluche, souliers de bébé, des Autochtones venu.es se recueillir devant le bâtiment où s’exerce le pouvoir même qui a permis leur asservissement. Aucun doute, ce ne sont pas des sacerdoces venus en pèlerinage. Nous pouvons d’ailleurs remarquer qu’il n’y a pas l’ombre d’un représentant de l’Église catholique. Après la déclaration du cardinal Thomas Collins sur les différentes plateformes de Radio-Canada, je cite : « […] mais je ne sais pas si le fait de chercher toujours à faire quelque chose de grand et de spectaculaire est vraiment la voie à suivre. Je pense qu’il vaut mieux procéder étape par étape et travailler avec les gens », il aurait été surprenant qu’il en soit autrement. Cela étant dit, s’il est considéré comme spectaculaire de faire des excuses, d’autres seraient d’avis qu’il s’agit plutôt d’un bon point de départ pour commencer un processus de pardon, de réconciliation et, si volonté il y a de tous les partis, de rétablir un contact. Pour le pardon, on voit une tendance ces dernières années. L’octroi du pardon par leurs pairs de l’Église. Se pardonner, c’est intéressant comme concept, mais je dois admettre qu’il m’échappe. Autrement dit, il est possible de commettre les pires abjections, détruire une personne ou, en l’occurrence, un peuple et de se faire pardonner par ses collègues. Loin de moi l’idée de jouer au psychologue, mais du côté des victimes, est-ce que ça marche aussi, ce concept d’auto-pardon de la part de l’agresseur ? C’est une procédure libératrice pour les survivant.es, de savoir que leur bourreau se pardonne ? Bref, que pensent les principaux concernés ?

 Il est question d’excuses, mais est-ce que c’est vraiment ce que les Autochtones attendent de l’Église et de nous ?
À eux maintenant de prendre la parole, à eux de dire ce qu’ils attendent de l’Église. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. Une panoplie d’experts sur le sujet, mais très peu d’Autochtones ont pris la parole dans les commissions et les diverses consultations publiques. De plus, la majorité des représentant.es autochtones ayant pris la parole appartenaient souvent à une classe sociale plus privilégiée qui ne représente pas forcément la majorité. Alors, est-ce que nous parlons aux bonnes personnes ? C’est-à-dire aux communautés qui ont subi des sévices de la part d’ecclésiastiques et par extension du gouvernement par omission d’agir ou même de simplement prendre connaissance des crimes commis. Quelle serait l’aide que nous pourrions leur apporter ? Le gouvernement qui a mis sur pied la Commission vérité et réconciliation s’est vite déchargé de ses responsabilités devant l’ignominie mise au jour récemment. Nous oublions vite que c’est le gouvernement canadien qui a établi la Loi sur les Indiens en 1876 et de ce fait, introduit le concept des réserves. « L’assimilation des Indiens » a été confiée à l’Église, et tous les paliers de gouvernement ont fermé les yeux là-dessus. Dans sa juridiction, le provincial a fait de même, Duplessis n’était pas le premier ministre du Canada, mais bien du Québec.

Ce que disent les statistiques
De toute évidence, la proportion d’Autochtones en situation d’itinérance à Ottawa par rapport à il y a 10 ans semble avoir grandement augmenté. Regardons du côté des chiffres. Pour commencer, quelle est la définition de l’itinérance au Canada ? Selon l’Observatoire canadien sur l’itinérance, est considéré comme en situation d’itinérance « un individu, ou famille, qui n’a pas de logement stable, permanent et adéquat, ou qui n’a pas de possibilité ou la capacité immédiate de s’en procurer un ». Les trois catégories principales de personnes en situation d’itinérance sont les sans-abris, les personnes utilisant les refuges d’urgence et les personnes logées provisoirement. Pour cette dernière catégorie, par exemple, on parle des chambres de motel payables à la semaine, voire à la journée, des maisons de chambre, des maisons de transition, des centres de thérapie, etc.

 La Ville d’Ottawa a quant à elle instauré un programme en 2014, le Projet itinérance, qui a pour objectif d’offrir un endroit où dormir à tous les sans-abris pour 2024. Ainsi, pour être en mesure d’établir s’il y a une régression ou progression de l’itinérance, des données ont été recueillies sur une base régulière. En 2014, les rues de la ville comptaient 6520 personnes en situation d’itinérance. De ce nombre, 24% étaient autochtones. Pourtant, ces derniers et dernières ne représentent que 2.5% de la population urbaine dans la capitale fédérale. Voilà en partie pourquoi nous parlons d’une surreprésentation des Autochtones dans la population en situation d’itinérance. En 2018, la Ville a refait le point sur la situation pour s’assurer du bon déroulement du programme ainsi que de l’atteinte de ses objectifs. Ils ont procédé de façon ponctuelle, c’est-à-dire qu’en 24 heures, la Ville a monopolisé toutes les ressources à sa disposition. Il était question de 59 organismes communautaires, 118 lieux de recensement, 200 sondeurs et sondeuses, lesquel.les ont rejoint 1400 répondants. Pour les Autochtones, les chiffres sont restés figés, c’est-à-dire qu’ils représentent toujours 24% des personnes en situation d’itinérance à Ottawa pour une représentation démographique de 2,5% de la population générale. Les raisons évoquées ? Les conditions de vie déplorables dans les réserves, de sombres perspectives d’emploi, une discrimination persistante accompagnée d’un racisme entretenu par des stéréotypes depuis longtemps cristallisés en archétypes. Et la dernière, les traumatismes et abus découlant des séquelles de la colonisation, sans oublier les pensionnats canadiens pour les « Indiens ». Le recensement complet et précis montre donc une augmentation de 6,5 % entre 2014 et 2018. Le total des personnes en situation d’itinérance est donc passé de 6520 lorsque le Projet itinérance a été mis en place en 2014, pour ensuite progresser à 6825 un an plus tard, en 2015. En 2018, année où la municipalité a voulu faire le point, le nombre de personnes en situation d’itinérance était établi à 7937. Pour 2020, le rapport annuel de la situation n’est pas encore disponible, mais on sait que près de 8000 personnes ont fréquenté les refuges d’urgence qui eux, sont à 100% de leur capacité d’accueil depuis des années. Le pourcentage des Autochtones reste toujours inchangé dans cette strate de la population. Toutes ces informations sont accessibles sur le site de la Ville d’Ottawa ainsi que sur celui de l’organisme Alliance to End Homelessness Ottawa.

La tendance au niveau fédéral
Prendre Ottawa comme exemple m’a permis d’avoir un point d’ancrage, et ainsi, de bénéficier d’une observation subjective entre deux points dans le temps, permettant une comparaison concrète sur la base des données statistiques disponibles qui, elles, rendent objectives les observations mentionnées. Qu’en est-il de la situation dans l’ensemble du pays ? Selon Statistiques Canada, tous peuples confondus, 8% des Canadiens de 15 ans et plus ont vécu en situation d’itinérance. Le simple fait d’être autochtone double les chances de vivre un épisode d’itinérance — 18% chez les Autochtones contre 6 à 8% chez les non-Autochtones. Ces chiffres montrent donc qu’il y a un facteur commun dans les communautés autochtones, puisque dans tout le Canada, ils sont surreprésentés au sein de la population en situation d’itinérance. De surcroît, les chiffres montrent une certaine constance s’établissant entre 20 et 25% dans la majorité des villes, pour une représentation se situant généralement autour de 4 à 5%. 

L’étude que Statistiques Canada a menée identifie certaines causes augmentant le risque de vivre en situation d’itinérance un jour ou l’autre. Parmi ces causes, il y a le fait d’avoir vécu de la maltraitance avant 15 ans, d’avoir vécu des violences physiques ou des abus sexuels, d’avoir été sous la tutelle du gouvernement, d’avoir déménagé souvent (ce qui constitue une barrière dans le développement d’un réseau social fort) et finalement, d’avoir vécu des actes criminels. Dans cette étude, nous avons les différentes causes liées à l’itinérance susmentionnées appliquées chez les Autochtones et chez les non-Autochtones, ainsi que le cumulatif des causes chez chacune des origines ethniques prises en compte dans cette étude. Ainsi, une personne au gentilé canadien et caucasienne n’ayant vécu aucune des causes liées à l’itinérance, aurait entre 6 et 8% de chances de vivre un épisode d’itinérance dans sa vie. Chez les Autochtones au gentilé canadien, ceux n’ayant vécu aucune de ces causes, commenceront leur vie avec 14% de chances de vivre un épisode d’itinérance. Si nous ajoutons les violences physiques et les abus sexuels, les chances de vivre un épisode d’itinérance montent à 22%.

 Jusqu’à présent, il était question de chiffres sur l’ensemble de la population. Cependant, une étude menée en 2016 cumulant les chiffres des régions métropolitaines de recensement (RMR) de l’Observatoire d’itinérance canadienne et de Statistique Canada s’est tournée vers le phénomène de surreprésentation des Autochtones dans la population en situation d’itinérance en milieu urbain. L’étude a montré que 35 000 personnes ont eu recours à l’aide des refuges d’urgence au Canada pour une nuit donnée. De ce nombre, entre 28 et 34% font partie de la population autochtone. Pourtant, ces derniers ne représentent que 4,3% de la population canadienne en général. Les facteurs liés à cette surreprésentation, selon l’étude, seraient corollaires aux conséquences de la colonisation, de la Loi sur les Indiens et des pensionnats canadiens pour les « Indiens ». Ces derniers lieux où les enfants autochtones étaient séparés de leurs parents, ont maintes fois fait l’objet de scandales comme nous avons pu le constater avec le drame récemment révélé sur les fosses communes mises au jour dans la cour même desdits pensionnats.

Les pieds sur l’asphalte
Avec tous ces chiffres en main, je veux maintenant constater sur le terrain ces conclusions. Pour ce faire, ce n’est pas vers le lutrin de la ministre des Relations Couronne-Autochtones que je me suis dirigé, les statistiques ont répondu à ce que le gouvernement aurait à nous dire sur ce sujet. C’est plutôt vers les principaux intéressés que j’ai voulu obtenir des réponses, et en premier lieu, avec les Autochtones en situation d’itinérance, ceux qui ont les deux pieds sur l’asphalte.

 Ma première rencontre ne fut pas très longue à faire. J’ai rencontré Clifford, un Autochtone en situation d’itinérance. Il se tenait juste devant la basilique-cathédrale Notre-Dame d’Ottawa. Il accepta facilement de se confier sur la situation des pensionnats canadiens pour les Autochtones, ainsi que sur les questions gouvernementales et, bien entendu, sur l’Église. Cependant, environ 5 minutes après le début de notre discussion, il se produisit une situation plus éloquente que les réponses qu’il a pu fournir. Une dame d’environ 70 ans sort de l’église, Clifford tend sa casquette, lui demande monnaie avec toute la politesse du monde. La dame en question ne lui répondit d’aucune façon, elle ne le regarda pas. La dame vit peut-être une situation précaire ? Nous ne connaissons ni ses revenus ni sa vie après tout. Clifford lui répondit : « Pas de problème Madame, peut-être demain. » La femme en question qui avait continué son chemin comme si personne ne lui avait adressé la parole, tourna légèrement la tête, ne daignant toujours pas le regarder, mais désirant se faire bien entendre : « Si je dis non aujourd’hui, pourquoi dirais-je oui demain ? » Ainsi, elle a continué son chemin, et Clifford ne s’en est offusqué d’aucune façon. Elle n’était certainement pas obligée de donner sa monnaie. Elle n’est peut-être elle-même pas très riche. Cependant, son attitude était non seulement très révélatrice, mais aussi assez bien représentative de la majorité des personnes ayant croisé Clifford ou les autres Autochtones rencontrés lors des entrevues réalisées pour cet article.

 Ce qui est ressorti de ma discussion avec Clifford, c’est que le mémorial et les discours politiques, ne sont que de la poudre aux yeux pour eux. Clifford, lui, ne se dit pas canadien. Il est de sa communauté, il a honte du Canada. En l’écoutant parler, un réel sentiment de détachement est perceptible. Lorsque je lui ai révélé le nombre d’enfants trouvés en date de notre rencontre, il n’a pas bronché. Il y a un moment clé dans l’histoire de la fédération canadienne où l’inoculation s’est faite dans leur esprit. L’idée qu’ils étaient des citoyens de second rang s’est implantée dans leur esprit, et n’ayant aucune réponse à leurs doléances depuis des décennies, sans l’accepter, beaucoup semblent l’avoir intégré. Clifford m’a fait l’honneur d’une photo.  

Vers une explication
Une autre perspective indispensable afin de comprendre la situation dans laquelle se trouvent les Autochtones est celle vécue dans les fameuses réserves. J’ai plusieurs personnes dans mon entourage qui, par leur profession, sont en contact direct avec des peuples autochtones. Bien que les cas de bévues — allons-y d’un euphémisme, évitant par le fait même le réalisme hyperbolique de la situation — commises par l’Église sont pour ainsi dire, pléthoriques. Un cas a marqué le Québec le temps de quelques semaines. L’affaire Joveneau, ce curé arrivé sur la Basse-Côte-Nord dans les années 50 et qui y resta jusqu’à sa mort en 1992. Je suis allé aux nouvelles comme l’expression le dit, et bingo, une personne se trouvait à l’endroit où le curé avait établi son dictat. Pakuashipi et Unamenshipu, deux communautés qui, à elles seules, représentent les dérives de l’Église.

C’est ainsi que j’ai pu discuter avec une femme innue. Joséphine Mestokosho (nom fictif, car oui il y a toujours une crainte de parler de l’affaire Joveneau), malgré les tabous et non-dits entourant l’affaire Joveneau, a accepté de répondre à ce qui devait être initialement quatre questions. Finalement, nous avons eu une discussion de trois heures. 

Un long processus de déshumanisation
Madame Mestokosho raconte donc comment elle a connu le père Joveneau, avant de répondre aux quelques questions initiales : « Moi, j’étais jeune et quand je le voyais à l’église, il parlait très fort ! Je le voyais comme un roi. Mais comme… peur de son autorité, de lui, du pouvoir qu’il exerçait. »

 Jimmy Lajoie-Boucher : Il a suscité la peur dans la communauté jusqu’à sa mort en 1992 ?

« Oui ! Ma mère, entre autres, avait peur. Parfois, il venait chez les femmes dans ma communauté, Pakuashipi, et elles se cachaient. Il se promenait toujours avec des bonbons et payait les enfants pour qu’ils disent où leur mère s’était cachée. Ensuite, il entrait et faisait — un silence très lourd de sens s’impose avant que Madame Mestokocho ne reprenne —  des agressions. »

Et Hypocrate s’en mêle…
Dans les années 70, le père Joveneau fait la connaissance du docteur Marcoux. Il va s’ensuivre des événements criminels. Je laisse Madame Mestekocho vous en faire le récit :

« En 1972, plusieurs enfants ont été envoyés à l’hôpital de Blanc-Sablon par Père Joveneau. Dans ces années, il y avait de l’alcool dans ma communauté. Père Joveneau profitait beaucoup de l’alcoolisme de certains parents et pensait que les mères oublieraient leurs enfants. Parce que, une fois à Blanc-Sablon, le docteur Marcoux envoyait les enfants pour qu’ils soient adoptés. Ma mère s’est fait prendre deux enfants par Père Joveneau. Une fois, le bébé avait du muguet dans la bouche. Père Joveneau est parti avec le bébé, et après quelques jours, l’hôpital de Blanc-Sablon a appelé ma mère pour dire que le bébé était mort. Juste comme ça, rien d’autre. On n’a même pas pu voir le corps. Mais t’sais, comme ça au téléphone, et ils ont raccroché. Plus tard, je ne sais pas si la tombe a été ouverte, mais c’était un bébé blanc à l’intérieur. »

J.L.B. : Est-ce que la Commission vérité et réconciliation que l’actuel gouvernement fédéral a mis sur pied a changé la situation dans votre communauté ?

« Il n’y a pas de changement. C’était fait pour que le monde parle. Il y a eu des excuses, mais la souffrance reste. Ici dans ma communauté, la religion catholique n’est pas aimée, et pour la Commission, il n’y a pas de réconciliation. Il reste beaucoup de souffrances. Avec les excuses, il faut des actions. Les gens ont besoin de ressources et il n’y en a pas. »

J.L.B. : Qu’est-ce que vous attendez du gouvernement canadien, qu’est-ce qu’il pourrait faire pour vous et qui serait utile, qui ferait une différence ?

Ici à Pakuashipi, on ne sait pas ce qui se passe. On ne sait pas ce qui se fait. Il y a quelque temps, notre chef de ma communauté est allé à Québec pour parler des enfants disparus en 1972. Un homme du gouvernement a dit qu’il était là pour aider, mais… c’est comme pour père Joveneau, quand c’est sorti, ils voulaient tous nous envoyer de l’aide. Quand le sujet est tombé dans l’oubli, l’aide n’est pas venue. Pas de l’argent, l’argent apporte juste de la souffrance. Je ne sais pas, de l’aide psychologique, des thérapies, nous aider à faire un centre des loisirs. Ici il n’y a pas de route, il n’y a rien. C’est facile à oublier et nous on ne peut pas se rendre pour manifester. Il y a beaucoup de souffrance dans ma communauté, oui, beaucoup de souffrance. Parce que des excuses ça part, tu comprends, après la souffrance elle reste. »

Est-ce qu’il y a quelque chose à ajouter ?
Comment réagir devant un tel drame si ce n’est que d’écouter ce que les Autochtones ont à dire. Nul besoin de chercher des réponses où il n’y en a pas, les réponses, elles sont dans les souvenirs trop longtemps gardés cachés de ces victimes. Les peuples autochtones n’ont pas existé pendant plus d’un siècle aux yeux de tous et toutes et encore aujourd’hui, cette situation perdure. L’humain.e est un.e être social.e et a besoin de ses pairs pour se sentir apprécié. Demandez à n’importe quel psychologue et iel vous le confirmera. Les Autochtones ont été caché.es dans des réserves, et la philosophie politique de l’époque avait pour objectif une assimilation rapide, car elle n’avait guère pour intention de subvenir aux besoins de ces peuples dans les réserves. Le gouvernement et l’Église a donc pris aux Autochtones leur avenir, leurs enfants. Aujourd’hui, les demandes de ces derniers, enfin, celles qu’on m’a généreusement confiées, être réparés.

Crédits photos : Jimmy Lajoie-Boucher

 

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