De la noblesse des portiers de bar

Certaines professions jouissent d’une réputation remarquable en raison de leur éthique de travail irréprochable. Parmi ces emplois nobles se trouve celui de portier de bar. Essayons de cerner de quelles vertus insoupçonnées recèlent ces travailleurs.

Tout d’abord, on ne peut passer sous silence les énormes qualités requises afin d’assurer la gestion d’une soirée achalandée dans un club. En effet, le bon portier possède un sens de l’observation aiguisé lui permettant de discerner aisément le client mineur de celui en âge d’entrer. Posté solennellement au début de la file d’attente, exhibant ses énormes biceps et son torse épilé, le portier impose d’emblée le respect, nous laissant deviner sa vision ô combien pacifiste de la résolution de conflits. Prenant au sérieux son rôle de cerbère de l’établissement, le portier «carte» avec une justesse inégalée les jeunes fêtards qui tentent de pénétrer illégalement dans le bar.

Le système est d’ailleurs infaillible, car non seulement les portiers demandent une carte d’identité avec photo, mais aussi s’enquièrent-ils parfois de notre signe astrologique pour débusquer les faux Verseaux! D’ailleurs, nous savons tous qu’il est fort complexe de se procurer une carte d’identité trafiquée, à moins d’entretenir des liens avec le Wolf Pack. Les statistiques de la Sûreté du Québec corroborent clairement cette efficacité, car jamais en cinquante ans une descente policière n’a réussi à pincer des mineurs dans les bars de la Vieille Capitale….

À cela s’ajoute l’intégrité légendaire de ces gentils colosses. Quiconque est déjà sorti dans les clubs sait qu’il est impossible de soudoyer un doorman contre un billet de vingt dollars glissé furtivement dans sa main à l’entrée. Cette tentative de pot-de-vin indignerait au plus haut point le portier. Ce dernier n’hésiterait guère à expédier illico à l’arrière de la file cette personne malhonnête.

On oublie parfois la douceur se cachant sous l’apparence de goujat. Alors que l’emploi de la force brute serait si facile pour expulser un trouble-fête, le portier de bar se fait un point d’honneur de toujours utiliser le minimum de coercition nécessaire à la maîtrise du client tapageur. Le dialogue constructif et le tact sont valorisés à tel point que la foule réclame parfois un peu de brasse-camarade à se mettre sous la dent, ce à quoi les portiers répliquent : «Gandhi enseignait que la violence est une forme de faiblesse». Alors que le commun des mortels s’en donnerait à cœur joie d’expulser un pauvre type ravagé par l’alcool en le frappant au passage sur tous les murs possibles, le portier de bar, lui, ne cède jamais à ce genre de comportement. Il est réconfortant de savoir que les centaines de légendes urbaines rapportant des abus de pouvoir à l’égard de clients est le fruit d’hallucinations collectives. Ce que les drogues font, comme effet!

Soulignons aussi l’abnégation dont font preuve les portiers pour pratiquer leur métier plutôt qu’un autre travail offrant une rémunération plus avantageuse. Ces gaillards auraient certainement pu décrocher un poste lucratif à la GRC, voire au FBI s’ils l’avaient voulu. Malgré tout, la vocation de veiller à la sécurité d’un bar, souvent contrôlé par le crime organisé, demeure en avant-plan dans leur esprit consciencieux.

Bref, les portiers ne se contentent guère d’une stature imposante, ils ont aussi l’esprit vif et l’âme pure. Lors de votre prochaine sortie dans les bars, observez attentivement leur conduite sur la Grande-Allée afin de constater l’exemplarité de ces nobles créatures. Alors, en proie à une idolâtrie quasiment mystique, vous souhaiterez leur ressembler.

Consulter le magazine