Do Be Do Be Do

L’auteur du magnifique roman Poussière sur la ville, André Langevin, nous a quittés il y a un mois. Il laisse derrière lui un monde empreint d’une insoutenable légèreté. Un monde trop souvent incapable de gravité, où l’humour est devenu le seul mode de critique, de pensée et d’action – puisqu’il permet de mettre son objet à distance.

C’est la fin de Poussière sur la ville. La tragédie est consommée, la mort a eu raison de l’amour, les conventions sociales de l’authenticité. Le seul héros existentialiste de la littérature québécoise a vu sa vie s’effondrer, mais c’est après la défaite que la lutte commence pour le médecin : «Dieu et moi, nous ne sommes pas quittes encore. Et peut-être avons-nous les mêmes armes : l’amour et la pitié. Mais moi je travaille à l’échelon de l’homme. Je ne brasse pas des mondes et des espèces. Je panse des hommes.»

Relire ce livre aujourd’hui, c’est prendre le contre-pied du climat ambiant : superficiel, frénétique, sans pause réflexive. Ça vous tire du métro-boulot-conso-dodo pour vous forcer à vous émouvoir de destins (trop) humains. Vous plongez dans des tourments anachroniques sur l’engagement et la responsabilité.

Poussière sur la ville relève d’un humanisme en voie de disparition dans un monde qui valorise les choses et ne s’intéresse qu’à elles. La crise économique que nous traversons remet en question la société «je consomme donc je suis»; la dénonciation du capitalisme compulsif, du «tout, tout de suite», n’est plus un discours confiné à la gauche marginale. On le lit jusque dans les grands journaux. Pourtant, la philosophie de la consommation et de la satisfaction immédiate ne domine pas seulement notre mode de vie, mais aussi notre façon d’envisager l’humain. Nous l’appliquons partout, c’est notre manière d’être : sacrifier toute responsabilité au profit d’une fureur de vivre.

Prenons l’utilisation des mères porteuses, que les pays nord-américains et européens tendent de plus en plus à accepter. Ces femmes sont des machines à faire pousser des bébés. Mais ce commerce d’êtres humains correspond à l’air du temps, où le droit d’avoir des enfants prime sur le devoir de respecter le corps de l’autre. N’importe quoi pour satisfaire notre caprice de s’immortaliser dans «la chair de notre chair». Ne restait plus que ce médecin français, dont je lisais l’entrevue il y a quelque temps, pour récuser cette obsession des liens du sang au détriment de la personne humaine. Il me faisait l’effet d’un personnage perdu dans le mauvais espace-temps.

La liberté à laquelle nous a convié l’existentialisme était à la mesure de l’homme. Elle donnait à chaque action le poids de l’existence, elle avait de la profondeur. Elle ne s’excitait pas tous azimuts, à la surface des choses.

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«To be is to do», disait Kant.
«To do is to be», disait Nietszche.
«Do be do be do», chante Sinatra.

Voilà une boutade populaire qui en dit plus qu’il n’y paraît.
 

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