Photo: Alice Beaubien

Voter avec son coeur… et surtout sa tête

Été 2012. La fatigue des longues et nombreuses marches du printemps pouvait encore se sentir dans mes jambes. Chicoutimi. Je suis assis dans le sous-sol d’un ami. Son père, un politologue ayant vu de très près la fusion de l’Union des forces progressistes et Option citoyenne en 2006, avait invité Pierre Dostie, candidat pour Québec Solidaire à l’élection qui allait se tenir le 4 septembre suivant, à venir discuter politique avec nous.

C’est le nombril encore mouillé, la tête pleine de rêves, le cœur en rogne contre Charest, contre la police, contre le pouvoir, contre eux, que j’ai écouté avec un intérêt poli le discours du sympathique personnage. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean en 2012, il y avait deux options : le PQ… et le PQ. Véritable château-fort bleu (fort, mais peut-être pas assez pour résister aux caquistes cette année), dans un contexte où il urgeait de tasser les libéraux, il n’était pas question pour moi d’annuler mon vote, de voter Québec Solidaire ou encore, Option nationale. (Oui, ils étaient même «populaires» à l’époque, alors que Jean-Martin Aussant en était le chef)

Pierre Dostie n’est pas un politicien comme les autres, et rapidement, je m’en suis rendu compte. En étudiant en journalisme à Jonquière, j’ai serré plus d’une main de politiciens. Des opportunistes, des véreux, des hommes et des femmes ayant la prestance qu’impose cette fonction d’État, et d’autres n’ayant que d’égal à leur égo l’impertinence de leur propos. Pierre ne voulait pas nous convaincre de rien. Pas de grandes promesses, Québec Solidaire n’ayant jamais passé la barre des 10% de vote dans ma région.

« Quatre ans de gouvernement libéral de plus n’est pas une fatalité », m’avait-il dit. Après tout ça ? Comment me figurer une telle chose ? Force est d’admettre que le budget Marceau quelques mois plus tard, auto-qualifié d’austère, n’avait rien à envier à ceux de Raymond Bachand. L’expérience d’un vieux routier des mouvements sociaux, j’imagine.

Mais quel vote stratégique ?

Si aucun parti ne divisait le vote, le Parti serait toujours au pouvoir. Voilà la limite du vote stratégique. Tentons d’abord de clarifier une chose. Un vote, peu importe pour quel parti, est l’acceptation explicite du système dans lequel on vit, et ce, pour deux raisons.

D’abord, en participant au processus électoral, on valide la décision collective dans toutes ses imperfections. Ensuite, chaque vote représente des dollars qui seront remis aux partis pour la prochaine campagne électorale.

Ainsi, un vote « stratégique » ou devrais-je dire, « par dépit », encourage le bipartisme en renflouant les coffres des deux formations politiques les plus vieilles au Québec, tout en encourageant le même modèle électoral, et un projet de société sensiblement similaire, à la différence du pays inscrit sur le passeport. La logique du vote stratégique, c’est celle du copinage, du maintien en place du pouvoir.

Qu’importe si la Coalition Avenir Québec remporte les élections. Ce ne sera pas en raison de la multiplication des options politiques, de l’échec de la convergence des forces souverainistes, des sondages, ni même du cynisme, et encore moins du changement. À mon humble avis, cela s’explique plutôt par une conjoncture sociale et politique, locale et globale, beaucoup trop complexe pour y voir clair maintenant.

La beauté là-dedans, c’est que, bien que l’Histoire par évènement nous fasse oublier le dynamisme de la vie humaine en donnant l’impression d’une succession d’états stables entrecoupés d’actions héroïques de grands Hommes, la conjoncture politique, par nature, est constamment en jeu.

La partie sera longue, et les défis sont nombreux. Comme dans un jeu de société, il vaut parfois mieux accumuler des ressources en vue du prochain tour que d’y aller all in pour tenter de gagner rapidement. Pour citer Manon Massé, « notre pire ennemi, c’est la peur. »

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