Bâillonnée la science au Canada? Tel était le thème d’une table ronde tenue la fin de semaine dernière à l’occasion du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).
Organisé par l’Agence Science-Presse dans le cadre des célébrations de son 35e anniversaire d’existence, l’atelier a été l’occasion pour journalistes, scientifiques et passionnés de science d’échanger sur la question. Impact Campus a fait le point avec Binh An Vu Van, présidente de l’Association des communicateurs scientifiques et journalistes scientifiques.
Pourquoi parle-t-on de musellement des scientifiques fédéraux canadiens?
S’il en est question, c’est parce que les chercheurs-fonctionnaires ne peuvent parler librement aux médias sans l’autorisation préalable du service des relations publiques de leur employeur, le gouvernement canadien. Il est de plus en plus difficile de s’adresser à eux sans, par exemple, devoir systématiquement envoyer une liste de questions à des agents de relations de presse. Bien qu’il y ait eu un resserrement naturel du contrôle de l’information lors des précédents gouvernements, nous avons véritablement noté une différence à ce sujet depuis l’arrivée au pouvoir des troupes conservatrices de Stephen Harper en 2006 et leur mise en place de politiques de relations avec les médias en 2007. Le contraste a été frappant.
Comment les scientifiques fédéraux le vivent-ils?
Assez mal si on se fie à un sondage réalisé par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada auprès de 4069 de ses 15 398 membres. Paru en octobre 2013, l’enquête révèle entre autres que neuf scientifiques fédéraux sur dix (90 %) considèrent qu’il est impossible de s’adresser librement aux médias sans être censurés ou subir les représailles de leur ministère. Ce chiffre est à peine moins élevé (86 %) lorsque cette décision est susceptible de porter préjudice aux Canadiens. Le sondage nommé Coup de froid — bâillonner la science au service de l’intérêt public fait également état de pourcentages non négligeables de scientifiques fédéraux ayant rapporté une forme ou une autre d’ingérence dans leurs travaux de la part du présent gouvernement.
Qu’est-ce que cela nous dit sur le gouvernement Harper et sur son rapport à la science?
Beaucoup de choses! Tout d’abord, que le désir de Stephen Harper de contrôler à la perfection l’information le qualifie raisonnablement de « control freak ». Il sait que les médias peuvent être ses pires ennemis et prend les moyens pour les mettre à sa botte. Ensuite, que les scientifiques ne sont pas les alliés naturels de ce gouvernement qui les voit davantage comme des «empêcheurs de tourner en rond», voire comme des ennemis. Les faits qu’apporte la science ne font pas toujours son affaire, surtout en ce qui a trait à certains secteurs clés comme l’environnement. De là, d’ailleurs, les coupes massives qu’il y a effectuées dans les dernières années.
On se souvient que des scientifiques canadiens sont descendus protester contre le gouvernement Harper dans les rues d’Ottawa en juillet 2012. En quoi ce geste constitue-t-il un coup d’éclat?
Pour la simple et bonne raison que ce n’est pas dans l’ADN des scientifiques de procéder ainsi. Ce sont des gens cartésiens et rationnels qui sont formés pour douter de tout. Qu’ils aient ainsi manifesté leur mécontentement démontre bien leur inquiétude vis-à-vis d’un gouvernement qui ne base pas ses prises de décisions sur des faits, donc sur la science. C’est d’ailleurs pourquoi les images de cet évènement ont marqué les esprits; parce qu’il est rare de voir des individus détenteurs d’une certaine connaissance manifester leur peur de voir cette dernière menacée.