Photo : Alice Beaubien

Bras de fer : Le long combat pour dépoussiérer Limoilou

Les frères cinéastes, Jean-Laurence Seaborn et Jonathan Seaborn,  portent au grand écran la lutte de Véronique Lalande et Louis Duchesne contre le port de Québec dans le fameux dossier de la poussière de Limoilou. Leur documentaire, Bras de fer, est de passage au Clap pour la semaine. Le samedi 10 mars avait lieu une projection spéciale en présence du couple et des réalisateurs, à la suite de laquelle ils ont pris le temps d’échanger un peu avec le public.

Le récit du film retrace ainsi le périple de deux citoyens insatisfaits de l’inaction des autorités face à un enjeu de santé publique. Ancré dans la réalité dénuée de faux optimisme, il ressort du documentaire un long et difficile combat qui se poursuit toujours.

« Ce n’est pas un film qui va te dire ‘tu vas te battre et tu vas gagner’, c’est un film qui te dit qu’il faut que tu continues à te battre », relate Jean-Laurence Seaborn. Le documentaire semble bien porter son discours.

Il a fait rayonner ce message un peu partout dans le monde, entre autres en remportant le prix spécial du jury au Festival du film des droits de l’Homme de Paris. La diffusion demeure tout de même limitée et Bras de fer ne sera présenté au Clap que jusqu’au jeudi 15 mars.

« Le film a pris du temps à sortir parce que je voulais un happy end, mais ce n’est pas ça la vraie vie », fait remarquer Véronique Lalande, visiblement émue. Elle précise qu’il y a deux recours collectifs en cours pour obtenir réparation, mais aussi pour forcer le port à changer ses pratiques.

Preuve que le dossier est encore chaud, deux avocats du port auraient été présents dans la salle avant le début de la projection. Jean-Laurence Seaborn a fait savoir à l’audience qu’il les a fait quitter, leur signifiant qu’ils n’étaient pas les bienvenus à cette soirée.

Inaction gouvernementale

Les frères Seaborn commencent leur documentaire par un extrait de Richard Desjardins. « Le problème majeur, c’est que ce sont souvent les pollueurs qui font la loi, ce qui fait que le fardeau de la preuve retombe entre les mains des victimes », racontait-il en 1993. D’entrée de jeu, l’auteur-compositeur-interprète résume quasi parfaitement la lutte du couple, 10 ans d’avance.

Selon les dires de Véronique Lalande, les autorités publiques se doutaient bien que la poussière provenait des installations portuaires, mais paraissaient impuissantes. « C’est le port, c’est sûr, mais on ne pourra rien faire », se serait-elle fait répondre au début de ses démarches.

Dans chaque échantillon de poussière recueilli par le couple, il y aurait au moins un métal qui dépasse les normes industrielles. « On ne la voit pas cette poussière-là, c’est comme des aérosols », fait savoir Louis Duchesne dans Bras de fer.

Ce dernier met l’accent sur les dangers plus insidieux que représentent ces particules fines. « Ça peut paraître banal de la poussière sur ton balcon, mais si ça peut causer le cancer, ça l’est moins », précise celui qui est aussi chercheur pour le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.

Véronique Lalande ne cache pas son mécontentement envers les autorités publiques, qui sont largement restées inactives selon elle pendant que le port « joue à l’autruche ».

« Les autorités ne sont pas là pour protéger ceux qui font de l’argent », affirme Véronique Lalande dans Bras de fer. Elle finit même par se dire prête à renier son rêve de vie dans Limoilou par frustration de devoir payer des taxes dans une ville où elle ne se sent pas protégée.

Désillusion citoyenne

Le couple s’est rapidement rendu compte du peu de légitimité et de crédibilité qui lui étaient accordées en tant que citoyens, ceci malgré les résultats d’analyses scientifiques à l’appui. « Le citoyen, c’est quelqu’un qui travaille, qui a parfois un bac, une maîtrise ou un doc, ce n’est pas juste quelqu’un qui citoie », raconte Véronique Lalande dans le documentaire, faisant entre autres référence à la carrière scientifique de son conjoint.

D’autant plus que les deux mènent ce combat en parallèle avec leur vie professionnelle et familiale, presque seuls face à un géant qui a beaucoup plus de moyens. « Quand on couche le bébé, on commence le deuxième chiffre jusqu’à 23h30 », souligne Louis Duchesne, dans Bras de fer.

C’est ce qui semble être l’une des difficultés majeures mises en évidence dans le documentaire. « On avait des vies avant et on espère en avoir une après », ajoute le citoyen.

À la fin du film, le couple prend finalement la décision de quitter Limoilou, usé par la lutte. Véronique Lalande ne voit pas son départ comme une défaite. «On quitte, mais on est encore heureux puis on est encore une famille, dit-elle, émotive, et je suis encore amoureuse de mon homme. » Avec les recours collectifs en cours, le combat n’est pas pour autant abandonné.

Malgré les difficultés d’une lutte interminable, ni les frères Seaborn, ni le couple Lalande-Duchesne ne veulent paraître comme étant découragés.  « Nous voulons montrer qu’il y a encore des gens qui font des choses pour le bien commun, sans rien espérer en retour », déclare Jean-Laurence Seaborn après la représentation.

Consulter le magazine