Photo : Elia Barbotin

Stéréotypes de genre : Le mal-être au masculin

Qui n’a jamais entendu ou même lancé la boutade « espèce de fragile! » à un ami du secondaire? Que signifie « être fragile »? En quoi est-ce problématique? Sujet à la fois moderne et controversé, la fragilité masculine prend place dans une société où tradition et modernité se fusionnent. C’est un phénomène émergeant dû à un éloignement des rôles traditionnels masculins. L’expertise de Gilles Tremblay et de Richard Cloutier, tous deux professeurs à l’Université Laval, permet de jeter un nouveau regard à ce large concept, qu’est la fragilité au « masculin ».

En collaboration avec Stéphanie Fortin

Cette problématique est issue d’une évolution des normes sociales liées aux genres et aux sexes. Les hommes, auparavant pourvoyeurs principaux, ne sont plus les seuls à porter ce titre. L’entrée généralisée des femmes dans le secteur de l’éducation et du travail a provoqué une cassure dans les modèles de ménages traditionnels.

Cette nouvelle représentation dans des milieux traditionnellement réservés aux hommes ont fortement influencé et favorisé l’apparition du concept de fragilité masculine. Il en résulte alors une perte de repère associé à un éloignement des rôles dits traditionnels, ce qui sème une certaine confusion et une appréhension chez l’homme.

Un modèle unique et nocif

Malgré une constante progression, la société québécoise demeure encore fortement imprégnée par les stéréotypes de genre. Le cinéma, les publicités, les télés-romans; tous contribuent à perpétuer une norme culturelle de virilité, celle d’un homme résistant, autonome, qui ne s’embête pas avec les sentiments. Selon Richard Cloutier, psychologue et professeur émérite à l’Université Laval, « tout se joue dans le processus de socialisation des jeunes garçons », qui repose sur la valorisation de la force, de l’indépendance, de la persévérance et de la restriction de l’expression de la vulnérabilité.

Tous ceux qui sont en décalage avec cette norme culturelle tentent de dissimuler leurs différences, de « jouer à l’imposteur » pour reprendre les termes de Richard Cloutier. Il déplore que ce vieux cliché, qui ne correspond qu’à un nombre limité de personnes, serve encore de modèle à des garçons en quête de repères.

Chaque être humain a ses forces et ses faiblesses et il est grand temps de remettre en question ce modèle déconnecté de la réalité qui pousse certains hommes à des remises en question qui n’ont pas lieu d’être.

Le professeur titulaire à l’Université Laval, Gilles Tremblay, résume parfaitement cette idée : « Il n’y a pas une masculinité, mais des masculinités, la façon d’exprimer sa masculinité n’est pas singulière, elle est très plurielle », plaide-t-il.

À travers les époques, la notion même de masculinité évolue, montrant ainsi son caractère culturel et construit. Ce qui est « viril » aujourd’hui ne l’était pas forcément il y a une cinquantaine d’années. M. Tremblay cite notamment l’exemple de la boucle d’oreille chez les garçons, qui était très mal vue dans les années 70, alors qu’aujourd’hui, de plus en plus de garçons la portent sans subir de discrimination. La perception de la masculinité dans les différentes cultures peut donc diverger largement. Par exemple, en Inde, on tient son meilleur ami par la main, mais on ne tient pas son partenaire par la main.

De la vulnérabilité à la violence

Au-delà des remises en question identitaires pouvant affecter les hommes, le fait de réprimer sans arrêt ses sentiments peut se révéler très néfaste sur le long terme. « Une forme de vulnérabilité se crée, puisque les sonnettes d’alarme ne sont pas toujours entendues au moment où elles sonnent », explique M. Tremblay.

Les hommes ont également une tendance moins forte à aller chercher de l’aide que les femmes. Ceux qui réussissent à demander de l’aide le font souvent lorsqu’ils constatent un point de non-retour.

« Ils ont une partie qu’ils vont faire eux-mêmes, ils vont se dire, je commence à ne plus être fonctionnel, ils vont donc le faire automatiquement », poursuit le professeur. Il note également que l’entourage est un aspect très important dans le processus d’une demande d’aide. « Une grande majorité d’hommes va le faire sous la pression de gens autour d’eux, et c’est souvent leurs conjoints(es), leurs enfants rendues à l’âge adulte ou leurs parents. »

Il raconte également l’histoire d’un homme qui, encouragé par son patron, est allé chercher de l’aide auprès d’organismes.

« J’ai piqué du nez au maximum au moment de la séparation, j’étais en pleine dépression. Ça n’allait pas, et à un moment donné quand l’huissier est venu porter l’avis de divorce, je suis passé à deux cheveux près d’aller tuer mon ex-conjointe. Ce qui a fait la différence, c’est quand je suis arrivé à mon bureau, mon contremaître sentait bien que ça n’allait pas. Il m’a dit, toi, tu vas aller voir ton médecin. Je te mets en congé-maladie parce que je suis persuadé que ça ne va pas dans ta vie actuellement et tu vas aller consulter cette ressource-ci, avant de lui remettre un dépliant sur une ressource qui s’occupait des personnes en processus de séparation. »

Il ajoute que le contremaître de cet employé a sauvé des vies cette journée-là. C’est donc par la pression de l’entourage que certains hommes sont poussés à aller chercher de l’aide.

Les effets d’une socialisation problématique

Gilles Tremblay constate que les hommes n’ont seulement qu’un ou deux confidents contrairement aux femmes, qui, elles, peuvent en avoir de trois à cinq. Il indique que le conjoint ou la conjointe est souvent le seul confident de ces hommes. Quand une séparation arrive, l’homme perd son confident et tombe alors dans un isolement affectif.

« Il faut briser cet isolement affectif et surtout favoriser les formes d’entraides, de soutien entre hommes et donner des outils de préventions aux hommes pour qu’ils se sortent de ce cercle vicieux », ajoute l’enseignant.

Plus généralement, les individus de sexe masculin sont plus sujets aux risques que les individus de sexe féminin. En effet, « plus de garçons sont affectés par des problèmes de maturité affective, de langages, de comportement et d’apprentissage » précise Richard Cloutier. Il parle « d’éléphant » à ce propos pour souligner la gravité de la situation. « Cet éléphant-là, on ne fait rien pour le contrer, car on n’ose pas agir de façon discriminatoire », poursuit-il.

Les femmes réussiraient mieux aujourd’hui dans l’économie du savoir que les hommes. Richard Cloutier pense même que « l’école réussit moins bien aux garçons ». Demandant de la patience, de l’écoute et une certaine minutie, la formation scolaire semble plus adaptée à la socialisation féminine. Les deux sexes divergent aussi d’un point de vue biologique et hormonal, si bien qu’il est difficile de déterminer la part héréditaire et la part socialisée dans la différentiation des sexes et des genres.

Grâce aux mouvements féministes, les femmes ont réussi à se sortir de nombreuses tutelles, notamment de la tutelle familiale. « Dans ce contexte-là, les hommes n’ont pas fait le bout de chemin » et ce « bout de chemin » est nécessaire à une meilleure intégration.

Il reste donc tout un « chemin à parcourir » ainsi que des efforts à faire, que ce soit au niveau individuel ou sociétal, les deux étant nécessaires afin de parvenir au résultat désiré : une meilleure intégration et socialisation des hommes, ainsi qu’une société plus égalitaire et sécuritaire pour les femmes.

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