Selon des données récoltées par Influence Communication, une organisation qui se spécialise dans la surveillance médiatique, les informations internationales représentaient, en 2016, 4,09 % de l’espace médiatique québécois. Pour Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, ancien reporter à l’international pour Le Devoir et Radio-Canada, et Guillaume Lavallée, journaliste à l’Agence France-Presse (AFP), ces données illustrent la faiblesse de l’actualité internationale au Québec et cette situation engendre de nombreuses conséquences.
En collaboration avec Charles-Antoine Gagnon.
L’information internationale «est faible de façon absolue et de façon relative», dit d’entrée de jeu Jean-Frédéric Légaré- Tremblay. Il explique que la situation est facilement observable et qu’il suffit de lire tous les journaux du Québec pour s’apercevoir que l’espace occupé par l’information internationale est très limité.
Selon Guillaume Lavallée, l’une des principales raisons du désintéressement pour l’information internationale au Québec réside dans le manque de correspondants à l’étranger. Selon lui, s’ils étaient plus nombreux, il serait possible de s’intéresser à des enjeux locaux d’un point de vue international plus en profondeur. Par exemple, concernant l’enjeu du troisième lien dans la région de Québec, d’autres cas de construction semblables à l’international pourraient trouver écho dans les médias locaux.
«On peut aussi paramétrer pour essayer de répondre à des questions qui sont des préoccupations locales et ça peut donner une réponse internationale. C’est sûr qu’une agence de presse ne va pas commencer à entrer là-dedans parce que dans chacune des villes du monde il y a des questions qui se posent», explique M. Lavallée.
Il n’enlève rien aux agences de presse internationales. À son avis, elles sont essentielles à la compréhension de certains enjeux. Par contre, leurs textes sont écrits de manière à rejoindre le plus grand nombre de personnes, partout sur le globe. Puisqu’ils sont plus impersonnels que des articles de médias locaux écrits pour une communauté ciblée, il devient moins pertinant pour les grands quotidiens nationaux de les placer en Une de leurs éditions, affirme-t-il.
Étant donné cette faible couverture des enjeux internationaux, les personnes s’y intéressant doivent consulter des médias étrangers, estime quant à lui Jean- Frédéric Légaré-Tremblay. «On va s’intéresser au monde à travers des articles qui ne sont pas écrits par des Québécois. Les enjeux qui nous concernent dans le monde, nous les Québécois, on n’aura pas notre regard à nous. On n’aura pas l’éclairage sur des enjeux internationaux qui nous touchent.»
Pour illustrer cette affirmation, l’ancien reporter et chroniqueur international fait mention de la crise en Syrie. À son avis, un angle canadien, et même québécois peut se dégager de cette situation. L’aide humanitaire du Canada déployée dans ce pays et la participation de Québécois aux combats auraient été des sujets intéressants à aborder plus en profondeur.
Un obstacle de moins pour l’information internationale
Guillaume Lavallée, Jean-Frédéric Légaré-Tremblay ainsi que Laura-Julie Perreault, journaliste à la section Monde de La Presse, ont lancé leur projet de Fonds québécois en journalisme international (FQJI) en septembre 2018. Pour eux, le projet trouve ses origines dans un paradoxe important. «Nous avons de moins en moins de moyens pour financer le reportage à l’étranger au moment où les réalités d’outre- frontières nous marquent de plus en plus», écrivent-ils sur la page de présentation du FQJI.
Dans un communiqué remis aux médias, les trois fondateurs mentionnent qu’ils travaillent sur le projet depuis plus d’un an et qu’ils sont heureux de le voir enfin prendre son envol. «Notre projet prouve qu’il n’y a pas que de mauvaises nouvelles dans l’industrie des médias», ont dit les trois acolytes lors de la conférence de presse pour le lancement du Fonds.
L’objectif de l’organisme à but non lucratif est de financer les dépenses de reportages à l’étranger pour des journalistes établis au Québec et travaillant pour des médias québécois, comme pigistes ou salariés. «Les projets sont financés à la suite d’appels à candidatures et d’une sélection par un jury indépendant», écrit l’organisation sur son site Internet.
«Avec le Fonds, chacun va pouvoir envoyer ses journalistes à l’étranger et après ça on ne pourra plus dire que c’est parce que ça n’intéresse pas le public ou que les médias ne s’y intéressent pas, car les sous y seront. Si un média décide de ne plus faire d’international, ça sera son choix à lui», estime Guillaume Lavallée, en ajoutant toutefois qu’à la suite du premier appel de projets, près de l’entièreté des médias québécois sont représentés dans les demandes reçues.
Les seules conditions sont d’être membre de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIC) ou de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et d’obtenir une lettre d’engagement de publication par un média reconnu au Québec, explique Jean-Frédéric Légaré- Tremblay. L’ancien reporter à l’étranger espère voir l’organisation récolter de plus en plus de fonds pour permettre aux Québécoises et Québécois d’obtenir plus de reportages et, du même coup, développer une meilleure compréhension du monde qui les entoure.
Quelques jours après la mise en place du Fonds québécois en journalisme international, le journal Le Devoir a aussi annoncé un don philanthropique de 100 000 $ par année pendant cinq ans remis par l’entreprise touristique Transat pour financer les reportages à l’étranger du quotidien montréalais. «J’ai envie d’ouvrir les pages de mon journal papier et d’y lire des articles rédigés par des journalistes d’ici qui expliquent ce qui se passe ailleurs et qui ont du sens avec notre réalité d’ici», a mentionné Jean-Marc Eustache, président et chef de la direction chez Transat, lors de la conférence de presse tenue à cet effet.
Un cas unique ?
Le Québec est un cas particulier, affirme Jean-Frédéric Légaré-Tremblay. L’espace médiatique occupé par l’information internationale dans la province est faible comparativement à ce qu’on observe dans les médias de certains pays européens et de ceux des autres provinces canadiennes, relate l’ancien journaliste du journal Le Devoir.
M. Légaré-Tremblay compare la situation du journal La Presse et du Globe and Mail,un autre média canadien, qui sont deux journaux avec des ambitions similaires, dit-il. D’un côté, à La Presse, il n’y a qu’un seul collaborateur, alors que le Globe and Mail peut compter sur huit correspondants à l’étranger. «C’est juste un exemple pour dire que le Québec s’intéresse à l’actualité internationale beaucoup moins que ce qu’on va trouver en Europe occidentale, aux États-Unis ou au Canada anglais», indique-t-il.
Pour sa part, Guillaume Lavallée croit que la situation québécoise s’explique par des enjeux géopolitiques et historiques. «L’une des pistes qui est géopolitique et historique, c’est que le Québec n’est pas un empire. Ce n’est pas un ex-empire avec des ex-colonies. Ça change quand même beaucoup de choses. En France et en Angleterre, on s’intéresse aussi à nos anciennes colonies en particulier», explique-t-il.
Le journaliste de l’AFP affirme aussi que la crise qui traverse actuellement l’univers médiatique n’aide en rien le financement de reportages à l’étranger. De plus, le lectorat limité du Québec ne permet pas toujours d’amortir les coûts de ces reportages comparativement à un pays comme la France où les quelque 60 millions de Français permettent d’obtenir de meilleurs revenus publicitaires.
Il croit aussi que les Québécois s’intéressent davantage à ce qui se passe au Québec. Le fait qu’aucun média privé québécois n’a de correspondant à l’ouest d’Ottawa illustre bien la situation, confirme M. Lavallée.
Des outils pour les futurs journalistes à l’étranger
Aux jeunes journalistes désirant travailler à l’international, MM. Lavallée et Légaré- Tremblay conseillent de foncer et de ne pas craindre les premiers refus. L’information internationale au Québec n’est peut-être pas la plus prisée, mais les plus persévérants sauront faire leur place et éventuellement gagner leur vie de cette façon.
De l’avis de M. Lavallée, il ne faut pas attendre et se lancer. «Des fois, on peut y aller à la pige pendant six mois, un an ou deux ans. Ça se peut qu’on ne fasse pas d’argent, mais on va clairement apprendre quelque chose, croit-il. Il ne faut pas toujours attendre après l’idée qu’un jour viendra. Sinon, ça se peut que le jour ne vienne pas et que, si le jour vient, on ait tellement d’attaches autour de nous qu’on ne puisse pas vraiment partir comme on le souhaiterait.»
M. Légaré-Tremblay ajoute que pour faire du journalisme international, il ne faut pas non plus avoir peur de se détacher du Québec. «Je ne veux pas juste dire qu’il faut sortir à l’étranger pour faire des reportages. Ça, ça va de soi. Mais sortir souvent avec peu de moyens, se frotter au terrain, c’est vraiment important.»