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La méthode américaine de gouverner

Le 6 novembre dernier, fût-il pour exprimer indignation ou support à leur gouvernement, les américains se sont déplacés en masse pour les élections de mi-mandat, enregistrant un taux de participation sans précédent historique pour une élection non présidentielle. Le renouvèlement complet de la Chambre des représentants a donné la majorité des 435 sièges qui la compose au Parti démocrate. Le Sénat, dont seulement le tiers de ses 100 représentants devaient mener campagne, est resté sous contrôle républicain. Comment ce nouveau Congrès divisé affectera la gouvernance du pays et la marge de manœuvre du président Donald Trump ? Un regard sur cette formule unique de gouvernement s’impose pour mieux comprendre les implications du résultat de ces élections.

Les rouages du système

Le trait caractéristique du système politique américain repose sur le principe difficile à traduire de check and balance. Alors que le président et son cabinet constituent le pouvoir exécutif, le Congrès se présente comme l’organe législatif, complètement indépendant de l’exécutif. Chacun possède un droit de regard sur les actions de l’autre (check), et chacun possède des prérogatives qui influencent directement et séparément les opérations du gouvernement (balance).

Concrètement, cela signifie que pour qu’un projet de loi soit adopté, il doit obtenir l’aval de la Chambre des représentants, du Sénat et du président, et où chaque élu dispose d’un droit de vote relativement autonome à son égard. Par aval, on entend ici un vote majoritaire. Pour l’exécutif, l’aval se traduit par une signature du président, sans quoi il imposera un droit de veto, qui renverra le projet de loi aux deux chambres législatives pour qu’elles apportent les modifications désirées par l’exécutif. Si le Congrès refuse d’apporter les changements demandés, un vote à majorité qualifiée (deux tiers des voies) peut forcer son adoption malgré l’opposition du président.

Les atouts de la Chambre des représentants

 Disposer de la majorité des sièges dans la Chambre des représentants s’avère un gain significatif pour les Démocrates. De prime abord, ce contrôle garantie qu’au moins une étape de l’adoption d’un projet de loi initié par le Parti démocrate sera sécurisée. Ensuite, les représentants disposent de plusieurs prérogatives qui limitent directement la marge de manœuvre du pouvoir exécutif. Préséance dans l’examen des politiques budgétaires et financières, droit de regard sur la gestion des affaires publiques grâce au pouvoir de mener des enquêtes et comme coup de grâce, c’est dans cette chambre que doit être initiée toute procédure d’Impeachment (destitution) du président.

Les atouts du Sénat

En revanche, le Sénat dispose lui aussi de prérogatives importantes qui, dans le cas présent, limiteront les freins que tenteront d’imposer la Chambre des représentants. On appelle aussi le Sénat la chambre haute, puisqu’il agit le plus souvent de l’organe de dernière instance pour plusieurs actions gouvernementales. La nomination d’un juge de la Cour suprême par le président (et plusieurs autres nominations présidentielles), nécessite l’approbation par vote majoritaire du Sénat ; la procédure d’Impeachment, se complète uniquement en fonction du jugement du Sénat ; dans la révision des projets de loi, les sénateurs opposants peuvent volontairement éterniser le processus en utilisant leur droit de parole illimité dans les débats, une tactique d’obstruction systématique appelée filibuster.

À quoi s’attendre ?

 Ce ne sera pas la première fois que le gouvernement américain est ainsi divisé. Le deuxième mandat de Barack Obama devait se confronter à un Congrès entièrement républicain qui le força à adopter des mesures initiées par celui-ci, alors que presque tous les projets de loi issus de l’exécutif furent bloqués. Plus que jamais, les divergences entre les deux partis rendront difficile la conduite des affaires publiques et l’adoption de projets de loi.

Les partisans démocrates ne doivent pas rêver en couleur, le contrôle de seulement une des deux chambres législatives ne permettra pas de restreindre systématiquement les initiatives républicaines, d’autant plus que la nomination de deux juges républicains à la Cour suprême par Trump empêchera l’utilisation de l’organe judiciaire du gouvernement pour limiter les actions du président.

En 2016, Michelle Obama prononça ce qui devint alors la devise du Parti démocrate pour la campagne électorale : « When they go low, we go high ». Ce slogan mettait en garde contre la tentation de répondre aux attaques « basses » des républicains par des attaques similaires. Hors aujourd’hui, la divergence partisane est rendue au stade de l’aversion. La frustration de deux ans d’un gouvernement 100 % républicain pèse lourd sur le Parti démocrate. Certains craignent que le slogan élévateur de Michelle Obama soit remplacé par celui teinté par la vengeance proposée par Eric Holder, ancien procureur général, « When they go low, we kick them ». Au final, c’est toute la population américaine qui risque de perdre à la guerre partisane qui afflige actuellement le gouvernement américain.

 

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