Pendant la campagne électorale, trois grands partis étaient alignés sur la question de la réforme du mode de scrutin, en l’occurrence : Québec solidaire (QS), le Parti Québécois (PQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ). Cette dernière ayant été adoubée, François Legault a réitéré sa promesse d’engager l’implantation de la réforme dès la première année de son mandat. À cet instant décisif, les membres du groupe Solution Étudiante Nationale pour un Scrutin Équitable (SENSÉ) sont aux aguets. Impact Campus s’est entretenu avec Charles-Émile Fecteau, coordonnateur du SENSÉ.
L’action du SENSÉ s’effectue en complémentarité avec celle du Mouvement Démocratie Nouvelle (MDN), un organisme citoyen non partisan voué à la promotion d’un nouveau mode de scrutin. Fort de l’appui de 36 associations étudiantes (dont la CADEUL et l’AELIES), représentant quelque 236 000 étudiants-es à travers le Québec, la mobilisation du SENSÉ pour la réforme du mode de scrutin génère un succès « retentissant ».
Un des principaux arguments invoqués en défaveur du mode de scrutin actuel – dit uninominal à un tour – est l’inadéquation entre la répartition des sièges au Parlement et la répartition du vote populaire. Le modèle préconisé par le SENSÉ et le MDN est celui du mode de scrutin avec proportionnelle mixte compensatoire, et redistribution régionale.
Un concept alambiqué, estimeront d’aucuns ? L’adage veut qu’un éléphant se mange plus aisément lorsque segmenté en petites bouchées. Ainsi, comme le recommande Charles-Émile Fecteau, le concept peut être décortiqué mot par mot.
La réforme impliquerait certaines modifications à la carte électorale. Premièrement, dans l’optique où la nouvelle carte provinciale serait calquée sur la carte fédérale comme le proposent le SENSÉ et le MDN, il y aurait désormais 78 circonscriptions au Québec. Deuxièmement, huit ou neuf grandes régions seraient formées, chacune d’entre elles regroupant grosso modo deux régions administratives. Ensuite, les scrutins proportionnels ont une « finalité proportionnelle », c’est-à-dire que l’on s’assurerait « qu’un parti qui a x % des votes ait x % des sièges ».
Le terme mixte sous-tend quant à lui qu’il existerait deux types de députés : « les députés élus dans des circonscriptions d’une part, et des députés élus par listes d’autre part ». Environ 60% des membres de la chambre siègeraient à titre de députés de circonscription.
En ce qui a trait à l’aspect compensatoire, il consiste à pallier les écarts observés actuellement entre le vote populaire et le nombre de sièges au parlement. « À cause de la distribution un peu aléatoire, sociologique ou démographique des votes dans les différentes circonscriptions, on se ramasse avec des distorsions, c’est-à-dire avec certains partis qui ont plus de sièges qu’ils ne le “mériteraient“ – et inversement », rapporte Charles-Émile Fecteau. Des députés-es issus-es de listes seraient nommés-es, le but étant que le pourcentage de députés rattachés à chaque parti à l’Assemblée nationale reflète fidèlement la répartition du vote populaire à l’échelle du Québec.
Enfin, en vertu de la redistribution régionale, les sièges compensatoires seront redistribués dans les huit ou neuf « grandes régions ». On tentera de « représenter à peu près les proportions régionales », suivant le principe de proportionnalité, tout en respectant en priorité la proportionnalité par rapport aux résultats nationaux.
Les étudiants-es et les groupes minoritaires lésés-es en termes de représentativité
La redistribution régionale dérobe le modèle à l’une des principales critiques adressées aux modes de scrutin proportionnel, soit le manque de représentativité des régions. « Il s’agira juste d’un changement dans la façon de représenter les régions, mais elles seront autant sinon mieux représentées avec le modèle que nous proposons », mentionne l’étudiant en chimie à l’Université Laval.
Or, en termes de représentativité, Monsieur Fecteau est d’avis que le mode de scrutin actuel échoue à assurer la représentativité des franges minoritaires de la population. Cet argument interpelle spécialement les étudiants-es. « Les étudiants-es sont très rarement un groupe influent dans une circonscription : on se fait oublier dans les débats publics. Quand est-ce qu’on a parlé d’enseignement supérieur dans les débats nationaux à TVA et Radio-Canada ? Zéro pis une barre ». Si le « vote des étudiants-es sort peu », ils sont de surcroît « rarement majoritaires dans une circonscription ».
Qui plus est, la représentation proportionnelle serait susceptible d’avoir un impact salutaire sur le cynisme chez les groupes minoritaires. « Les étudiants-es ont envie de changer les choses, puis ils se heurtent à un mode de scrutin qui ne les écoute pas, ça crée une frustration ». Or, « si ton vote est comptabilisé au national, chaque tranche de x votes va se traduire par un député de plus. C’est clair que l’envie d’aller voter augmentera ».
Le poids démographique des étudiants-es correspondrait à 8% des électeurs-rices. L’aspect compensatoire du mode de scrutin viserait aussi à assurer la représentativité de certains groupes au Parlement – notamment les femmes et les minorités ethnoculturelles.
Une mobilisation sous astres alignés
Le SENSÉ estime que la conjoncture actuelle est déterminante alors que des tentatives de réformes sont observées dans d’autres provinces. À ce titre, la coalition entre le Parti Vert et le NPD en Colombie-Britannique, et le référendum portant sur la question de la réforme du mode de scrutin à l’Île-du-Prince-Édouard témoignent d’un engouement partagé. Un « effet domino » est anticipé.
Les caquistes agiront-ils en renégats ? On observe une tendance historique à promettre la réforme et à ne pas l’implémenter par la suite, comme en témoignent les mandats de Jean Charest (2003-2007) et celui de René Lévesque (1976-81). « François Legault, dès le lendemain de son élection, répétait son engagement à le faire dans une première année. Cela dit, au SENSÉ, on ne prend rien pour acquis. »
De l’avis de Charles-Émile Fecteau, le mode de scrutin actuel est tombé en désuétude avec l’élargissement de l’accès aux moyens de communication. « Ça fonctionnait très bien à une époque où on n’avait pas de communications rapides. Il fallait forcément envoyer quelqu’un de chaque région représenter les gens à l’Assemblée nationale. Ça fonctionne aussi très bien quand on a seulement deux partis. Mais dans un système où les communications sont plus efficaces, on doit considérer les votes de façon plus complexe que région par région ». Le contexte de multipartisme met aussi en exergue les « défaillances » du mode actuel.
Quant à l’éventualité d’un référendum sur la question, Charles-Émile Fecteau est d’avis que son utilité est factice. « Est-ce que c’est nécessaire quand on observe les appuis qu’on a dans la société civile, les syndicats, les associations étudiantes, les sondages ? ».
D’ici à l’application de la réforme, dont la mise en place requerrait environ deux ans, les étapes à prévoir sont le dépôt d’un projet de loi, les consultations publiques, des discussions en commission parlementaire, puis, ultimement, l’adoption formelle du projet de loi.
Possibilités d’implications au sein du SENSÉ
SENSÉ recrute toujours les étudiants-es désireux-ses de se mobiliser pour la réforme du mode de scrutin. Parmi les projets sur la table, le groupe poursuit sa collaboration avec le MDE de même qu’avec Québec 125 qui publiera les projections de ce qu’aurait été la répartition de la chambre avec un mode proportionnel mixte compensatoire à redistribution régionale. L’enjeu de la vulgarisation étant crucial, le SENSÉ produit présentement des capsules explicatives.