Cinq questions sur le litige Copibec-Université Laval

La Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, mieux connue sous le nom de Copibec, annonçait la semaine dernière qu’elle intentait un recours collectif de 4 millions $ contre l’Université Laval pour reproduction illégale de documents. Le point en cinq questions.

1. Quelles sont les origines de la poursuite intentée par Copibec ?

Depuis l’adoption en 2012 du projet de loi C-11 qui a considérablement modifié la Loi sur le droit d’auteur, il est désormais permis de procéder à « l’utilisation équitable d’une œuvre à des fins éducatives » sans payer de redevances.

Cette même année, la Cour suprême a tranché que la reproduction par photocopie d’une œuvre en vue d’une utilisation dans les écoles élémentaires et secondaires des provinces anglophones du pays peut se faire sans versement de droits d’auteur.

Dans la foulée, environ le tiers des universités du Canada anglais ont décidé de résilier leur entente avec Access Copyright, l’équivalent canadien de Copibec. Cela a occasionné de nombreuses poursuites, dont plusieurs sont encore devant les tribunaux.

Au Québec, une certaine paix sociale a régné jusqu’en mai dernier, lorsque l’Université Laval est devenue la seule université québécoise à ne pas renouveler sa licence générale avec Copibec, préférant implanter ses propres politiques internes en la matière.

2. Qui défend quoi ?

L’Université Laval soutient que « les établissements d’enseignement peuvent légalement encadrer leurs pratiques de gestion en matière de droit d’auteur », renvoyant ainsi à la décision de 2012 de la Cour suprême.

De plus, elle déclare qu’« en se dotant d’un Bureau du droit d’auteur qui possède toute l’expertise nécessaire, l’Université Laval continue de privilégier de bonnes pratiques en matière de gestion des droits d’auteur. Elle le fait en réduisant les coûts associés au recours à un sous-traitant et avec plus de rigueur, dans un contexte où la gestion responsable des fonds publics s’impose. »

De son côté, Copibec prétend que l’Université Laval a reproduit des œuvres et des extraits d’œuvres sans obtenir d’autorisations ni s’acquitter de redevances auprès de chaque auteur et éditeur. La société soutient qu’il n’y a rien dans la loi qui autorise quelqu’un à reproduire 10 % d’une œuvre sans payer, comme le permet actuellement la politique de l’Université Laval.

Me Daniel Payette, qui représente Copibec, s’interroge sur les bénéfices pour l’institution de ne pas renouveler sa licence. « Je ne sais pas où elle fait des économies, surtout si vous prenez en compte les coûts engendrés par la création d’un Bureau de droit d’auteur ».

  1. Que penser de la position de l’Université Laval dans ce dossier ?

« L’Université Laval ne peut pas être surprise d’être poursuivie. Pour moi, c’était écrit dans le ciel que ça arriverait, pense Georges Azzaria, professeur titulaire à la Faculté de droit de ladite institution. Copibec ne pouvait pas ne pas réagir. Cela y va carrément de sa survie. »

« Qui plus est, poursuit-il, l’interprétation du concept d’utilisation d’une œuvre à des fins équitables que fait l’Université Laval est risquée. Comme en témoignent les poursuites qui ont actuellement cours au Canada anglais, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur cette question. »

Que penser de la politique de 10 % de l’Université ? « Ce n’est pas une balise juridique, mais bien un choix politique », dit Me Normand Tamaro, avocat spécialiste en droits d’auteur.

4. Une université poursuivie pour non-respect des droits d’auteurs, n’est-ce pas étrange ?

« En tant que milieux de création et de liberté intellectuelle, les universités devraient accorder une grande importance au respect du droit d’auteur. C’est donc pour le moins étonnant de les voir contester l’application de la loi », affirme Me Normand Tamaro.

Selon lui, il ne faut pas s’arrêter qu’aux considérations économiques lorsqu’on analyse ce dossier. « Une université qui conteste le droit d’auteur est un exemple flagrant de banalisation. Elle envoie le message que le droit d’auteur n’est pas si important alors qu’il est une condition essentielle à la richesse intellectuelle et à la saine création », souligne-t-il.

5. Quelles seront les suites éventuelles dans ce dossier ?

« S’il n’y a pas de règlement à l’amiable, ce n’est pas la décision en première instance qui tranchera dans ce litige, lance Georges Azzaria. C’est évident que ça va faire appel, les enjeux sont trop grands. Ce sera alors la décision en Cour d’appel ou en Cour suprême dans plusieurs années qui sera intéressante. »

Un avis qui est partagé par MNormand Tamaro. « Ça va aboutir à une décision qui ne plaira pas à un parti ou à un autre. C’est évident que le dossier ne s’arrêtera pas là. Les auteurs, comme l’Université Laval, ne se laisseront pas faire. »


 

Qu’est-ce que Copibec ?

Copibec gère les droits de reproduction des œuvres imprimées (journaux, périodiques, etc.) des auteurs et éditeurs québécois. La société agit donc comme intermédiaire entre les créateurs et ceux qui, comme le milieu de l’éducation, sont susceptibles d’exploiter des œuvres. Sans Copibec, les ententes d’utilisation se négocieraient à la pièce. Chaque année, Copibec verse 10 millions $ aux auteurs en redevances.

Les détails du 4 millions $

Copibec demande à la Cour d’accorder 2 millions de dollars en redevances impayées, 1 million de dollars en dommages moraux et 1 million en dommages punitifs en plus des profits réalisés lors de la vente des recueils de textes aux étudiants.


 

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